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Les différentes façons d’être chemsexeur

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Difficile de passer à côté du phénomène chemsex, littéralement la contraction de Chemical et Sexe, soit le fait de consommer des drogues de synthèse pour impacter ses relations sexuelles. En France la pratique est reconnue depuis une dizaine d’années, mais cela ne veut pas pour autant dire qu’elle n’existait pas auparavant. L’utilisation du poppers, notamment au sein de la communauté gay pour augmenter l’endurance et la performance est reconnue depuis les années 70. Le terme chemsex apparaît en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis – désigné sous le vocable Party’n’ Play – avec l’usage des drogues de synthèse – méphédrone, cathinone, la crystal meth –avant de se developper à partir de 2010 en France avec les mêmes produits. Si il est vrai que l’on a tendance à cantonner ces pratiques à la communauté gay parce que les seules études* à ce sujet ont été focalisées sur cette dernière, on constate que les hétéros ne sont pas les derniers à consommer des produits à des fins sexuels. Même si nombreux sont ceux qui consomment ces produits dans le cadre de soirées dédiées – partouzes et soirées libertines dans lesquelles « la couleur » est annoncée en amont – ce n’est pas le cas de tous. Beaucoup s’initient au chemsex par hasard et le pratique en petit comité ou dans le cadre d’une sexualité de couple.

Le chemsex pose des questions multiples, qu’il s’agisse des dangers inhérents à la consommation de produit et à l’addiction qu’il provoque, des risques sanitaires liés au sexe non protégé ou à la facilité que l’on a aujourd’hui avec internet de pouvoir se procurer les produits. « Aujourd’hui le plus gros dealer c’est Internet, la prévention autour du chemsex ne peut pas se faire de manière traditionnelle, explique Fred Bladou, chargé de mission chez Aides. Prôner le port du préservatif est vain, il faut mettre en avant les traitements de la prEp et ne pas culpabiliser les consommateurs. Le principal problème n’est pas le produit mais le contexte général dans lequel il est consommé. Il ne convient pas à tout le monde et mon travail est de savoir détecter et accompagner ceux qui souhaitent pouvoir maintenir une consommation occasionnelle et sans risque autant que ceux qui souhaitent arrêter. »

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Pour en savoir plus sur le chemsex, nous sommes allés à la rencontre de trois personnes qui ont un rapport diffèrent en la matière.

Paul, 30 ans, étudiant, homosexuel

VICE : Comment avez vous découvert le chemsex ?
Paul : Un peu par hasard. Je n’habite pas Paris mais j’y venais fréquemment pour rendre visite à des potes. J’en profitais pour m’organiser un maximum de sorties. La drogue est venue naturellement s’immiscer dans ce contexte festif, avec, au départ, aucun lien direct, ni aucun impact sur ma sexualité. Il y a 4 ans, j’ai eu ma première expérience de chemsexeur, lors d’un Nouvel an. Nous étions nombreux. La soirée a dérivé en partouze. Le malaise, la timidité ambiante, nous a conduit à consommer avant la baise. Je n’étais pas adepte des drogues, mis à part un peu de cannabis. De fil en aiguille, j’ai enchaîné les soirées de ce genre et les rencontres de chemsexeurs qui pratiquaient très régulièrement. Dès qu’une personne de ton entourage pratique, l’effet boule de neige est inévitable et il est très vite difficile de s’en défaire.

Quels ont été les impacts du chemsex dans votre vie ?
Si vous n’êtes pas psychologiquement stable, comme ça peut être mon cas, la prise de produits accentuera cette instabilité, surtout lors des descentes. Il y a un effet pervers, la drogue vous apporte du plaisir, une certaine légèreté. Elle décuple vos capacités et vos sensations. J’avais l’impression d’avoir des superpouvoirs et de réaliser mes fantasmes les plus fous. La sexualité est vite devenue mon seul plaisir, elle me permettait de me sentir vivant !

« Je ne peux pas pratiquer le chemsex de manière occasionnelle car je retomberais directement dans la spirale infernale »

J’ai conscience d’être plutôt faible face à l’addiction, et même si je me suis toujours tenu à distance du slam »fait de s’injecter les drogues par intraveineuse, NDLR], d’une consommation occasionnelle et festive, j’ai commencé à pratiquer le chemsex quotidiennement. J’ai fini par consommer les produits le matin, le soir, peut importe le moment de la journée et sans que cela soit associé à un quelconque acte sexuel. Très vite cette confiance en soi que l’on recherche au départ disparaît pour laisser place à la fatigue, liée à la défonce, et, au final, on tombe dans un cercle dépressif. Je n’étais plus qu’un zombie, je devais systématiquement prendre du Viagra pour bander, et cela alors que je n’avais que 25 ans. Je n’étais plus maître de mon corps.

