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Les sri-lankais de Genocide Shrines représentent la branche « anti-dharmique » du death metal


Photo – Vault of Dried Bones

« Nous n’avons jamais connu la paix au Sri Lanka, » raconte Chathuranga Fonseka ( a.k.a Tridenterrorcult), le porte-parole de Genocide Shrines, un groupe de death metal de Colombo. En effet, depuis la fin officielle de la guerre civile sri-lankaise en 2009, c’est une paix très précaire qui règne sur l’ensemble de la nation. Chatharunga a grandi dans une ville qui fut pendant plus de trente ans le centre névralgique du conflit entre les militaires sri-lankais et les Tigres Tamouls. Il a vu Colombo se transformer en « une zone de guerre, faite de checkpoints et de barrages, où les contrôles d’identité et la peur d’un attentat-sucide étaient incessants.» Une tension et une violence omniprésentes, qu’il a fini par retranscrire en musique. Genocide Shrines a vu le jour en 2011, et a provoqué, dès la sortie de son premier EP, Devanation Monumentemples, de très vives réactions. Aves son doom-death bardé de samples orientaux, Genocide Shrines rend hommage à son patrimoine et à son héritage culturel, tout en les profanant. En deux disques seulement, ils se sont imposés comme les représentants de la branche « anti-dharmique » du death metal.

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Le 22 mai dernier, le groupe a sorti son nouvel album Manipura Imperial Deathevokovil (Scriptures Of Reversed Puraana Dharmurder) sur Vault Of Dried Bones. Un disque qui marque une nouvelle étape pour le groupe, la production étant de bien meilleure qualité et les compositions nettement plus riches et structurées. « Hurl Bruning Spears To Exhume The Raavanic Throne Of Sivvhela Retaliation » est le genre de secousse sismique que Nile rêverait de pouvoir reproduire un jour. D’autres titres, comme « Aerialdishamanic Bonethrone Omega » rapporchent plus que jamais Genocide Shrines de groupes comme Grave Miasma, Malthusian ou Incantation. En plus de Chatharunga, le groupe compte parmi ses rangs BlasphemousWarGoat (le batteur) et deux membres plus récents, Naga Yakka, de Funeral In Heaven (pour qui Chathuranga est aussi chanteur) et Obliterator, de Serpents Athirst. Des formations qui témoignent de l’incroyable vitalité de la scène metal sri-lankaise.

Pour Chatharunga, le Sri Lanka est « une île d’une beauté à couper le souffle, dotée d’une culture incroyable, qui n’a pas connu autant de catastrophes naturelles que ses pays voisins mais qui a subit bien plus de pertes humaines. Ici, la culture est truffée de traditions. A travers la superstition et la spiritualité, mais aussi plus loin, vers l’inconnu, le conscient et l’inconscient, qui occupent également une place très importante. Tout au long de notre vie ce sont des choses qui nous ont inspirées. Ça a façonné ce que nous sommes devenus et ce que nous faisons aujourd’hui. »

Noisey : Le nouvel album Manipura Imperial Deathevokovil (Scriptures Of Reserved Puraana Dharmurder), est une vraie réussite. Tu peux m’en dire plus sur la naissance de cet album?
Chatharunga Fonseka :
Merci du compliment. Notre processus créatif a toujours été plus ou moins le même. Même à l’époque où on a sorti Devanation Monumentemple, on débordait d’inspiration. Avec mon camarade BlasphemousWarGoat, nous avons presque tout composé et les anciens membres Khoashiva et Perversor ont contribué au projet en apportant leur force de frappe. Après la sortie, Peter de Vault of Dried Bones nous a contacté et a été très clair : TOTAL SUPPORT FOR TOTAL DEATH. On a échangé quelques idées et on a commencé à travailler ensemble. Pendant six mois on a pris soin de bien capturer la dimension horrifique qu’on voulait donner à l’album. Grâce à différents artistes des bas-fonds sri lankais, à de vieux complices, et à différents groupes, nous avons pu obtenir les éléments adéquats pour injecter la dose de haine nécessaire à faire de notre album une véritable sentence de mort.

