Dans quelques jours, vous allez vous asseoir sur une chaise de bureau inconfortable et prier pour que le sujet de l’épreuve ne porte pas sur le seul chapitre que vous avez choisi de ne pas lire – même si, après tout, « c’est sûr, ça ne tombera pas là-dessus ». Bien évidemment, vous aurez de grandes chances que ce stratagème fonctionne, ce qui vous fera directement entrer dans la catégorie des têtes à claques qui prétendent « ne pas avoir trop révisé » au lendemain des résultats et qui s’en tirent avec une mention. Mais vous pourriez aussi bien avoir envie de mourir face à un sujet qui ne provoquera aucune réaction synaptique dans votre cerveau, regretter de ne pas avoir écouté vos professeurs vous sommant de ne faire aucune impasse – y compris sur ce sombre chapitre de géographie dédié aux ressources et conflits au Sahara – et sentir votre brillant avenir d’étudiant en histoire de l’art vous filer entre les doigts. À mesure que vos camarades de classe noircissent déjà leur huitième copie double, vous prenez soudainement conscience du fait que votre seul espoir réside dans une fuite de gaz inopinée provoquant l’évacuation immédiate de l’ensemble du bâtiment ainsi qu’une dizaine de vomissements. Mais sachez que rien n’est perdu – surtout au baccalauréat.
Quoi qu’on en dise, ce diplôme ne sert pas à grand-chose, tout en étant indispensable. Il est comme ce texto que vous attendez désespérément après avoir passé la soirée avec une personne à peu près fréquentable. Il ne changera strictement rien à la qualité de votre dite soirée, mais il vous sera plus pénible d’avancer dans la vie si vous ne recevez pas une réponse de type « C’était super ce soir, on se revoit bientôt », accompagnée d’un émoji rieur. L’année dernière, 88,5 % des élèves ont obtenu le bac – parfois par des biais détournés – et ainsi pu quitter le lycée et ses couloirs aseptisés (ou délabrés) pour toujours. Voici un guide qui devrait vous aider à passer les épreuves des filières générales sans trop vous épuiser.
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HISTOIRE-GÉOGRAPHIE
S’il y a bien une matière pour laquelle voler les sujets – ou traîner sur les forums de Jeuxvideo.com la nuit précédente à la recherche de la fuite – peut s’avérer utile, c’est celle-ci. Vous n’avez aucune issue. Vous allez devoir ressortir des connaissances apprises par cœur, et rien ne pourra vous sauver. Si vous n’avez rien fait de toute l’année, vous êtes quasiment foutu.
Néanmoins, ne perdez pas espoir. Mettez l’accent sur les huit points de la partie « étude documentaire/croquis » et laissez-vous aller sur l’épreuve de composition – qui sait, si vous avez déjà joué à Battlefield et si vous appréciez les films avec Tom Hanks, vous pourrez peut-être vous en sortir. N’oubliez pas que le premier venu est capable de répondre à une question en lien avec un document fourni – ça, c’est du niveau JAPD, et le seul fait de ne pas être illettré vous permettra de grappiller des points. Sachez également qu’en cas de géo en épreuve mineure, si je n’encourage pas la triche, je préfère vous rappeler qu’il n’est pas si difficile de vous inspirer d’un voisin qui connaît tout sur « les territoires dans la mondialisation ». À vous de voir.
MATHÉMATIQUES
« L’essence des mathématiques, c’est la liberté », disait le mathématicien allemand Georg Cantor. C’est complètement faux. Pour 99 % des lycéens, les mathématiques constituent un cauchemar éveillé. Si vous êtes en S, on peut avancer sans trop se mouiller que vous comprenez deux-trois trucs aux statistiques et que vous devriez éviter le zéro pointé – tout en maudissant les types ayant assez d’indécence pour faire des blagues sordides sur le « logarithme ne paie rien ». Si vous êtes en L, eh bien, vous n’avez plus de mathématiques au programme – à moins de les avoir choisies en épreuve de spécialité, ce qui n’a rien d’un calcul rationnel vu que vous auriez pu vous contenter d’avoir un 18 en « Arts du cirque » qui vous aurait conduit à jouer du djembé sur le canal Saint-Martin un jour de canicule. Mais c’est une autre histoire. Enfin, si vous êtes en ES, jetez-vous sur la partie QCM et les calculs de probabilité. Si vous êtes doté d’un cerveau d’ homo sapiens de milieu de gamme, il ne devrait pas y avoir de grandes difficultés.
