Il y a bien longtemps, le gouvernement mexicain décidait de nommer deux « ambassadeurs officiels » de son petit alcool local : la tequila. Tomas Estes, 70 ans aujourd’hui, était l’un d’eux. C’est à lui qu’on doit l’introduction des alcools d’agave en Europe. Après une adolescence passée à tracer à moto en Californie avec des Beatniks, Tomas a fini par atterrir à Amsterdam, là où il a ouvert son premier restaurant. À présent, il est à la tête d’une marque de tequila, a publié un livre sur le sujet acclamé par la critique et possède des bars à son nom à Londres et Paris. Pour vous la faire courte : ce mec a de la tequila qui coule dans ses veines.
Tout remonte à l’époque où j’étais ado à Los Angeles. Avec mes potes, on traçait souvent à Tijuana, à la frontière mexicaine, pour faire la tournée des bars. On y allait pour l’atmosphère. Là-bas, tout était possible – on pouvait vraiment faire des trucs de dingue, impensables aux États-Unis.
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C’est là que j’ai pris goût à la tequila. On en buvait beaucoup. Je me souviens de ce bar à Ensenada, le Hussong’s, qui existe depuis le début du XIXe siècle. On y croisait plein de personnages – des marins, des loups solitaires, des aventuriers. C’était ce moment des années soixante où la Beat Generation était un peu sur la fin et le mouvement hippie pas encore très important. C’était une époque passionnante, et cet endroit était parfait pour la vivre en picolant. Il y avait des gens débarquaient à dos d’âne.
Et moi, je passais mon temps à barouder entre le Mexique et la Californie. À l’époque où tout le monde commençait à parler libération et émancipation sexuelle, la ville de Tijuana concentrait tous les vices : tout le monde se défonçait, buvait de la tequila et allait dans des strip-clubs. J’ai beaucoup appris sur la vie pendant ces années-là. J’avais toujours un schlass sur moi et je déambulais au soleil sur ma bécane, en Lévis et torse nu. Ça a été hyper formateur pour ma future carrière derrière un comptoir : j’ai découvert la bouffe, j’ai compris ce qu’était la tequila et l’importance qu’elle avait au Mexique. J’ai découvert la vie quoi.
Mais je dois quand même préciser que j’ai eu quelques petits ennuis avec les autorités du côté américain de la frontière. J’ai fini cinq fois derrière les barreaux – souvent pour vol de bagnoles, mais pour d’autres conneries aussi. En fait, je ne vendais même pas les caisses que je volais : je faisais un petit tour avec et je les abandonnais.
À l’époque où tout le monde commençait à parler libération et émancipation sexuelle, et la ville de Tijuana concentrait tous les vices.
Je crois que si je ne suis pas complètement parti en couille, c’est parce que j’ai reçu une éducation. Dans ma vie, j’ai décroché une bourse d’études à l’Université de Californie du Sud, j’ai été catcheur, j’ai enseigné quelques années et je pense que j’étais plutôt bon – au début tout au moins. Partager mon savoir, discuter du monde, étudier la vie : c’était enrichissant et c’est tellement important.
Mais au bout d’un moment j’ai commencé à prendre la tangente. Toute cette agitation, ça me manquait. J’avais besoin de plus. William Butler Yeats a dit : « Éduquer, ce n’est pas remplir un seau mais allumer un feu. » C’était exactement ça : je savais qu’un feu brûlait en moi. Un feu qui avait commencé à s’éteindre depuis que je bossais à l’université. J’ai donc pris une année sabbatique et je me suis barré en Europe.
Quand j’ai découvert Amsterdam, j’ai compris que c’était là que je voulais vivre : il y avait tellement de libertés, la culture était bouillonnante. J’ai économisé pour y ouvrir mon premier bar, le Cafe Pacifico, en 1976. Il n’y avait aucun restaurant mexicain à l’époque, et aucune bouteille de tequila. Je me suis posé ici et j’y ai allumé un feu.
Ça a vraiment bien marché. On attirait pas mal d’artistes et de musicos. Il y avait des dealers. Des personnages hauts en couleurs. C’était ça, Amsterdam.
