Tout le monde aime embêter les députés. Après tout, ces représentants du peuple français prêtent volontiers le flanc aux critiques avec leurs amortissements délirants et autres avantages indus. Qui oserait croire que ces politicards qui se déplacent difficilement aux votes méritent leurs retraites mirobolantes ? Pour toutes ces raisons, épingler les travers des députés est un passe-temps indémodable. Cela vaut pour la France mais aussi pour la Belgique, comme le prouve le dernier projet de l’artiste belge Dries Depoorter : The Flemish Scrollers, les « scrolleurs flamands ».
Dries Depoorter a déjà fait parler de lui en 2018 avec Die With Me, un service de messagerie accessible seulement quand la batterie de votre téléphone tombe sous les 5%. The Flemish Scrollers est sensiblement plus revendicatif : son but est de « repérer automatiquement les politiciens belges qui utilisent leur téléphone » en analysant les livestreams des sessions parlementaires flamandes sur YouTube. Pour ce faire, The Flemish Scrollers utilise deux algorithmes : le premier détecte les mains qui tripotent des portables et le second reconnaît le visage des contrevenants.
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Histoire de bien asticoter son monde, The Flemish Scrollers mentionne automatiquement les élus pris le nez dans le smartphone sur Twitter, vidéo à l’appui. Contacté par Vice France, Dries Depoorter assure que le but de son projet n’est pourtant pas de tancer les députés pour leur paresse supposée : « Les politiciens ont le droit de regarder leur téléphone. [Rires] Mon travail explore les dangers des nouvelles technologies. Avec ce projet, je dirige cette idée vers les politiciens, car ce sont eux qui sont supposés décider des régulations concernant la reconnaissance faciale et la surveillance. »
La reconnaissance faciale est une technique en vogue et néanmoins controversée. Aux États-Unis, ces technologies « intelligentes » qui identifient des individus en mesurant les proportions du visage ont permis de retrouver de nombreux participants aux émeutes du Capitole. Du fait de biais raciaux, elles ont aussi entraîné des arrestations injustes. La Chine les aurait aussi utilisées pour traquer les Ouïghours. En dépit de ce potentiel de nuisance considérable, la reconnaissance faciale investit rapidement les villes européennes : Moscou, Ceuta, Berlin… En France, la RATP l’utilise pour mesurer le port du masque dans la station Châtelet-Les Halles.
The Flemish Scrollers secoue astucieusement les représentants flamands sur la question de la reconnaissance faciale. Ces technologies jouent sur les pulsions sécuritaires en promettant de détecter automatiquement les malfaiteurs en cavale ou les enfants disparus… Au prix de la surveillance permanente de tout un chacun. Avec son projet, Dries Depoorter rappelle avec une certaine violence que mépriser la liberté au profit de la sécurité sera toujours dangereux. Le sujet est crucial mais l’artiste se montre léger : « C’est ludique et facile à expliquer. J’ai tout développé en quelques jours… » Trouver un nom pour le projet semble avoir demandé plus de temps.
Évidemment, tout le monde ne raffole pas du côté offensif de The Flemish Scrollers. « Plus de 90% des réactions ont été positives, explique Depoorter. Les auteurs des commentaires négatifs sont souvent impliqués en politique… Et je les comprends. Ça peut passer pour une attaque personnelle. Pourtant, c’est un algorithme qui décide. » Histoire de ne pas se transformer en pourfendeur des usages électroniques dans les cercles politiques, l’artiste a choisi de ne pas permettre à son système de détecter les tablettes et les ordinateurs. « Il me semble que ces objets sont plus utilisés pour des raisons de travail, explique-t-il. Je travaille aussi sur une update qui permettra aussi de voir si les gens tapent un message ou s’ils scrollent. Et une autre grosse update dont je ne peux pas trop parler… »
Ces mises à jour vont sans doute prolonger la durée de viralité de The Flemish Scrollers. Cette popularité semble moins motivée par le propos du projet concernant la reconnaissance faciale que par le sentiment de défiance générale vis-à-vis des politiciens. En France et ailleurs, les « petites gens » ne raffolent manifestement pas de leurs représentants. « J’ai reçu énormément de demandes de gens qui ne viennent pas de Belgique, explique l’artiste. Ils veulent faire tourner leur logiciel sur leur propre gouvernement. » Après tout, même les lycéens n’ont pas le droit de manipuler leur boîtier de télécommunication pendant les cours.
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