En 2010, un tremblement de terre d’une magnitude de sept sur l’échelle de Richter a secoué Haïti, provoquant des centaines de milliers de morts. L’aide a afflué des quatre coins du globe : Brad Pitt et Angelina Jolie ont fait un don d’un million de dollars et Sean Penn a mis sur pied une organisation caritative. Puis, le monde a détourné les yeux, vers d’autres horreurs, d’autres catastrophes.
Le photographe Giles Clarke visite Haïti depuis 2011 et a organisé des ateliers de photo pour les étudiants de la Ciné Institute : seule école de cinéma gratuite à Haïti. Sa dernière série, Waste in Time, témoigne de la vie de 2 000 Haïtiens qui travaillent dans une immense décharge gérée par le gouvernement, juste à la sortie de Port-au-Prince.
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VICE : Parle-moi de cette décharge que tu as découverte lors de ton séjour à Haïti.
Giles Clarke :C’est un ancien réservoir qu’on a rempli des décombres du tremblement de terre. C’était la seule source d’eau potable d’une commune très pauvre, Cité Soleil, qui était connue pour être le bidonville le plus dense et le plus dangereux de l’hémisphère ouest — et c’est toujours le cas.
Comment l’as-tu trouvée?
J’ai appris à connaître un peu la région, et au fil de mon enquête, j’ai entendu parler de cette décharge. En fait, on peut la voir de loin depuis Cité Soleil. C’est un immense tas d’ordures. Il y a 80 hectares de débris brûlants.
J’ai demandé à un fixeur local de m’y emmener et, aussitôt que je suis arrivé, je savais que c’était quelque chose comme une autre planète. Des gens vêtus de loques erraient dans la décharge, le visage couvert. C’est un dépotoir isolé avec des gens qui fouillent dans les déchets à la recherche de choses recyclables comme de l’aluminium, des bouteilles de métal.
Tu es allé un peu partout dans le monde, et faire les poubelles est au cœur de l’économie de beaucoup de communautés pauvres. Pourquoi photographier cette décharge en particulier?
La différence, c’est que celle-là était auparavant une source d’eau. Elle symbolise en quelque sorte de la corruption haïtienne. Je crois que c’est le 163e pays le plus corrompu au monde. Le pire dans tout ça, c’est que les camions à ordures sont payés par le gouvernement et aucun règlement qui les empêche d’y jeter tout et n’importe quoi. Il n’y a pas de soins médicaux. On le voit sur les photos : les gens travaillent dans les plus horribles conditions.
Comment les Haïtiens ont-ils réagi quand tu as pris ces photos de leur vie?
Au départ, je n’étais pas le bienvenu. C’est hostile. Mais j’y suis retourné plusieurs fois. Éventuellement, on m’a un peu accepté et j’ai commencé à photographier. La plupart ont moins de dix-huit ans, et certains d’entre eux fuient les autorités. Il y a des gangs et un climat de violence. Beaucoup prennent de la drogue. C’est une version de l’enfer sur Terre, mais aussi une source de revenus et un abri pour plus de 1 500 personnes.
Comment arrives-tu à attirer l’attention sur cette horreur sans l’exploiter?
Selon moi, certaines histoires se doivent d’être racontées. J’étais intéressé par le fait que ces gens sont le symbole de la corruption en Haïti, parce que leur source d’eau potable leur a été prise et n’a pas été remplacée. Il n’y a pas d’aide médicale, pas de réglementation de la gestion des ordures et pas d’autres perspectives d’emplois. J’ai vu la décharge comme une sorte de symbole de ce qui est, de beaucoup de façons, un système corrompu où seule une poignée de personnes s’enrichissent.
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