Le Cafe Pacifico était vraiment branché. Je me souviens de la fois où Debbie Harry est venue chez nous – tout le monde était au courant. Et aussi une fois, Queen y a reçu l’un de ses disques de platine. J’y ai aussi rencontré les Jacksons et Tina Turner. Il y avait les patrons de Nike qui venaient s’asseoir pour boire de la tequila et manger un bout (et sans doute consommer d’autres substances à côté). C’était un endroit très stimulant – ça transpirait de créativité.
Après ça, je suis allé à Londres ouvrir un autre Cafe Pacifico. À l’époque, Covent Garden, c’était mort. Les gens sortaient soit dans le West London soit à Soho, en fonction des moyens. Mais pour nous ça a marché. La veille de l’ouverture, un magazine nous a demandés s’ils pouvaient interviewer Hunter S. Thompson [dans notre bar]. Tout était en place mais on n’avait pas encore servi un seul verre.
Quand j’ai découvert Amsterdam, j’ai compris que c’était là que je voulais vivre : il y avait tellement de libertés, la culture était bouillonnante.
Je me rappelle bien de lui – il était exactement comme je me l’imaginais : caractériel, explosif. Il avait même l’air un peu violent, mais c’était tellement dingue de le voir en vrai, il avait une vraie présence. Et il n’arrêtait pas d’aller et venir dans la salle. De ce que j’ai compris, il essayait de monnayer son interview contre de la coke.
Depuis, la tequila a fait un petit bout de chemin. Et Londres a changé – la culture a évolué, Covent Garden ne ressemble plus à ce que c’était. Dans la vie on se fait de nouveaux potes, on trouve d’autres bars, on vit des expériences inédites, et dans le monde de la tequila, c’est pareil : on trouve de nouveaux types d’agave tout le temps. Ce qui est vraiment intéressant en ce moment au Mexique, c’est qu’on est en train de découvrir plusieurs petites communautés qui fabriquent elles-mêmes leur propre alcool. Alors c’est vrai, parfois des gens leur volent la recette originale. Mais en général les gens font bien les choses, à la fois pour les populations et pour leur alcool local. Et ça donne des bouteilles géniales.
Ces villages coupés de tout ont des façons uniques pour produire leur tequila et leur mezcal, c’est extraordinaire. Ça fait du bien aux communautés locales et ça booste l’économie.
Depuis que j’ai ouvert le Cafe Pacifico, j’ai lancé 17 restaurants au total. Et à chaque fois, j’amène ces nouvelles boissons avec moi.
Je viens d’ouvrir un restaurant à Paris et quelques autres bars dans Londres. Londres est une ville très variée et il y a une vraie demande ici pour les alcools d’agave. À El Nivel, on a toute une gamme de raicilla, un alcool plus acide, presque vinaigré. On a aussi du sotal, qui n’est pas un alcool d’agave mais a quand même un arôme médicinal qui fait des merveilles dans les cocktails. Chaque alcool a un goût bien particulier et se développe différemment.
Il n’y a pas qu’aux États-Unis et en Europe que les gens aiment la tequila – c’est un engouement mondial. Tout le monde boit de la tequila. Mais on a encore beaucoup de choses à découvrir.
J’adore voir la fascination pour les alcools d’agave en ce moment. La tendance va continuer pendant encore trois, quatre ans. Et puis les gens boiront autre chose.
La plupart des gens commencent seulement à boire comme il faut cet alcool. Il y aura toujours les slammers, les shooters, les rondelles de citron mais boire une tequila authentique et préparée avec amour, c’est autre chose. Le goût est tout à fait spécial, il faut le savourer.
J’adore voir la fascination pour les alcools d’agave en ce moment. C’est ce qu’il faut avoir dans son verre en 2015 et j’ai comme l’impression que ce n’est pas fini. La tendance va continuer pendant encore trois, quatre ans. Et puis les gens boiront autre chose.
Mais les alcools d’agave seront toujours là.
Propos recueillis par Josh Barrie.