Y a-t-il un cocktail déterminé lorsque l’on pratique le chemsex ?
Il n’y a pas de mélange miracle ou « officiel ». C’est une poly-consommation : MDMA, coke, alcool, 3MMC, GHB, Viagra. Et tout cela en boucle, pour moduler les effets des substances au cours de la soirée. À Paris, j’ai aussi testé la « Tina », la crystal meth, qui m’a fait enchaîner trois jours de baise. Je me suis retrouvé dans des plans improbables et j’ai fini aphone.

Aujourd’hui qu’elle est votre consommation ?
Je ne suis plus addict, je ne consomme plus ces produits et j’ai arrêté les teufs de ce type. Mais il m’aura fallu passer entre les mains de dix médecins pour trouver la bonne personne qui sache traiter mon cas. Le mien a remplacé ma consommation de drogue de synthèse par des substances naturelles. Je prends des graines de LSA [l’amide d’acide lysergique est un alcaloïde indole produit par de nombreuses plantes et s’accumulant généralement dans les graines, NDLR] et des champignons tous les trois mois environ. J’ai choisi la médecine chinoise qui soigne le corps et l’esprit et ne compartimente pas comme la médecine traditionnelle. Je réapprends à écouter mon corps et ses sensations. Je ne peux pas pratiquer le chemsex de manière occasionnelle car je retomberais directement dans la spirale infernale.

Quel a été le déclic ?
Voir des personnes sombrer autour de moi. À Orléans où je vis, la consommation est montée en flèche. Ça m’a fait peur. Je vois de plus en plus de jeunes devenir dépendants. Quand j’ai commencé, je voyais passer des messages sur Grindr du type : « Cherche plan chemsex », aujourd’hui ce sont plutôt des : « Recherche quelqu’un pour m’aider à me piquer », c’est effrayant !
Le plus pervers, c’est qu’en tant que chemsexeur on ne se considère pas comme un drogué. La plupart des nouveaux adeptes ne sont pas consommateurs de drogues au départ. A un moment j’ai regardé la vérité en face, je n’étais plus maître de la situation. J’ai vu en soirée des mecs baiser avec un cathéter pour éviter d’avoir à se re-piquer. J’étais arrivé au bout du plaisir que cela pouvait procurer. Je regrette l’impact que cela a eu sur ma vie sociale. J’ai aussi perdu beaucoup d’amis.

Pierre, 30 ans, fonctionnaire, hétérosexuel

VICE : On associe souvent le chemsex avec le milieu gay et notamment les partouzes, pourtant vous le pratiquez ?
Pierre : Quand je vais en soirée et que je sais qu’il y a la possibilité de « choper », je vais prendre des produits en amont, donc oui, je suis une sorte de chemsexeur.

Votre consommation est-elle liée à l’acte sexuel ou a-t-elle un but festif et désinhibant ?
Je consomme en sachant très bien que le but final est de pouvoir baiser en ayant les effets décuplés. Je ne prends pas les produits – MDMA, coke, 3MMC, Viagra – uniquement dans un cadre « utilitaire » en amont, pour pouvoir séduire. Je suis conscient que cela aura un impact sur la relation en aval. Tout sera plus agréable. Il y a plus d’énergie, plus d’excitation, les caresses paressent plus douces. Je vais consommer les produits en modulant les doses et les catégories pour arriver au résultat escompté.

N’est-ce pas plus difficile de pratiquer lorsque l’on est hétéro ?
Je me suis converti au chemsex il y a trois ou quatre ans. Ce n’est pas très répandu dans le milieu hétéro, peut-être parce qu’il est moins festif et moins ouvert. Ce type de pratiques nécessite du temps, les soirées peuvent se prolonger sur un weekend entier. Beaucoup d’hétéro ont une vie de couple avec parfois des enfants, il faut donc pouvoir concilier les deux. L’important pour moi est de trouver des partenaires qui ont le même objectif. Je trouve souvent ces filles en soirée gay, qui viennent pour éviter la lourdeur du mec hétéro. Je ne pratiquerai pas le chemsex avec quelqu’un qui est en dehors du délire. Il faut un consentement commun. Il y a aussi un intérêt intellectuel à la consommation de produits.

Benoît, 37 ans, travaille dans l’économie sociale et associatif, homosexuel

VICE : Comment le chemsex est-il arrivé dans votre vie ?
Benoît: J’ai commencé à consommer durant l’été 2014. C’est arrivé par hasard. J’étais invité par un plan cul et je me suis retrouvé avec six mecs en face de moi. Je n’étais pas préparé, je n’avais pas l’habitude des partouzes. Il y avait un plateau avec différents produits à disposition. La drogue aide à se désinhiber, donc j’ai tenté. Après cette soirée, j’ai continué à consommer pendant à peu près six mois à des fréquences différentes. Tout a été très vite, à l’automne j’en prenais de manière hebdomadaire.

