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Culture

De creepypasta à réseau créatif hors norme, l'épopée de la Fondation SCP

Depuis dix ans, la Fondation SCP – légende urbaine d’Internet – répertorie les êtres, lieux, objets et phénomènes paranormaux qui menacent le monde. Un wiki tentaculaire et alimenté par une communauté très active, même en France.
Photo : Matthieu Gafsou / MAPS

« La Fondation assure le maintien de la normalité, pour que la population du monde puisse vivre chaque jour sans la peur, la méfiance et le doute. » Telle est la mission de la Fondation SCP : « Sécuriser. Contenir. Protéger. » Et pour sauver la Terre, elle agit « de façon clandestine et à l’échelle mondiale ». Comprendre : dans cet univers fictif, notre monde est infesté d’objets, entités et phénomènes paranormaux que la communauté internationale a chargé la Fondation de contrôler.

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Vous ne connaissiez pas l’existence de cette creepypasta ? Normal : la Fondation SCP opère en secret depuis dix ans.

Ainsi, pas loin de 5 000 entités, lieux ou objets imaginaires ont été répertoriés sur un site d’écriture collaborative dans des rapports nommés « SCP ». Ces fiches contiennent une description, parfois agrémentée d’une image, et une « procédure de confinement spéciale » expliquant la méthode – fictionnelle, mais rédigée sur un ton scientifique et académique pour le réalisme – utilisée pour nous préserver de ces objets non-identifiés.

Car à chaque objet sa spécificité. Quelques exemples : SCP-087 est un escalier sans fin habité par « un visage sans pupilles, narines ni bouche » ; SCP-294, une machine à café produisant à la demande n’importe quel liquide existant ; SCP-682, un reptile géant indestructible qui hait toute forme de vie…

Dans ce monde délirant, les entités confinées par la Fondation sont réparties dans trois classes principales selon leur dangerosité : « Sûr » — des anomalies comprises et confinées sans risque —, « Euclide » — des anomalies insuffisamment comprises ou imprévisibles — et « Keter » — lorsqu’elles représentent une grave menace pour l’humanité. Elles sont gérées par un personnel lui-même trié par niveau d’habilitation, titres professionnels et classes. La « Classe-D », notamment, regroupe des prisonniers condamnés à mort utilisés comme chair à canon pour interagir avec les monstres.

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Ça vous paraît foutraque ? Ce n’est pourtant qu’un petit aperçu de l’univers tentaculaire de la Fondation. Car, parmi les têtes d’affiche du genre creepypastaCandle Cove, Suicide Mouse, Slender Man ou le syndrome de Lavanville –, la Fondation SCP est l’une des plus prolifiques grâce à une communauté très impliquée.

Tout commence en 2007, raconte A Fat Ghost, le plus ancien membre actif de la fondation SCP : « SCP-173 est publié sur le board « /x/ - paranormal » du forum 4chan. Il est reçu avec consternation et curiosité. » Les mois suivants, cette creepypasta revient dans les fils de discussion. Le wiki est créé en 2008. Des membres de 4chan abondent et écrivent d’autres rapports inspirés par SCP-173. Après avoir migré de EditThis à Wikidot et survécu à plusieurs hackings et campagnes de trolling, la communauté n’a cessé de grandir, densifier sa mythologie et multiplier les créations annexes.

Aujourd’hui, la Fondation SCP a engendré pêle-mêle : un subreddit qui comptabilise plus de 135 000 abonnés, dont une communauté de roleplay ; plus de 32 000 images contenant le tag « SCP » et un groupe officiel sur DeviantArt ; une pièce de théâtre présentée à Dublin en 2014 ; plusieurs youtubeurs spécialisés… Sans compter que, comme le fameux Slender Man, la Fondation SCP a eu droit en 2012 à son jeu vidéo de survival horror – SCP - Containment Breach – qui a beaucoup contribué à sa popularité.

