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Hé les Islandais, j’adore votre pays mais votre bouffe est vraiment bizarre

Je tiens d’abord à m’excuser auprès de tous les Islandais qui liront cet article. On est d’accord, l’Islande est l’un des plus beaux endroits du monde. Même le pire des sociopathes ne pourrait rester insensible devant la beauté de sa nature et personne de réellement sensé ne pourrait contester sa grande richesse culturelle.

Mais les gars, avouez que votre bouffe est quand même super bizarre. Ne le prenez pas mal si j’émets des réserves quant à la cuisine locale.

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L’Islande n’est pas vraiment réputée pour sa cuisine, ce qui n’empêche pas sa cuisine d’être “réputée”. Pas au même sens que l’Italie, la France, ou même la Belgique — à qui il faut reconnaître un certain talent pour transformer des viandes à l’origine douteuse en saucisses à la fois grasses et délicieuses. En fait, la cuisine islandaise est surtout connue pour être assez répugnante. C’est en tout cas ce que vous diront la plupart des touristes qui en reviennent. Le pays n’exporte pas beaucoup de nourriture, notamment parce que la plupart des cultures refusent étrangement de pousser sur des pentes glacées et privées de soleil les trois-quarts de l’année. Mais il faut aussi reconnaître que les Islandais ont hérité de leurs ancêtres un goût assez prononcé pour les saveurs fortes – le genre de saveurs à vous faire regretter un camembert bien puant. Même Anthony Bourdain – un type qui a pourtant déjà mangé un rectum de phacochère, un œil de phoque et un cœur de cobra qui battait encore – a déclaré que le hákarl, la traditionnelle carcasse de requin fermentée pendant plusieurs mois, était « la chose la plus répugnante » qu’il ait jamais mangée.

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Des pots de sauces magiques au bacon et au chocolat, mais sans aucune calories.

La viande de baleine est une autre spécialité locale, bien que principalement consommée par des touristes. Je n’ai pas eu la chance de goûter, mais on m’a dit que c’était à la fois « effrayant et délicieux » et que ça donnait « l’impression troublante de manger un ami ».

Leur cuisine n’est sans doute pas adaptée à un public non-averti, mais elle ne manque pas de panache. Quand je suis arrivée à Asbru, une ancienne base de l’OTAN à Keflavik, je n’ai pas eu beaucoup d’options pour trouver à manger. J’avais entendu des rumeurs parlant de sucettes au requin pourri et de quesadillas à la cervelle d’agneau. Autant dire que je n’étais pas spécialement préparée mentalement à l’idée d’aller dans un restaurant et choisir un plat au hasard. C’est ainsi que, sans connaître un seul mot autre que takk (« merci »), je me suis lancée dans une aventure aussi excitante qu’effrayante : faire des courses dans un supermarché islandais.

Premier problème: on m’avait prévenue que le coût de la vie était très élevé. Il s’est avéré que le collègue qui m’avait affirmé que les bières les moins chères coûtaient plus de 12€ avait carrément exagéré. En réalité, c’était plutôt un truc comme 5€ ; rien de scandaleux comparé aux prix pratiqués à Paris. Je n’ai jamais été très bonne en maths, mais sachant que 1000 couronnes islandaises équivalent à un peu moins de 7€, j’ai eu l’impression de passer mon séjour à brasser des millions.

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Du saumon sous vide, de qualité inconnue et aux prix très variables.

L’un des supermarchés que j’ai visité, Nettó, ressemblait à une supérette quelconque d’une ville quelconque. Mon regard s’est arrêté sur des paquets de saumon sous vide, ce qui à première vue, me paraissait être un choix de nourriture sûr. Mais quand le moment est venu d’en choisir un, je me suis rendue compte qu’il y avait bien une demi-douzaine de variétés de saumon différentes, avec des écarts de prix considérables. Les portions avaient l’air à peu près identiques, mais certains paquets coûtaient presque 5 000 couronnes (environ 35€ !), d’autres dans les 2600 couronnes (18€) et je n’en ai trouvé qu’un, perdu au milieu des autres, qui affichait un prix abordable (598 couronnes, soit 4€). Je flippais un peu d’acheter ce saumon premier prix, parce que tout a un coût sur cette planète et que si une marque propose le même produit 8 fois plus cher, c’est sans doute pour une bonne raison. Finalement mon choix était fait : pas de saumon.

Je pensais qu’il serait pas bête de m’approvisionner en trucs à tartiner pour quand je voudrais grignoter, mais quand je suis arrivée au rayon des produits frais, j’ai remarqué que beaucoup d’emballages mentionnaient le mot « skinku ». J’ai cherché la traduction sur mon téléphone, mais je n’ai rien trouvé de vraiment convaincant. J’ai tenté une recherche d’images en tapant « skinku Islande » pour trouver comme seuls résultats des dessins postés sur des blogs d’ados et l’image d’une tête de mouton moisie. J’ai laissé tomber l’idée d’acheter une pâte à tartiner.

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Des briques de jus de fruits chelous.

