Cet article est extrait du numéro « Frontières »
C’était il y a à peine quelques années et cela semble pourtant déjà lointain. Début 2011, le rap français observe avec stupeur la montée en puissance infernale de ses homologues américains, en particulier du côté d’Atlanta et de Chicago. Car si le registre trap existe depuis un bail de l’autre côté de l’Atlantique (l’album Trap Muzik de T.I. date de 2003, le classique Thug Motivation 101 de Young Jeezy de 2005), le genre connaît son apogée vers la fin des années 2000. C’est également le moment où il envahit peu à peu le monde entier à coups de rythmiques de plus en plus primaires – et bourrines. Musicalement, il s’agit d’une forme de rap ultra-percussive, lente et donc excessivement « lourde », où les charleys sont mis en avant tandis que le rappeur nous raconte des mensonges à propos de sa vie de vendeur de cocaïne impénitent.
Au début, la plupart des Frenchies jouent les timides : comme avec le crunk, l’idée de simplement beugler sur des instrus minimalistes semble casse-gueule dans un pays où l’on met traditionnellement le texte en avant – y compris lorsqu’on ne sait pas écrire. L’habituel retard prend donc forme et c’est donc seulement aux alentours de 2012 que les premières versions françaises de ce que l’on pourrait appeler des hits trap, voient le jour. C’est Kaaris qui ouvre brillamment le bal, et devient de facto l’ambassadeur du genre en France.
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Si Kaaris perce rapidement, c’est qu’il a avant tout compris comment adapter la trap à son imaginaire : punchlines bien senties, une voix qui s’y prête de façon presque naturelle, et surtout, le rappeur de Sevran a pour lui un bagage technique raisonnable. D’autres livrent également des versions très plaisantes en surfant sur la vague : Booba notamment, qui s’adapte décidément à tout, mais aussi le moins connu Juicy P de Grigny.
Sauf que, vous connaissez l’histoire : il suffit qu’une nouvelle mode s’immisce dans le rap franchouillard pour qu’absolument tout le monde et n’importe qui y tente sa chance, en s’imaginant qu’il s’agit là d’une nouvelle formule magique permettant d’accéder au succès. Du coup, une armée de clones sans inspiration décide de prendre le même créneau. Immédiatement, c’est l’overdose. Le dernier vrai « trappeur » à succès fut Gradur l’année dernière. Depuis, même Niska n’a pas vendu autant qu’il le pensait. Ce dernier l’a admis lui-même : le public s’est clairement lassé du genre.
Musicalement, le rap français arrive aussi à la fin du phénomène. D’une part, le cloud rap prend de plus en plus d’ampleur – PNL, anyone ? De l’autre, les résistants, qu’ils soient jeunes ou vieux et qui n’ont jamais cessé de cacher leur mépris de la trap, se maintiennent comme ils peuvent. Enfin, les critiques à propos du flow prétendu « trop répétitif » des trappeurs raflent désormais tous les suffrages.
Et il y a pire : les trois figures qui étaient les plus marquantes dans ce registre en France se tournent maintenant vers d’autres horizons. Kaaris s’est ouvert à des sonorités beaucoup plus douces dès son second album ; Niska a fait la promo de son nouveau disque en expliquant que la trap « devait évoluer » ; Gradur a carrément tenté le grand écart avec une double mixtape qui comportait un CD rap et un autre carrément pop, façon tubes de l’été chantonnés. C’est d’ailleurs ce qui marche : le jeune rappeur du 19e arrondissement MHD cartonne aujourd’hui avec un style dit afro-trap, où les instrus inspirées de la dance music nigériane épousent son flow de trappeur rendu d’office entraînant, festif et dansant.
Finalement, il s’agit peu ou prou du même cas de figure qu’avec le rap West-Coast au milieu des années 1990. Présent partout et bastonné sur la FM quand c’était la mode, pressé jusqu’à la moelle, le rap californien fut ensuite totalement abandonné, sauf par quelques rares amateurs réellement tombés amoureux du genre, et qui ne l’ont jamais lâché. Bref, c’est un peu la même différence qu’entre un plan cul et une histoire d’amour. Une certaine idée du gâchis.