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En plus de la version originale, américaine, la Fondation possède désormais treize branches internationales officielles : japonaise, espagnole, russe… Et, depuis 2012, française. D’où une base de données massive : « Depuis 2008, tous pays confondus, et en comptant les traductions, il doit y avoir environ 42 000 articles, soit une moyenne de onze publications quotidiennes », raconte Seed Holt, au service bénévole de la branche francophone depuis quatre ans. Un site fondé en janvier 2017 centralise les écrits internationaux traduits en anglais. Rien qu’en France, avec environ 1 300 membres, dont « 300 actifs, 100 très actifs », « plus de 300 rapports originaux, à une moyenne de 2 ou 3 nouveaux par semaine » ont été écrits, affirme fièrement Seed Holt.

Au téléphone, assisté en direct sur Discord par d’autres Français, le jeune homme de 20 ans explique : « Ça vient d’une creepypasta, mais l’univers a grandement évolué. Aujourd’hui, il n’y a plus tant d’horreur que ça. Dans la section « Contes » par exemple, il y a des nouvelles, des poèmes, des formes très libres. » Sans oublier les rapports SCP humoristiques et les innombrables listes complémentaires dérivées de l’histoire de la Fondation – objets anormaux, événements inhabituels, liste noire d’individus, incidents, équipement, « tests faits dans une autre dimension », inventions et brevets

« Le postulat de base, c’est d’être cryptique. »

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« Les styles d’aujourd’hui sont variés car la Fondation SCP est axée autour du paranormal, qui est très, très vaste. » Seule compte la qualité des textes, parfois comparés à du Lovecraft. Seed Holt : « Quand les membres sont nouveaux, leurs premiers rapports sont validés par un membre du staff. Ensuite, ils rédigent comme ils veulent. C’est une écriture collaborative mais, à la différence d’un autre wiki, personne n’y touche après publication. » Notés, les articles sont supprimés si leur popularité tombe à -3.

Le profil de ces « écrivains amateurs » ? « Des personnes plutôt jeunes — la plupart ont entre 15 et 17 ans – qui, comme moi, aiment les jeux de rôle et les univers fantastiques », reprend l’étudiant anglophone. À la fin du printemps dernier, conformément à la tradition lancée par les anglophones, un concours d’écriture a eu lieu pour fêter les six ans de la branche francophone. « Pour ma part, j’ai une dizaine de travaux à mon actif. La Fondation a envahi mon imaginaire, c’est devenu ma référence. »

Il faut dire que, comme l'explique Seed Holt, « la Fondation SCP est une subculture très connue des anglophones ». Le scénariste Max Landis, fils de John Landis, réalisateur en 1981 du film culte Le Loup-garou de Londres, collabore au site. La Fondation SCP est aussi engagée : à l'occasion de la Pride Month 2018, elle a adopté un logo aux couleurs du drapeau arc-en-ciel, suscitant un vif débat.

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Malgré tout, comme le rappelle Seed Holt, la Fondation « est peu connue en France ». Et ce malgré l’ampleur de son lore et le fait que 26 % des lecteurs de romans de 15-25 ans plébiscitent le genre fantastique, selon une enquête Ipsos pour le Centre national du livre (CNL) parue en juin 2018. MrJacketBarths, autre membre français, raconte : « Aujourd’hui, tant qu’on place l’univers de la Fondation dans nos écrits, on reste très libres. Pour autant, en France, seules les personnes qui connaissent beaucoup les recoins d’Internet constituent la fanbase. »

Une situation que beaucoup déplorent. Mais pour Dr. Grym, administrateur, normal que la Fondation reste confidentielle : « Le postulat de base, c’est d’être cryptique. D’entrée de jeu, ça rebute un peu d’être face à un truc aussi complet. » Mais il se souvient du succès de leur réunion IRL, lors de la dernière édition de la Japan Expo. « Nous étions une grosse dizaine, dont certains en cosplay, déguisés avec la blouse de la Fondation. Et c’était assez cool : les gens nous reconnaissaient. »

Le Dr. Grym (à gauche) et ses collègues à la Japan Expo 2018. Source : Fondation SCP - France

Plusieurs projets sont en cours en France, notamment une chaîne YouTube officielle. Rester cryptique tout en s'ouvrant au grand public : si la Fondation SCP n'y parvenait pas, qui le pourrait ?

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