J’ai procédé à plusieurs changements radicaux dans ma vie quotidienne en me dévouant par exemple à Ravana pour atteindre un niveau d’attention meurtrier et rester vraiment concentré sur notre objectif. On a fait ce qu’on a fait sur les deux premiers projets, en suivant les mêmes rituels. On s’est mis une pression monstre pour arriver à nos fins. C’était limite dangereux. Une fois qu’on a eu le résultat qu’on espérait, on a contemplé le champ de bataille, entièrement recouvert de sang, et on a eu l’impression d’avoir oublié quelque chose. Alors on a décidé de tout reprendre depuis le début pour obtenir un résultat vraiment assassin, capable de faire vraiment tomber les têtes. Voilà pourquoi Vault of Dried Bones a dû repousser la date de sortie, qui était initialement prévue en Janvier.

Qu’est-ce que vous avez essayé de faire sur cet album ? Et qu’est-ce que vous avez réussi à obtenir au final par rapport à vos objectifs initiaux?
Pour nous c’était une sorte de rituel de purification sans précédent. On a mis beaucoup d’énergie dans ce projet pour s’assurer d’obtenir une véritable avalanche de poings dans la gueule. On voulait être sûr que le message du NÉANT soit transmis et on a fait en sorte que ce rituel profane sonne comme une offrande auditive. Nous nous sommes inspirés de notre passé lointain, de l’Art de la Guerre, d’anciens textes, et de choses non-écrites, maintenues en vie grâce à la tradition orale, et qui nous ont été transmises dans les bas-fonds de Pannipitiya, au plus profond de la nuit, devant des tasses de thé noir de Ceylan.

L’idée de violence domine dans tout ce que vous faites avec le groupe, de vos titres à vos noms de scène. Vous pensez que la violence peut apporter quelque chose de bon ?
On devrait regarder la violence d’un autre œil. On ne devrait pas systématiquement lui attribuer une connotation négative. Si on ressent ce besoin de faire référence à la violence c’est parce qu’on est venus au monde dans un pays en pleine guerre civile et raciale. En grandissant, on a appris la loi de la survie et le sentiment de vengeance. C’est quelque chose qui a toujours été présent chez l’Homme. J’aimerais pouvoir replonger dans le passé de nos ancêtres et creuser plus profond dans l’histoire de l’Humanité. Si l’Homme est bien connu pour quelque chose, c’est pour avoir conquis le tiers monde de manière bestiale.

Genocide Shrines adopte une posture « anti-religieuse » et « anti-dharmique », alors qu’autour du monde, le bouddhisme, l’hindouisme et les religions orientales sont généralement considérées comme plus douces et bienveillantes que les autres. Qu’est-ce qui vous déplaît tant dans ces religions?
On canalise notre haine sur des choses qui remontent aux prémices de l’Humanité. C’était quelque chose d’inévitable. Notre processus créatif a été influencé par le fait que nous vivions au Sri-Lanka, à une période où l’extrémisme a atteint des niveaux jamais vus depuis 1983. J’ai adopté cette position très jeune, car j’ai grandi dans une famille pluri-religieuse. Et au fil du temps et de différents évènements, la merde et la corruption ont pointé leur nez. Plus j’avançais, plus je découvrais les failles de ce monde. Ce qui se cache derrière ces religions d’apparence plus douces, c’est un conservatisme extrême, parsemé de grosses doses d’hypocrisie. C’est dangereux. Ça ne retire rien aux origines du monde de Dharma, car c’était un problème bien avant que la masse populaire s’en rende compte. C’était un problème des siècles avant que des organisations terroristes comme le BBS voient le jour. Aujourd’hui, on le constate juste plus facilement. Dès l’enfance, on corrompt nos sens avec différents moyens de propagande utilisés par cette soi-disant culture moderne, basée sur le consumérisme et le bafouement de la vie privée. Pour continuer à évoluer, un sacrifice est nécessaire. Pour qu’une chose survive, il faut d’abord la détruire. Détruire pour protéger, protéger pour préserver.

Colombo est toujours un endroit dangereux, ou bien le calme est revenu ? Quel impact a eu l’Histoire de votre pays dans votre rapport avec la musique et le metal en particulier ?
S’unir contre un ennemi commun pour essayer de survivre et mener une vie prospère a toujours été l’objectif commun des Hommes dans l’histoire de l’Humanité; et dans le tiers-monde, ce concept s’applique aussi. Tout au long de notre Histoire, les récits de guerre, la trahison, le démonologie, la possession spirituelle et les conflits raciaux ont été omniprésents. Ces derniers temps, les suicides à la bombe étaient assez fréquents, d’autant plus que ce sont les grands noms du terrorisme sri-lankais qui ont utilisé la ceinture à explosifs pour la première fois. Au début, les principales zones de guerre se trouvaient dans la province de Jaffna, et dans le nord, mais à la fin de la guerre, elles se sont étendues à tout le pays. Ça n’a pas eu l’impact que vous pensez sur nos cultures et notre vie quotidienne. Les gens (y compris les jeunes générations) sont passés outre et ont su faire face à des situations parfois pires que celles que les gens ont connues par le passé. Même si les choses ont bien évolué pour diverses raisons – notamment l’inversion de l’ennemi commun—ici, c’est toujours la même merde, et c’est comme ça dans plusieurs pays de la région. La corruption religieuse et surtout politique sont monnaie courante. L’extrémisme religieux est constamment alimenté. Les conservateurs font leur maximum pour rejeter la faute sur les forces extérieures et le monde occidental en pointant du doigt leur influence et leur intrusion dans notre culture. Mais ils se cachent bien de parler de leur part de responsabilité, qui est énorme.

