Toutes les photos sont de Yann Le Flohic.
C’est sûr qu’au moment où on m’a demandé « tu fais quoi ce soir ? » et que j’ai répondu « Je vais voir des autistes jouer de la noise à Montreuil », je ne suis pas exactement remonté au niveau deep house de l’échelle du fun aux yeux de mes interlocuteurs. Et pourtant j’étais plus que curieux à l’écoute du disque des Harry’s de voir et écouter ce groupe d’un genre assez unique en live, formé pour rappel suite aux ateliers musique menés en milieu hospitalier par Franq de Quengo (boss de Bimbo Tower et co-programmateur de Sonic Protest) auprès de jeunes autistes.
À mon arrivée aux Instants Chavirés, la salle est pleine à craquer et l’on se dit que Sonic Protest, festival de tous les extrêmes et organisateur de cette soirée, a réussi plus que jamais son pari de mélanger les publics. Jeunes poseurs habillés comme dans Hélène et les Garçons, vieux noiseux chauves, familles des musiciens, garçons, filles, vieux beaux, jeunes moches, le pari de mélange des publics est réussi. Prends ça dans les dents, Stan Smith.
Le concert; qui fait intervenir plusieurs membres des Harry’s, se divise en deux séquences, cadrées à chaque fois par un musicien qui est intervenu durant les ateliers. Fantazio, sosie de Jean-Pierre Marielle (ou Satanas, le pote de Diabolo, c’est selon votre degré d’ébriété) monte sur scène et tire la première partie du concert vers un univers qui ressemble beaucoup au sien en solo : chanson-cabaret un peu bourrée, un peu naze et très boîte de jazz. La batteuse Emiko Ata (qui collabore aussi avec Mami Chan) amène heureusement une petite touche post punk qui sauve cette première demie heure. Les Harry’s, ultra à l’aise sur scène assènent quelques thèmes vocaux de leur disque, entre monologues obsessifs et harangues de la foule.
Une foule d’ailleurs déstabilisée par ce live sans réels repères. Sorte de jam géante avec des intervenants qui montent sur scène et en descendent à la bonne franquette, le concert donne l’impression d’assister à un live du Wu Tang Clan où tous les membres seraient Old Dirty Bastard. On regrette que Fantazio, perdu entre son envie de se mettre en avant (tant musicalement que physiquement) finisse par jouer les chefs d’orchestres patauds et réprimande les kids qui paraissent comme des poissons dans l’eau et se régalent d’être sur scène. C’est d’ailleurs la bonne surprise d’Arnaud Rivière (l’autre programmateur de Sonic Protest) : « La plus grande souffrance pour les Harry’s c’est de ne pas pouvoir jouer devant un public, d’avoir trop peur du regard des autres, nous explique-t-il. Là ils sont hyper à l’aise c’est vraiment agréable à voir. »
La deuxième partie voit Fantazio aller bourrer sa pipe (enfin c’est ce que j’imagine) pour laisser sa place à Adrien Kanter, deuxième intervenant. Autant être transparent : Adrien est un de mes meilleurs amis et le voir jouer me remplit toujours de fierté (même quand je ne comprends pas trop ce qu’il fait). Changement total d’ambiance en tous cas : reverbs pas calées sur les voix, synthés analos jouées hors temps, guitares no wave, le concert assume enfin la liberté de ses intervenants et décolle vers un free rock rafraîchissant et totalement libéré de règles qui ne devraient jamais avoir leurs places dans un live semi-improvisé tel que celui-ci.
Moment de bravoure avec « C’est la voix », présent sur le disque, qui renvoie Thurston Moore au Comptoir des Cotonniers. On ne sait pas trop où ça commence ni où ça s’arrête, et on ne peut que penser aux récits des pionniers du punk qui ramassaient des instruments qui trainaient par terre et en jouaient à burne sans savoir ce qu’ils faisaient. Bref; on oublie pendant 20 bonnes minutes qu’on regarde des autistes jouer et on se prend juste une bonne fessée de noise élastique et trippée.
Il est donc assez étonnant (et un peu déstabilisant soyons honnête) d’assister au même groupe jouer deux lives aussi différents. D’un côté, les morceaux menés par Fantazio, pas toujours à l’aise, qui tente de faire marcher à la baguette un ensemble qui vibre justement par sa spontanéité, et de l’autre une auberge espagnole accueillante même si mal rangée qui efface tous les doutes de malaise qui pourraient tirer ce genre de projet vers un freak show faussement assumé. Sur le plan musical, le résultat est donc forcément inégal (mais en même temps n’est ce pas le cas de 90 % des lives de musique dite expérimentale ?), sur le plan performatif, en revanche, le pari est réussi quand on laisse aux Harry’s l’espace nécessaire pour s’exprimer et se libérer – car, comme le rappelle Franq, « l’autisme, c’est avant tout un enfermement ».
Une question subsiste : pourquoi doit-on faire rentrer les Harry’s dans le système traditionnel de la musique (un nom de groupe, un disque, une tournée…) ? Franq y répond de la meilleure des manières : « Tout simplement pour sortir du milieu hospitalier ». Les Harry’s chantent « Certaines personnes ont besoin d’aller à l’aéroport prendre l’avion parce qu’ils sont angoissés ». Et à l’époque des faux groupes de rebelles (coucou Destruction Unit) et des faux fous échappés des Beaux Arts (coucou Salut C’est Cool), la folie créatrice la plus punk est certainement celle des Harry’s, du Wild Classical Music Ensemble et du pétage de barrière soutenu par Sonic Protest, Brut Pop et ceux qui les ont précédé (Vivian Grezzini ou The Choolers, par exemple).
Le premier album des Harry’s, Ggots, est disponible sur Metamkine.
Adrien est sur Twitter.