Les produits donnent l’illusion d’une certaine socialisation mais ce n’est qu’un leurre ?
Assez vite le sexe est lié aux produits et, pour certaines personnes, il peut très vite être compliqué d’avoir des relations sexuelles sans. Avec la drogue, tu n’as pas à faire l’effort de te connecter aux autres, tu es tout de suite en phase, le plaisir est décuplé. Mais il faut garder le distinguo entre le plaisir de baiser sous influence et une libido hors de ce champs-là. Rencontrer quelqu’un devient alors très compliqué, ce qui est paradoxal. Sur une soirée de dix heures ou plus, les souvenirs sont fluctuants, et ce n’est parce que tu apprécies une personne que tu la trouveras tout aussi sympathique au petit-déjeuner. En rentrant dans une addiction hebdomadaire, ton cercle amical se réduit rapidement aux chemsexeurs et ce ne sont pas des personnes que tu reverras pour prendre un café ou bruncher.

« Je ne connaitrais jamais plus un aussi bon flash que le premier, c’est normal. C’est en cherchant à retrouver les sensations initiales que l’on en vient à surdoser »

Comment définiriez-vous le chemsex ?
Il consiste à prendre des produits en faisant du sexe donc peu importe la drogue. Même s’il n’y a pas de mélange officiel, on trouve souvent de la 3MMC, et toutes les nouvelles drogues de synthèse qui ont un effet érotisant et désinhibant. Avec ça, tu es très vite à l’aise pour te mettre à poil et baiser devant tout le monde. Il y a aussi le GBL, sous forme liquide, ça a le même effet relaxant que l’alcool, ça contrebalance la « 3 » mais l’effet est moins long. Le GHB, tu peux dormir et gâcher ta soirée, il faut savoir espacer les prises et savoir bien doser. Quand je sens que je redescends, je me fais une ligne de coke, c’est une sorte de rituel. Au début je mélangeais les trois, mais aujourd’hui je me contente de la 3MMC. J’avais toujours vu l’injection comme la ligne rouge, c’était psychologique, j’avais en tête l’image du toxico. Et puis j’ai senti que l’interdit commençait à tomber. Je me suis dit que je préférais franchir le pas avec une personne de confiance. L’occasion s’est présentée, et j’ai tenté.

Vous êtes devenu ce qu’on appelle dans le jargon « un slameur », comment le vivez-vous ?
J’ai réduit ma consommation en volume en passant à l’injection qui est plus de l’ordre du rituel, il y a toute une préparation, quasi érotisante. Il ne faut pas se foirer. Grâce à mon métier je connais les bon gestes. J’arrive à mesurer ma consommation. Avec mon compagnon on utilise un carnet dans lequel on répertorie nos prises pour faire un bilan le lendemain. Je me suis rendu compte que je consommais moins depuis mon passage à l’injection. Je m’en fais en moyenne entre trois et cinq par soirée et pour chacune l’effet est de deux heures. Au bout de dix heures de chem, je commence à avoir envie d’autre chose. Je me considère comme un « happy chemsexeur », je gère ma consommation pour toujours prendre du plaisir et ne pas tomber dans la dépendance. C’est très lié à mon caractère, et je serais triste de me passer de cette pratique. Je suis actuellement en couple donc je ne vais plus en partouze, mais il nous arrive de faire des soirées et je reste à chaque fois dans la modération. Il faut être conscient de l’impact que les produits ont sur notre corps. Je ne connaitrais jamais plus un aussi bon flash que le premier, c’est normal. C’est en cherchant à retrouver les sensations initiales que l’on en vient à surdoser.


Malgré votre consommation modérée, il reste des risques ?
Oui, ça reste une pratique à risque, notamment sanitaire. Sous produits, le port de capote est de l’ordre de l’illusion. Heureusement la plupart des chemsexeurs, les plus jeunes surtout, prennent la PrEP et d’autres sont sous traitement de trithérapie.

La réponse serait donc le contrôle, dans une pratique qui est justement là pour mener au lâché prise ?
Quand j’ai commencé le chemsex j’ai rencontré un mec avec qui j’ai eu un début de relation, il est mort d’une attaque cardiaque. Il était assez facile de faire un lien avec sa consommation de produits. A l’annonce de sa mort, j’ai enchaîné un marathon chemsex de trois jours. Comment refuser de se faire du bien ? Comment dire non à la seule chose qui vous fera oublier vos soucis ? Seulement, il y a la rechute et à ce moment-là, les soucis n’ont pas bougé. C’est à partir de là que j’ai commencé à modérer ma consommation et à conscientiser ma pratique. Mais certaines personnes ne réussiront pas à se modérer et ne trouveront la solution que dans l’abstinence la plus totale.

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