Je ne dirais pas que le Sri-Lanka est un pays dangereux, aujourd’hui. Si on fait notre maximum pour garder un statut underground et rester anonymes, c’est par mesure de sécurité – une précaution nécessaire aux vu des enlèvements, meurtres et abus divers, qui sont toujours perpetrés. La vie devient dangereuse quand tu ne prends aucun parti ; peu importe la cause dans laquelle tu t’engages. On vient de familles moyennes au background traditionnel et conservateur, et on n’a jamais suivi aucun dogme populaire. On a toujours voulu construire un nouveau chemin à suivre. On nous a scrutés et chassés. Au Sri Lanka, les gens nous reconnaissent comme une entité peu orthodoxe, imprévisible et inévitable. Donc on préfère avancer seuls et gravire les échelons. Et ce n’est pas une mince affaire car, comme comme on dit au Sri Lanka, il y a toujours un type qui « va tenter de s’éclairer avec la lumière de l’autre. »

Il y a une vraie scène metal au Sri Lanka — avec des groupes comme Funeral in Heaven, Plecto Aliquem Capite, Necrohorde, et j’en passe. Votre position géographique vous oblige-t-elle a travailler plus dur, à relever de plus gros défis que les groupes occidentaux ?
Le seul défi auquel on doit faire face c’est l’économie du pays, et donc du tiers-monde. On a depuis longtemps l’habitude des obstacles, comme le manque de ressources, le manque de savoir-faire technique, etc. Au début, la communauté était assez restreinte, puis avec les temps elle s’est élargie. Et aujourd’hui, le death domine la scène locale. Les premiers acteurs du mouvements sont toujours dans la course et continuent de rester fidèle à leur éthique. Ils ne semblent pas prêt à changer et c’est normal qu’on se sente affiliés à ces mecs qui marchent la tête haute.

Les artistes et les groupes (investis dans le metal ou dans d’autres mouvements musicaux) pour qui on a le plus de respect et d’admiration sont Paranoird Earthling, Raaju et Pabalu de Thapas et Ravana Brothers, Old Castles Massacre, Pariah Demise, Firlorn Hope, Plecto Aliquem Capite, Manifestator, Panzer III, Nadeeka Guruge, VRPI, Serpents Athirst, Necrohorde et nos homologues de Funeral In Heaven et Fallen Grace. On a aussi la chance de rencontrer des gens, qui ne sont pas forcément des musiciens, à travers les pratiques occultes ou d’autres centre d’intérêts communs. Tout ça nous a aidé à façonner ce que nous sommes aujourd’hui. On taira cependant leur nom en raison de leur mode de vie et des pratiques auxquelles ils s’adonnent.

Quand est-ce qu’on pourra vous voir sur scène en Europe ?
Après pas mal d’années d’hésitation, on a finalement décidé de mettre sur pied une tournée avec notre camarade Sandesh, qui s’occupe des opérations de Cyclopean Eye Productions à Bharat. L’objectif est de réussir à booker un maximum de dates en Europe (entre l’Allemagne, la Norvège, la France et la Pologne) pour pouvoir rentrer dans nos frais. C’est quelque chose qu’on ne peut pas négliger, vu la zone dans laquelle on vit et le très mauvais fonctionnement de notre économie. Si tout se passe bien, ça devrait se faire mi-2016. Si certains promoteurs sont intéressés, je les invite d’ailleurs à prendre contact avec Sandesh ou avec moi.

Manipura Imperial Deathevolkovil (Scriptures Of Reversed Puraana Dharmurder) est dispo depuis le 22 mai dernier sur Vault of Dried Bones.

Kim Kelly est sur Twitter.