Famille nombreuse, famille heureuse. Dans leur ville tranquille de Dundee, le couple Mackenzie alignait les conditions permettant de sagement conclure qu’il allait profiter peppouze du bon vieil adage. On est à la fin des années 50. Ancien de la marine marchande de Sa Majesté, Jim et sa femme Lilly auront six enfants : William, Elizabeth, John, Helen, Alex et Jimmy. Une soixantaine d’années plus tard, seuls Helen et Alex peuvent encore aller descendre une pinte au pub du coin. Tous les autres sont morts – Jimmy d’overdose, John dans un incendie et Elisabeth en se pétant la figure d’un immeuble. Quant à William, il a fait ses adieux à sa famille et au monde en janvier 97, un an après qu’un cancer ait déjà embarqué sa mère, plombant encore un peu plus la dépression qu’il traverse alors. On retrouvera son corps dans l’abri de jardin de la maison de son père dans le village d’Auchterhouse. Conclusion : suicide dû à une surdose des médicaments qui lui avaient été prescrits.
Siouxsie lui dédiera un titre avec ses Creatures, groupe qu’elle forme avec son batteur et chéri Budgie. Robert Smith regrettera de ne pas s’être mieux préoccupé de cet ami pourtant croisé quelques semaines plus tôt backstage à un concert de The Cure. Le général en chef des corbeaux finira par évoquer ce drame dans la chanson « Cut Here ». Une pièce de théâtre écrite sur sa vie sera jouée dans sa ville natale. William avait 39 ans, il était l’aîné de cette famille catholique, et sous le nom de Billy Mackenzie, était aussi l’ange aux ailes empêtrées dans le goudron de la new-wave britannique des années 80 avec son groupe, les Associates.
Etaient-ce les récits pleins d’embruns de son père qui lui donnèrent la bougeotte ? Après une enfance marquée par quelques persécutions en mode tête de turc à l’école qui le poussent à s’isoler dans la musique, Billy se barre à 16 ans en Nouvelle-Zélande avant de débarquer un an plus tard aux Etats-Unis. A Las Vegas, il se marie avec la belle-sœur de sa tante. Trois mois plus tard, il la plante pour ne plus jamais la revoir et retrouver sa tendre et verte Ecosse. Comme l’ensemble du Royaume de Sa Majesté, la nation subit de plein fouet la révolte punk. Il fait la rencontre du multi-instrumentiste Alan Rankine, d’un an son cadet, et les deux décident de monter un groupe au doux nom d’Ascorbic Ones, avant d’opter pour le jovial Mental Torture. Pour enfin finir en The Associates, formule moins chimique, plus acceptable aux heures de grande écoute. Et plus en cohérence avec la new-wave romantique et passionnée qui a dégagé à grands coups de pied dans le derrière le cabaret-rock de leurs débuts.
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Six semaines après que David Bowie cartonne dans les charts avec son single « Boys Keep Swinging », les deux en sortent sauvagement une reprise qui leur vaut immédiatement un contrat avec Fiction Records, label fondé par Chris Parry, le manager de The Cure. Dans la foulée, c’est lui qui produira leur premier album, The Affectionate Punch, qui sort en août 1980. S’il ne contient pas la reprise de Bowie, le disque compacte le glam, le funk glacial, la pop robotique et l’ambiguïté sexuelle de leur héros. En dix chansons, Mackenzie et Rankine foutent une belle claque aux sales odeurs du cadavre punk et ouvrent une brèche romantique dans un post-punk qui brille en cette année 80 par sa tension, sa nervosité et sa noirceur. Joy Division, Public Image Limited, Stranglers, Siouxsie & the Banshees, The Cure, Magazine, Wire, The Human League… De tous, The Affectionate Punch demeure l’œuvre la moins froide du grand frigo cold-wave même si la guitare criarde de « Paper House » saura rallier quelques corbeaux pas encore partis s’agenouiller devant les Sisters of Mercy.
La grande différence avec la concurrence se situe au fond de la gorge de Mackenzie, avec un organe qui peut se balader sur quatre octaves et chatouiller sur leur terrain John Lydon, Scott Walker et Russell Maël des Sparks. Trente-sept ans plus tard, on reste encore scotchés devant des titres aussi habités que « Logan Time », « A Matter of Gender » ou « Even Dogs in the Wild », où Mackenzie et Rankine semblent avoir trouvé la clé de contact de la bagnole de Bowie avant de la planter dans un ravin.
Deux ans plus tard, quand parait son successeur Sulk, The Affectionate Punch se révèle alors comme un brillant brouillon juste là pour brouiller la piste menant les Associates vers un Graal plus pop, plus lumineux, comme une évolution en accéléré des mutations traversées par Bowie à chacune de ses grandes phases. La danse s’y fait moins corsetée, plus libre, moins monochrome, comme quand les deux citent le « Love Hangover » de Diana Ross en version funky de Dundee, avec piano italo-disco. Rétrospectivement, Sulk s’affirme comme l’une des grandes œuvres de la décennie 80 et au final, de celles à venir. « Gloomy Sunday », « Skipping », « No »… on arrête là car au final, c’est chacune de ses chansons qu’il faudrait citer et honorer pour son numéro de haute voltige fière et sans filet.
