Société

Au moins 30 civils ont été tués par des frappes aériennes américaines en mai

L’opération ciblait des laboratoires de drogue afghans. Un rapport de l’ONU, contesté par les États-Unis, interroge la légitimité de ces objectifs militaires.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
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Des soldats de l'armée américaine se réfugient dans un champ de pavot à opium après que des insurgés talibans ont ouvert le feu le 14 mars 2010. Image : John Moore/Getty Images

Au moins 30 civils, dont des femmes et des enfants, ont été tués en mai dernier par des frappes aériennes américaines contre des laboratoires de méthamphétamines présumés dans l’ouest de l’Afghanistan, selon un rapport de l’ONU publié mercredi 9 octobre.

La Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan, ou MANUA, a « vérifié 39 cas de victimes (trente morts, cinq blessés et quatre indéterminés), dont 14 enfants et une femme dans les frappes du 5 mai ». Elle a également déterminé que seules 17 de ces victimes travaillaient dans des laboratoires de drogue à l’époque.

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Mais le bilan pourrait être beaucoup plus élevé, la MANUA ayant reçu « des informations fiables et crédibles concernant au moins 37 victimes civiles supplémentaires (trente morts et sept blessés), dont trente enfants et deux femmes ». Les 69 autres victimes qui ont fait l’objet d’un rapport ne sont pas encore vérifiées.

Le rapport a également confirmé que certains des sites pris pour cibles n'étaient pas des laboratoires de drogue. « Plusieurs des sites qui ont été touchés n'étaient pas associés à de quelconques activités de production de drogue ». Mais les États-Unis ne sont pas de cet avis. « Les Forces américaines en Afghanistan (USFOR-A) contestent l’analyse juridique et la méthodologie du rapport de l’ONU, a écrit l’agence dans un communiqué. Nous sommes profondément préoccupés par les méthodes et les conclusions de la MANUA. Nous n’accordons aucune crédibilité aux sources dont l'information est limitée, les motifs contradictoires et les intentions violentes. Nous suivons les normes les plus strictes en matière de précision et de responsabilité afin d'éviter les dommages collatéraux. »

« Les chimistes afghans ont adopté une nouvelle méthode de synthèse de la méthamphétamine à l'aide d'un arbuste sauvage des montagnes, connu sous le nom d'oman, qui contient de l'éphédrine »

Ce n'est pas la première fois que l'armée américaine est accusée d'attaquer des civils dans le cadre de ses campagnes antidrogue. En enquêtant sur l’opération Iron Tempest menée contre le trafic d’opium entre 2017 à 2018, des chercheurs de la London School of Economics (LSE), dirigés par David Mansfield, ont découvert que certaines cibles choisies par l'armée américaine n'étaient pas des installations de production de drogue, mais bien des habitations civiles. L'équipe s’est appuyée sur des recherches effectuées sur le terrain avec des experts locaux, des images satellitaires à haute résolution et des renseignements de sources ouvertes pour rendre compte des pertes humaines enregistrées pendant l'opération.

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Cette campagne n'a guère perturbé le commerce de la drogue en provenance d'Afghanistan, qui reste à ce jour le premier producteur mondial d’héroïne. « La décision de bombarder des laboratoires m'a toujours semblé trop ambitieuse », dit Mansfield. Les États-Unis ont pourtant réitéré leur stratégie en mai de cette année, ciblant cette fois-ci des installations de production de méthamphétamine, sur lesquelles l'équipe de Mansfield a de nouveau enquêté.

Les chimistes afghans ont adopté une nouvelle méthode de synthèse de la méthamphétamine à l'aide d'un arbuste sauvage des montagnes, connu sous le nom d'oman, qui contient de l'éphédrine, un précurseur de la production de crystal meth. Cela a entraîné un boom de la production et de la consommation au niveau local.

« J'aime à penser que les recherches minutieuses que nous avons menées à la fois sur les frappes contre les laboratoires et sur la production de méthamphétamine au cours des dernières années ont contribué à mettre en évidence le coût élevé et la contre-productivité des bombardements de laboratoires de drogue. Il est impératif de trouver des réponses plus efficaces et conformes au droit international », ajoute Mansfield.

Pour la MANUA, les personnes tuées dans ces laboratoires n’étaient pas des objectifs militaires légitimes. « Les membres du personnel travaillant dans les installations de production de drogue n’effectuaient pas des fonctions de combat. Ils avaient donc droit à une protection contre les attaques, et n'auraient pu perdre cette protection que s'ils avaient participé directement aux hostilités, et ce, pendant un certain temps », indique le rapport des Nations Unies. Les États-Unis ont de nouveau rejeté cette affirmation, qualifiant d’« étroite » cette conception des combattants.

Les données de l'ONU montrent une forte hausse des saisies de méthamphétamine en Afghanistan, qui sont passées de 9 kg en 2014 à 127 kg en 2017. Selon l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), les saisies annuelles ont atteint 180 kg en 2018 et 650 kg au premier semestre 2019.

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