J’ai interviewé un mec qui frappe des gens au hasard et se filme en train de le faire

Le Knockout est un jeu d’adolescents ultraviolent qui fait peur à toute l’Amérique. De plus en plus en vogue chez les jeunes des quartiers pauvres de la côte Est des États-Unis, il consiste à frapper dans la tête un passant au hasard tandis que celui-ci déambule naïvement dans la rue, juste pour le plaisir de le mettre KO. D’où le mot « Knockout ».

Les premières références au Knockout en tant que jeu datent de 1992, mais il a pris de une nouvelle ampleur en 2013 via la propagation de plusieurs dizaines de vidéos d’agressions tournées par les agresseurs eux-mêmes. Ils les ont d’abord partagées sur les réseaux sociaux avant d’être repris par les médias. La police craint aujourd’hui que cette mode ne se propage à travers tout le pays ; en plus de New York, on compte des cas de plus en plus nombreux à Philadelphie et Chicago.

Videos by VICE

Une amie de Brooklyn m’a dit qu’elle avait récemment rencontré un « joueur de knockout réputé » qui lui avait montré plusieurs vidéos de KO homemade – pour la séduire, selon elle. Je lui ai demandé de filer mon adresse email à ce mec – John [son prénom a été changé], 24 ans – histoire de comprendre ce qu’il trouvait drôle dans le fait de frapper des innocents dans la rue.

Supérieurement paranoïaque, John a tenu à ce que l’on s’entretienne par chat, chacun depuis un cyber-café (moi à Paris, lui à New York), via une adresse mail créée juste pour l’occasion. Il a commencé en me rappelant que parmi les attaques récentes à Brooklyn, trois étaient signées de lui et ses potes.

VICE : En quoi consiste le Knockout ?
John :
Il n’y a pas de règle au Knockout – tu dois juste mettre KO une victime choisie au hasard dans la rue. Le coup peut partir de n’importe où, et tout le monde est une cible potentielle. Pour moi, c’est juste un moyen de me défouler et de rigoler.C’est marrant d’envoyer des mecs au tapis. Ça me fait marrer quand je vois des gens tomber comme s’ils s’endormaient quand on les tape dans la nuque.

Pourquoi tu joues à un truc pareil ?
Tu sais, quand il n’y a pas de travail, pas d’argent, pas d’opportunités, il ne te reste rien à part la drogue et la violence. Avec le Knockout, on a choisi la violence. Ça nous défoule. C’est comme ça que font les gens ; quand ils sont stressés, ils ont des sautes d’humeur, ils crient, ils cassent des trucs ou prennent des pilules – nous on met un mec KO.

J’ai commencé il y a six ou sept ans. À l’époque, ces attaques n’étaient pas fréquentes et dans les médias personne n’en parlait – on n’appelait pas encore ça le « Knockout Game ». C’était perçu comme des actions isolées, et ça ne gênait personne. Mais dès que les journaux ont appelé ça un « jeu » et ont regroupé toutes les attaques, les gens ont pris peur. Comme si on était une putain de bande organisée. Au début on ne faisait pas de vidéos. On s’y est mis parce que ça nous faisait marrer de revoir l’action ensemble après coup. Ensuite on les a mises en ligne, et c’est à partir de là que la presse a appelé ça le Knockout.

Tu vois ça comme un jeu, toi ?
C’est un jeu entre nous, ouais. Mais un jeu peut être sadique. Dans l’idée même du jeu, il y a toujours un gagnant et un perdant. Ce jeu-là, c’est la face sombre de l’Amérique, cette Amérique accro à la violence, aux flingues et aux guerres. Alors on joue avec ce qu’on nous donne, et on est plutôt bons – t’as vu mes knockouts à la télé, non ?


Un groupe de Knockout gamers, après avoir mis un mec KO

Tu trouves ça violent, toi ? Tu t’es déjà fait courir après, ou frapper en retour ?
Ouais c’est violent, surtout pour les victimes – on est du côté des prédateurs, hein. On est les rois de la jungle, les gardiens du « Brooklyn Zoo ». Pour nous, c’est comme un gros coup sur un punching-ball. Mais on n’arrive pas toujours à mettre quelqu’un KO, y’a des fois où tu tapes un mec et il tombe pas. Ils mettent du temps pour comprendre ce qui s’est passé, et après quelques secondes ils essaient de nous attraper – ils courent et hurlent – mais on est déjà loin devant. On s’en fout d’eux – ils sont tout seuls et on est six ou sept – mais les flics peuvent débarquer entre-temps et nous choper.