SCIENCES DE LA VIE ET DE LA TERRE
Depuis le collège, cette matière s’articule autour de trois thèmes : le sexe, le cycle de l’eau et les chromosomes. Pour le premier, vous êtes probablement déjà bien armé. Une étude réalisée par l’Ifop pour l’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation numérique publiée en 2017 montre que la moitié des adolescents âgés de 15 à 17 ans ont déjà pris leur goûter devant un site pornographique. A priori, vous n’aurez donc aucun mal à expliquer le phénomène de la reproduction humaine, et tout l’enjeu de l’épreuve consistera à réprimer le ricanement que vous inspirent les mots « trompes de Fallope ». Concernant le second, il s’agit grosso modo de dessiner des petits nuages au-dessus d’une petite montagne, avec des petites gouttes qui tombent et forment des petites rivières. Si vous voulez vraiment faire du zèle, vous pouvez vous risquer à faire un autre petit nuage au-dessus de la mer pour montrer l’évaporation de l’eau. Enfin, cette histoire de chromosomes est assez simple. Si vous voulez comprendre de quoi il retourne, pensez à votre voisin qui s’amuse depuis trois ans à envoyer des stylos Bic au plafond, vous comprendrez. Sinon, vous pouvez toujours consulter le site « La SVT c’est chouette ».
EPS
Ne négligez surtout pas cette matière. Même en errant de manière illogique sur un terrain de sport tel un sac plastique porté par le vent sur un parking de Super U, vous pourriez avoir votre bac grâce à cette noble discipline – ou mieux, décrocher une mention. Bien sûr, personne ne devient sportif de haut niveau en l’espace de quelques semaines. Mais en même temps, quand vous regardez votre prof de sport, que voyez-vous ? Un bon pépère avec une bouée et des poils qui sortent du haut de son tee-shirt. Montrez-lui que vous êtes content d’être là, tel un labrador qui court après un Frisbee – ça devrait faire l’affaire. OK, certains sports sont notés sur la performance, comme l’athlétisme. Mais à l’instar de ces travailleurs du bureau qui passent pour des énormes lèche-cul en clamant avoir « trop de boulot », avoir l’air épuisé après une séance de sport sera une preuve irréfutable de votre dévouement. Avoir une mauvaise note en sport est impardonnable, vraiment. C’est quand même la seule matière où vous n’avez strictement rien à apprendre.
LANGUES VIVANTES
Certes, l’enfer, c’est les autres, mais en l’occurrence, ils seront ici vos plus précieux alliés. Pour peu que vous ayez maté au moins trois épisodes de Game of Thrones et Transformers en VO, vous devriez être capable de surclasser sans aucun souci, au moins à l’oral, vos petits camarades qui ont lâché 80 euros pour s’abonner à The Economist en début d’année et qui auront bien du mal à déployer le vocabulaire du parlementarisme bicaméral pendant que vous lâcherez un « I shall unite the North and defeat my enemies, lol » avec une confiance inébranlable. Comparaison n’est pas raison, mais après sept heures à se taper des mecs bégayants à l’accent narbonnais, l’examinateur appréciera votre audace.
Autant dire que vous n’avez aucune excuse et que si vous n’obtenez pas au moins 14/20, le monde moderne pourrait être tenté de se passer de vous. Pour les LV2, sachez que les professeurs sont de toute façon désabusés de voir que les élèves se contrefichent de leur matière. Prenez un accent ridicule, faites de grands gestes et ne vous arrêtez jamais de parler. Tout ira bien.
PHILOSOPHIE
Si vous voulez décrocher la moyenne tout en ayant somnolé au fond de la classe pendant un an, il va vous falloir intégrer une maxime tout à fait socratique : vous ne savez rien, vous êtes nul. Spinoza, Hegel et Kierkegaard vous laissent pantois et le thème « la Vérité existe-elle ? » ne vous évoque rien d’autre que le retour d’ X-Files à la télévision ? N’ayez crainte, l’important est ailleurs. En effet, il vous suffira de connaître quelques citations d’auteurs sérieux par cœur, et le tour sera joué. Surtout, ne vous attardez pas sur vos propres réflexions existentielles. Vos enseignants s’en foutent, quoiqu’en pense l’élément perturbateur de votre classe qui estime avoir « deux-trois choses à redire sur le concept d’immanence selon Deleuze ».
De plus, n’oubliez pas que la philosophie est une discipline élitiste, et qui entend le rester. Contrairement aux dissertations de culture générale à l’université, qui vous permettront de citer les Strokes, Rabelais et Boby Lapointe dans une même phrase, les disserts de philo ne doivent pas devenir une enfilade de citations tirées d’œuvres originales et grand public. Ayez une petite pensée pour le correcteur qui se tartinera 46 « Il en faut peu pour être heureux » dans le cadre d’un sujet consacré au bonheur. Privilégiez Épicure et Marx, toujours.
SCIENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES
Bon, là, c’est un peu plus compliqué qu’en philo ; vous ne pouvez pas vraiment vous satisfaire de laisser libre cours à votre imagination en paraphrasant la voix off d’ Amélie Poulain. La bonne nouvelle, c’est que vous n’aurez besoin que de deux noms : Bourdieu et Keynes. Tout le reste n’a aucune importance. Il vous suffira donc de réviser pendant une heure les chapitres qui leur sont consacrés dans votre « Petit guide des sciences économiques et sociales » à 15 euros pour être armé face à n’importe quel sujet. Et c’est donc le cœur léger que vous établirez une corrélation argumentée entre la position « moyen bof » de vos parents dans l’échelle sociale et votre propre mention « passable vraiment limite » au Bac, avant d’évoquer « la mort des politiques de relance keynésiennes » sur un ton grave laissant entendre que votre cœur est aussi lourd que votre style.