Un peu plus loin, j’ai trouvé un rayon entier d’assaisonnements « sans calories », tous fabriqués par une obscure marque soi-disant américaine, mais dont je n’avais jamais entendu parler. Il y avait plus de 30 variétés de sauces : sauce au chocolat, beurre de cacahuète, de la « moutarde » et de la mayonnaise aromatisée censées ne présenter « aucune traces de calories, matières grasses, glucides, gluten ou sucre », ce qui est tout à fait déconcertant. Je peux comprendre l’intérêt, d’un point de vue nutritionnel, de produits sans matières grasses, sans sucre ou sans gluten, mais mon cerveau refuse de comprendre comment une pâte à tartiner à la cannelle, aux raisins secs et à la cacahuète peut être sans calories. Par pure curiosité, j’ai acheté la sauce à l’oignon et celle au bacon. Plus tard, mes amis et moi les avons goutées – mais pas sans nous être imbibés de tequila au préalable. C’était immangeable. La sauce à l’oignon avait un goût qui nous rappelait l’odeur de la peinture.

Dans l’allée voisine – celle des boissons – je suis tombée sur une brique de jus de fruit nommée Brazzi. Sur l’emballage, on pouvait voir un mec costaud avec un look d’Italien : une moustache fine, un bandana de rappeur et des lunettes de natation, ainsi que ce qui ressemblait fort à un maillot de football américain. Il était flanqué d’une fille à perruque rose et au sourire niais. Ce n’est que plus tard que j’ai réalisé qu’il s’agissait des protagonistes d’une émission pour enfants islando-britannico-américaine, ce qui ne rendait en aucun cas ce jus de fruit moins étrange. Toutefois, les mascottes des jus Brazzi sont toujours moins débiles que cette idée de fruits qui parlent dans les pubs Oasis.

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Oh tiens, du lait au pruneaux. Qui n’est pas intéressé pour goûter ?

Autre chose : le lait. Ou plutôt, ce que j’ai pris pour du lait. L’Islande en a une variété invraisemblable, et même si tout le monde s’exprimait dans un anglais impeccable et était absolument adorable, je n’ai pas osé demander ce que c’était exactement. Il y a avait du lait aux myrtilles, du lait de sureau et ce qui s’avéra être du lait aux pruneaux. En dessous, on trouvait toute une palette de skyr aux parfums divers – le skyr étant une sorte de yaourt tendre qui se trouve être super bon. C’est d’ailleurs la première chose que j’ai mangée en arrivant, après avoir trouvé un pot saveur banana-split dans une station essence. Ça avait le goût d’une glace au yaourt mais à température ambiante, à la fois crémeuse, douce et acidulée. Le skyr est l’une des plus vieilles spécialités de l’Islande. Consommé depuis plus d’un millier d’années, il demeure aujourd’hui un aliment de base. Ce truc me donne envie de foutre le feu aux usines Danone pour avoir osé commercialiser leur « Danao » plutôt que du skyr.

Au rayon surgelés, je me suis immédiatement retrouvée nez-à-nez avec une des célébrités locales : la fameuse tête d’animal. Ou plutôt, des tas de bonnes grosses têtes de porc dont les dents dépassaient, leur groin ayant été découpé. J’ai d’ailleurs cru qu’il s’agissait de moutons, mais leurs museaux étaient bien trop pointus comparés à la tête relativement arrondie d’un mouton. Je suis restée là à les fixer pendant quelques minutes, essayant de trouver à quoi elles pourraient bien ressembler s’il y avait la peau et le pelage. J’ai fini par me convaincre que non, ça ne pouvait pas être des têtes de moutons.

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Je me disais qu’avec les confiseries, au moins, je ne pouvais pas me planter. On n’est jamais déçu avec des bonbecs, pas vrai ? Encore un échec. J’ai acheté trois barres chocolatées avec la ferme intention de toutes les manger – mon passé de morveuse a laissé des traces sur mes habitudes alimentaires – mais j’ai découvert avec effroi que le chocolat n’était qu’un enrobage, sous lequel se cachait une barre de réglisse. Les emballages étaient complètement différents, et correspondaient à des marques tout aussi différentes, mais la manie des Islandais de mettre cette saloperie de réglisse dans toutes leurs confiseries est si forte qu’on en retrouve partout. Pire encore, ce n’était pas la réglisse noire et tendre que l’on trouve dans les assortiments Haribo, mais du salmiakki, une variété de réglisse salée à base de chlorure d’ammonium. Du chlorure d’ammonium, sérieux ? Si vous haïssez sincèrement quelqu’un sur cette terre, offrez-lui des bonbons au salmiakki. Je vous recommande les Dracula Megas, ils donnent une bonne idée du goût de la poudre de chlorure d’ammonium pure. Je me porte aussi garante de l’efficacité des bonbons au bretzel.

J’ai fini par quitter la boutique avec quelques gâteaux de riz, du fromage écossais végétalien de la marque Sheese, une pizza non réfrigérée, qui attendait sagement au rayon des pâtisseries, et quatre clémentines (dont deux étaient en fait pourries à l’intérieur). Finalement, j’étais tellement fascinée par tous les produits islandais que j’aurais pu passer toute l’après-midi dans cette petite épicerie. Hé les Islandais je retire ce que j’ai dit, vos supermarchés sont merveilleux. Mais quand même super bizarres.