S’il est indéniable que la musique goth a bouleversé le monde dès la fin des années 70, elle n’en reste pas moins un genre musical difficile à décrire. Plus axée sur la forme que le fond, elle a su fédérer autour d’elle toute une flopée d’individus que la société voyait comme désaxés, excentriques, ou pire, comme des dépressifs que même le valium le plus puissant n’aurait pu soigner. Or, le monde avait tout faux ! La goth music n’était autre que le cri d’incompréhension d’une contre-culture de dandys romantiques un tantinet fragiles face à un monde qui n’arrivait lui-même pas à les comprendre. Un malentendu dont on a fini par s’extirper en acceptant de porter des T-shirts Joy Division ou en reconnaissant l’hypersensibilité de Robert Smith, entre autres.
Face à ce constat, une bande de jeunes MCs, producteurs et réalisateurs américains venus des quatre coins du pays – pays qu’ils ont décidé de nommer East-Flexico – s’est rassemblée autour d’un concept qui transcende toutes les barrières : « l’elegant trap goth music ». De cette union est né un label, Goth Money Records, qui ne cache pas son inspiration pour Cash Money. La musique de ce collectif, composé de Marcy Mane, Kane Grocerys, Black Kray, Karmah, Lil Audi et Hunned Mill, puise dans ce qu’il y a de plus noir en l’homme pour en ressortir tout ce qu’il y a de meilleur.
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Alors qu’ils finissent leur première tournée européenne, ils se sont fait inviter en France par le label Sahara Hardcore. On s’est posé avec Kane Grocerys et Marcy Mane avant leur concert de ce soir à l’International pour qu’ils nous parlent un peu plus de leur bande, versant DIY de la A$AP Mob. Il est temps d’oublier tout ce que vous savez sur les goths, d’ouvrir les rideaux, d’arrêter d’user votre CD best of des Sisters of Mercy et de laisser tomber ce délire de scarification, qui n’a – avouons-le – jamais vraiment attiré les filles. Le goth n’est plus ce qu’il était, et il va falloir vous y faire.
Noisey : Salut les mecs. Pour commencer, vous pouvez vous présenter ?
Kane Grocerys : Moi c’est OG Kane de Goth Money Records, ou Kane Grocerys, le multimillionnaire taliban le plus brillant de ce monde.
Marcy Mane : MFK Marcy Mane, A.K.A. Screwed Boss et Gucci Lion.
Comment est né Goth Money Records ?
Kane Grocerys : On s’est rencontrés sur Internet. On faisait tous de la musique, chacun de notre côté. Après, j’ai rencontré Black Kray en 2012 à LA. On a décidé de créer Goth Money et tout ça. Ensuite, il est retourné en Virginie, dans sa ville natale pas très loin de Washington DC. C’est là qu’il a lui-même rencontré Marcy, tout a commencé à bien se goupiller et Goth Money a vu le jour.
Marcy Mane : J’ai rencontré Black Kray quand j’étais au lycée. On était chacun de notre côté. Il faisait son truc, moi le mien. Après, on a fait un autre groupe qui s’appelait Black Argoons, mais on a changé parce que d’autres mecs avaient un nom qui sonnait pareil et on voulait pas qu’ils croient qu’on les avait pompé. En gros, on a tous fait plein de trucs, puis on s’est retrouvés dans Goth Money Records. On fait comme les plus grands, Cash Money, à l’époque. Ces gars-là avaient deux choses : du talent et une vraie vision du marché. C’est notre plan de faire un truc qui défonce autant qu’eux.
Votre label est composé de rappeurs, de réalisateurs de films, et de designers intéressés par ce que vous appelez l’elegant trap goth music. C’est quoi ce truc ?
Kane Grocerys : J’imagine que c’est un genre musical. Marcy était DJ sur ma première vraie mixtape et il s’est mis à faire de la trap goth. Ce truc est devenu viral sur Internet. Ça a permis à des gens qui étaient branchés trap d’ouvrir de nouvelles portes et de découvrir quelque chose qu’ils ne connaissaient pas.
C’était quoi les trucs que vous écoutiez le plus en grandissant, qui ont eu le plus d’influence sur vous ?
Kane Grocerys : Des trucs de tous les styles, genre Cash Money, Three 6 Mafia, Master P…
Marcy Mane : Dipset et le Wu-Tang, aussi. NWA aussi. Mais ça, c’était plutôt quand j’étais jeune. Les paroles me faisaient marrer.
Dans une précédente interview pour Noisey, vous disiez vous concentrer sans cesse sur le positif à force de grandir entouré de trop de choses négatives. Vous faisiez référence à quoi ?