Si, en plus, vous arrivez à placer que les enfants de cadres écoutent désormais Booba et que Bourdieu avait un fort accent béarnais, vous risquez de frôler la mention. Par contre, évitez de commencer par dire que Keynes était gay de manière complètement gratuite, n’oubliez pas que votre correcteur est vraisemblablement de gauche. Et quoi qu’il arrive, prenez le commentaire de documents ; ça vous fera des chiffres à citer et une occasion de déployer toute la puissance de votre intellect en constatant que globalement, « ça bouge, mais des écarts conséquents se maintiennent ».
FRANÇAIS/LITTÉRATURE
Avant toute chose, sachez que votre note à cette épreuve ne vous donnera aucune indication quant à la suite de votre existence. Que vous soyez en S ou en ES, la matière est coefficient 4 (2 pour l’oral, 2 pour l’écrit) – soit le double de l’EPS. Il n’y a donc aucune crainte à avoir. Concernant l’oral, dites-vous bien que derrière chaque texte se cache une critique des riches de droite, des hypocrites, ou de l’existence en général (cf. Cioran, les poètes en vers, et n’importe quel type ayant inspiré Houellebecq). Le mieux pour vous est de balancer une première partie bourrée de paraphrases, puis une seconde partie intitulée « entre les lignes », où vous pourrez expliquer que le personnage principal est une caricature servant de miroir à des « archétypes sociaux à la dérive ». Si vous êtes en L, vous allez subir le même sort que les autres élèves en première, avant de vous farcir « littérature » coefficient 4 en terminale. Mais comme vous êtes en L, vous avez probablement pris cinéma-audiovisuel en épreuve de spécialité (coefficient 6, 3 à l’écrit et 3 à l’oral), épreuve au cours de laquelle vous décrocherez 18/20 après avoir filmé les chiottes de votre lycée à la manière de Gaspar Noé, et arts en épreuve facultative, ce qui vous permettra de construire une structure en papier mâché et de décrocher, là encore, un 18/20 – sachant que seuls les points au-dessus de 10 comptent. À quoi bon stresser pour le reste ?
OPTIONS
Concrètement, les options ne sont utiles qu’à deux catégories de personnes : celles qui sentent que ça risque d’être tendu pour éviter les rattrapages, et celles qui visent la mention Très Bien pour accéder au Graal des « filières d’excellence » – ou qui comptent se venger de s’être fait voler leur goûter pendant des années en ayant leur photo dans le journal local. Ce n’est pas une raison pour les négliger, puisqu’elles vous filent grosso modo des points gratuits qui vous seront bien utiles si vous vous êtes « mis une race » au Passoã avec Nico et Manu (qui s’orientent vers une formation en médiation culturelle) la veille de l’épreuve de philo. N’hésitez donc pas à tout donner sur le grec – qui vous permettra de surcroît d’expliquer à l’infirmière du lycée l’étymologie du mot « blennorragie » quand vous tenterez d’obtenir une dispense de sport – ou à vous tourner vers l’option musique, qui vous fournira une excellente occasion d’interpréter « La Tribu de Dana » à la flûte avant de livrer votre analyse éclairée des structures rythmiques post-wagnériennes de Diplo. Au pire, même si vous avez moins de 10, ça coûte rien et vous pourrez toujours ressortir tout ça en soirée pour choper une meuf qui a fait L.
CONCLUSION
Sachez que la notation est un principe ô combien arbitraire. Le sociologue Pierre Merle a mis en évidence dans son livre Les notes : Secrets de fabrication qu’une même copie pouvait voir sa note varier très fortement – selon sa place dans la pile, par exemple. Sur un malentendu (de type, prof venant de coïter pour la première fois depuis huit trimestres), vous pourriez donc parfaitement vous en sortir. Apprenez à faire un plan et parlez de ce qui vous intéresse dans la vie, ça pourrait suffire.
Ne l’oubliez pas : la plupart des correcteurs sont vieux. Ils aiment l’ordre, les choses bien alignées et les pages idées de Télérama. De manière générale, tous sont habituellement séduits par une copie qui commence par une citation d’auteur. Apprenez-en une suffisamment large pour qu’elle s’adapte à n’importe quel chapitre. Et si jamais vous n’avez vraiment rien à dire, il vous restera toujours la phrase « La vie est un mystère qu’il faut vivre, et non un problème à résoudre », qui devrait vous permettre d’avoir le bac sans forcer.
Merci à Maxence, Alice, Albane, Clément et à tous ceux qui m’ont brièvement expliqué comment ils avaient obtenu leur bac sans rien foutre, quelque part entre 2007 et 2016.
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