Une fois un pote a retenu sa droite au dernier moment, et le passant lui en a mis une bonne : il était sonné. Pendant ce temps, on se marrait à côté. On l’a filmé, et quand il nous emmerde, on lui montre la vidéo de ce jour-là.

Qu’est-ce qui se passe dans ta tête au moment de taper un innocent ? Du stress, de la peur ?
De la peur, non ; du stress, ouais un peu. J’ai envie que ça se termine vite. Au moment où je m’en prends à quelqu’un, j’ai une pulsion de violence et d’imbécillité. Je veux juste montrer à mes potes que je suis un mec qui n’a peur de rien, un mec avec de plus grosses couilles qu’eux. Je ne pense à rien de précis, ou parfois je pense à Mohammed Ali pour le style – faut pas se louper, ta droite passe à la télé gros !

T’as déjà eu des remords après avoir mis un passant KO ?
Il n’y a pas de compassion sur le moment. C’est parce qu’on est avec nos potes, notre empathie est anesthésiée, on veut juste faire marrer le crew en étant stupide – le plus souvent, on quitte la scène en riant. Mes potes m’appellent « Poing d’acier » comme le mec des comics Marvel. Par contre, si tu vois à la télé que le mec sur lequel t’as tapé est dans le coma ou mort – comme ce qui s’est passé récemment –, ça doit être dur à vivre.

En effet. Y a-t-il une cible type ou des gens plus faciles à avoir que d’autres ?
Non. On choisit une cible au hasard, et jamais de meufs – ceux qui s’en prennent à elles sont des connards. Parfois, ça part d’un pari entre nous ou parce qu’on voit des mecs qui nous prennent de haut dans la rue. Maintenant, les médias disent que ce sont des attaques qui visent les Juifs mais c’est un mensonge. La plupart du temps, si ça tombe sur toi c’est juste que t’as pas de chance mon pote.


Une femme victime d’une attaque de Knockout, en Angleterre.

As-tu compté le nombre d’attaques auxquelles t’as participé ?
Non. Y’en a eu plein, mais on ne met en ligne que les vidéos des KO immédiats. Y’a beaucoup d’attaques qui n’aboutissent sur rien. Parmi celles qui ont marché, je dirais que j’ai participé à une dizaine, dont les trois à Brooklyn recensées par les keufs ; c’est chez moi, ne fais pas le malin quand tu passes par là.

Le fait de partager vos vidéos sur les réseaux sociaux a vite rendu le Knockout populaire. Tu penses que c’est en passe de devenir une mode chez les adolescents ?
Le Knockout, ça vient du surplus d’énergie liée au manque d’activités proposées aux mecs du ghetto. Ils se défoulent, c’est tout mec.Aussi t’as vu comment la brutalité est vendue aux adolescents et comment elle est glorifiée par Hollywood et les jeux vidéo ? Mec, y’a une propagande de la violence avec les films et les jeux vidéo genre GTA. La violence est devenue banale.

Tu penses que cette attention médiatique autour du Knockout entravera la propagation du truc ou au contraire, le rendra plus populaire ?
Ça a donné des idées à certains, surtout aux plus jeunes. Mais le Knockout a toujours existé, c’est juste devenu plus populaire ces derniers temps. Les médias en ont rajouté,assez pour faire réagir les hommes politiques qui, pour contrer le nombre d’attaques, ont durci les peines liées au Knockout. Ils ont aussi mis plus de flics dans les rues, et des appels à la vigilance sont diffusés dans les médias. J’ai même vu des interviews de victimes. Ça ne vaut plus le coup de jouer à ça, j’ai pas envie de me faire choper pour de la merde comme ça. Avant il n’y avait pas de conséquence, c’était juste un défouloir.

Tu as envie d’arrêter, alors ?
Ouais, je vais arrêter. Tu sais avec les morts et la prison à vie, ça va trop loin. Je me suis bien marré, mais c’est vrai qu’avec du recul, je vois que c’est pas bien. C’est comme après avoir maté un porno, ça te dégoûte. Mais on le refait, parce que le sexe est une pulsion – comme la violence l’est pour nous.