Kane Grocerys : Là où on a grandi, il se passe plein de trucs merdiques, tu vois ? Genre, le cousin d’untel qui shoote le cousin de l’autre. Les États-Unis, c’est pas comme ici. C’est pas l’Europe. C’est pas Paris. Là, j’suis à Paris et c’est différent. Mais t’as qu’à regarder les immeubles et tu sais que c’est pas la même. J’sais que c’est pareil : beaucoup de drogues, de violence, tu vois. Le mari qui trompe sa femme, la meuf qui tombe enceinte… on prend tous ces aspects négatifs et on les transforme en musique et même si les paroles sont négatives, le truc c’est que ça se ressent positivement dans notre musique.
Marcy Mane : Voilà, c’est exactement ça. Plus tu grandis, plus tu te rends compte que t’écartes la plupart des choses négatives que t’as vécues pour les transformer en positif dans la musique.
J’imagine que le délire East Coast/West Coast, ça vous passe au dessus…
Marcy Mane : C’est wack, mec. C’était totalement faux. Genre de la propagande. Ces mecs-là, c’étaient des mecs comme nous qui ont vu leur image se créer à cause des médias. C’est eux qui ont créé ça.
L’indépendance musicale, c’ets important pour vous ?
Kane Grocerys : Grave, mec. Je veux être mon propre boss et faire tout ce que je veux.
Marcy Mane : Ouais mon pote. J’ai déjà signé un contrat avec un label et je n’ai jamais réussi à comprendre toutes les clauses : y’avait trop de pages ! Ca m’a saoulé et du coup ça n’a rien donné.
Donc, vous ne signeriez pas avec un gros label si l’occase se présentait ?
Kane Grocerys : Pour 30 millions, ouais je signe.
Marcy Mane : [Rires] Ouais, pour 30 millions, mais à condition que je garde mon indépendance. Je veux juste qu’on me laisse faire ce que je veux.
C’est votre première en Europe. Vous revenez de Londres, vous êtes à Paris en ce moment. Ca se passe ?
Kane Grocerys : À Londres, c’était mortel mec. Y’avait du monde et les gens nous connaissaient. On a enregistré un son avec un des mecs de Gorillaz jusqu’à 6 heures du mat. Les gens, l’ambiance, tout était cool. Ensuite, on est allé en Allemagne, en République tchèque. Là, on est en France. Et c’est grave cool.
Marcy Mane : Ouais, c’est un truc qu’il faut connaître au moins une fois dans sa vie. Les gens nous donnent de l’amour. Chaque concert est unique et je ne peux honnêtement pas te dire lequel j’ai préféré.
Vous jouez en concert à l’International ce soir. Comment vous pouvez motiver les gens à venir ?
Kane Grocerys : T’as qu’à leur dire qu’on a des sonorités qu’ils ont jamais entendues. S’ils veulent entendre des bonnes ondes, du positive thuggin. On est juste là pour partager de la bonne musique, gros.
Marcy Mane : Ouais mec, en plus tu pourras dire « j’y étais » comme si t’étais à un concert de 50 Cent à l’époque. On est encore dans l’underground de l’underground, donc ramenez-vous.
On est assez pédant nous les Français et on aime bien comprendre les paroles de tout ce qu’on entend. Vous pensez que le public français sera aussi réceptif à vos lyrics qu’un public anglo-saxon ?
Kane Grocerys : J’ai des origines françaises de par mon arrière-grand-père. Il était Français et j’ai appris quelques mots. De toute manière, chaque note est parfaite, donc pas besoin de comprendre la langue. La musique c’est universel. On est là pour partager.
Marcy Mane : Dans toutes les villes, tout le monde a été réceptif à notre musique. La langue, c’est pas un problème. Flexico, c’est partout. Tout le monde est Flexico. J’me sens proche de la musique française, j’adore Justice c’est trop bien. J’ai même un tatouage de Justice [Rires]. J’aime trop. Et y’a aussi, hmm… Je me souviens plus de leur nom, mais ça a bercé ma jeunesse. Y’a des trucs trop cool en France.
C’est difficile de vous avoir tous ensemble avec Goth Money Records, parce que vous habitez loin les uns des autres. C’est compliqué de faire de la musique dans ces conditions ?
Kane Grocerys : Ça a parfois été un problème mais on a réussi à trouver une solution. On se déplace en Californie ou à New York. On trouve toujours un moyen de s’arranger, de toute façon on s’est rencontré comme ça.
Marcy Mane : Et c’est quand on est tous les six qu’on sort nos meilleurs sons.
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