Mackenzie s’éclate dans de grandes envolées lyriques et lubriques, comme généreux du pognon qu’il a pu tirer du deal conclu avec Warner. Entre autres délires, la coquette somme leur a permis d’emménager dans un hôtel du nord londonien avec une chambre réservée à ses lévriers chéris qu’il nourrit du saumon fumé commandé au room service. Eh oui, ces chiens de course demeurent sa grande passion.
Une grande partie de l’avance part aussi dans les diverses drogues que lui et Rankine consomment allègrement. Il neige de la cocaïne comme à Noël et les deux vont même passer quelques jours à l’hôpital après s’être enfilé des amphétamines qu’ils ont malencontreusement pris pour de la coke. Leur batteur finira par les lâcher aussitôt l’enregistrement plié. Sulk marquera pourtant le seul vrai succès des Associates et donc, déjà, le début de la fin pour le duo new-wave, en dépit d’une étrangeté qui le laisse à la porte du succès qu’obtiendront Simple Minds, ABC et autres Scritti Politti, eux aussi partis de bizarreries de pop expérimentale pas vraiment pensées pour Top of the Pops.
Les mémorables singles « Party Fears Two » et « Club Country » valent pourtant aux Associates de beaux scores dans les charts ainsi que des passages dans l’incontournable émission musicale anglaise. Durant l’une de leurs prestations, Rankine joue sur des guitares en chocolat achetées 230 livres chacune chez Harrods. A mesure que le morceau avance, il donne ses instruments à manger au public.
Composé en 1977 sous le nom de « I Never Will », « Party Fears Two » illustre la soif de perfection de Rankine et Mackenzie. Tant que le morceau ne correspondrait pas à l’ambition de départ, pas question de le lâcher, encore moins de le gâcher. Résultat, trois ans à le préparer, le mijoter afin de sortir du four du studio ce qui reste comme un grand classique de son temps.
Au même moment, l’Angleterre cède à la vague néo-romantique des Spandau Ballet et autres Visage dans laquelle les Associates font figure d’associés contre leur gré. Ils veulent la pop-song parfaite mais ne se reconnaissent en rien dans cette mélasse. Le duo commence à partir en sucette dès qu’il s’agit de s’embarquer pour la tournée promo de Sulk. Mackenzie n’assume pas le succès de certains titres comme « 18 Carat Love Affair ». Sa voix le trahit comme un aveu de refus et Rankine finit par jeter l’éponge avec des conséquences catastrophiques tant le génie vocal du premier se nourrissait de l’inventivité en studio de son comparse.
« Pendant les répétitions, il lui arrivait même de se moquer de « Party Fears Two » racontera plus tard Rankine. Je pense qu’il voulait juste créer mais ne voulait pas faire ce qu’on attendait de lui. Il estimait que c’était du sur-place. » Après avoir fait la une du mensuel pour ados Smash Hits, Mackenzie refuse une offre de 600.000 dollars d’un label américain. Seymour Stein, grand vizir du rock US et patron du label Sire Records qui a déjà placé sur orbite Ramones, Blondie et Talking Heads, perd patience et lâche l’affaire.
Rankine parti, Mackenzie reste le seul associé à bord et continue à enregistrer des albums inégaux auxquels il manquera l’étincelle unique de leur géniale union. Ils tenteront bien de se rabibocher en 1993 mais le peu d’enthousiasme du chanteur aura définitivement raison du groupe dont il utilisa le nom pour deux disques dont il ne reste pourtant que le seul associé, les plus légers Perhaps et Wild and Lonely.
En solo, MacKenzie retrouvera parfois la flamme, comme sur Beyond The Sun, son deuxième album qui paraitra après sa mort. Toute sa vie, il aura chanté loin de son périmètre pop comme avec les Suisses de Yello pour deux titres de leur album One Second.
Pour cet album, il composera la chanson « The Rhythm Divine » destinée à la voix de Shirley Bassey et l’interprétera lui-même avant de la dévoyer sous le titre « Norma Jean » pour un album hommage à Marilyn Monroe.
On croise aussi sa voix au sein de The B.E.F. (British Electronic Foundation), projet de deux échappés de The Human League à laquelle il apporte une touche de glam androgyne, reprenant son maître Bowie pour « The Secret Life of Arabia » ou se mettant sans problème dans la peau de la soul-woman Deniece Williams en enflammant son célèbre « Free ».
On le verra auprès de Barry Adamson, Holger Hiller, Apollo 440 ou encore Annie Lennox, dans un registre parfois trip-hop qui fait regretter une collaboration véritablement à la hauteur de sa voix dans le registre électronique.
Après sa mort, Björk récupérera des bandes auprès de papa Mackenzie et aura la brillante idée de vouloir lui faire du bouche-à-bouche sur son pensum Medúlla, avec un projet de duo virtuel en prime. L’Islandaise a finalement lâché l’affaire et on en remercie encore les dieux de la pop d’avoir laissé reposer en paix ce ténor new-wave au corps et à l’esprit bien trop fragiles pour cette planète. Ne restent de lui que cette voix irréelle, une œuvre courte, magistrale et porteuse de promesses non tenues. Et des lévriers qui courent comme des dératés en ignorant qu’ils descendent d’une heureuse lignée gavée au saumon fumé et à un romantisme fragile que ne méritait finalement pas ces salauds d’humains.
Pascal Bertin est sur Twitter.
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