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vapotage

Donny, 21 ans, vapoteur professionnel sur YouTube

DonnySmokes est le « Marlboro Man » des youtubeurs. Ses vidéos devraient-elles être réglementées, à l’instar des pubs pour le tabac ?
Lia Kantrowitz
illustrations Lia Kantrowitz
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
marlboro man

En 1949, le magazine LIFE publiait un reportage photo sur l’élevage en ranch dans l'Ouest américain. On y voyait notamment un cow-boy nommé Clarence Hailey Long. Immortalisé avec un Stetson sur la tête et une blague à tabac dans la poche avant, ce Texan de 39 ans a rapidement acquis le statut d'idéal masculin d’après-guerre. Lorsque le publicitaire Leo Burnett a vu le reportage photo, il y a également vu un moyen de commercialiser des cigarettes filtrées – à l'époque considérées comme un produit typiquement féminin – à destination des hommes. À partir de 1954, Long a ouvert la voie à une série de « Marlboro Men », à savoir les icônes d'une campagne révolutionnaire qui fit augmenter les ventes de cette marque jusqu'alors obscure de plus de 3 000 % en un an.

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Aux États-Unis, les spots publicitaires pour le tabac furent interdits à la télévision en 1971. Et suite à un recours collectif en justice contre les géants du tabac à la fin des années 1990, des mascottes comme le Marlboro Man furent mises au placard elles aussi. En attendant, les jeunes d’aujourd'hui regardent deux fois et demie plus de contenu sur Internet qu’à la télévision – de fait, ils sont plus susceptibles d'entendre parler d'un nouveau produit sur YouTube qu’à la télé. Et si YouTube diffuse des publicités traditionnelles avant les vidéos créées par les utilisateurs, les marques proposent également aux stars de la plateforme d’évaluer leurs produits. Donny Karle, un des youtubeurs qui profitent actuellement de cet arrangement, passe en revue les produits de vapotage sous le pseudonyme DonnySmokes.

Avec ses débardeurs hauts en couleur, Karle n’est pas ce que l’on peut appeler l’incarnation de la virilité, et, pourtant, il est le Marlboro Man de l'ère numérique. Ce jeune homme de 21 ans est introduit au vapotage durant sa première année étude. C'est sur le chemin de la fac qu'un ami lui file une cigarette électronique. Peu de temps après, il se trimballe avec une lourde plate-forme qui pèse dans sa poche, laisse couler le jus de nicotine partout et fait hurler son patron quand il souffle de gros nuages de fumée au travail. C’est ainsi que, le 4 mai 2017, il achète une cigarette électronique beaucoup plus fine et discrète appelée JUUL. Il décide également de se filmer au moment du déballage – sa toute première incursion dans le médium – et de partager avec les internautes ses six minutes de réflexions.

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« Mon but est d'arrêter de vapoter, parce que je n’aime vraiment pas ça », déclare-t-il dans sa vidéo. Ce plan est apparemment déjoué lorsque la vidéo de son déballage récolte le nombre impressionnant de 52 000 vues. Moins d’un an après, il compte près de 120 000 abonnés sur sa chaîne, où il publie plusieurs vidéos par semaine. Bien que son plan initial fût d'arrêter de vapoter, fumer devant la caméra est devenu son job à temps plein.

C’est devenu un business plus qu'un passe-temps quand Karle a atteint les 1 000 abonnés. C'est à ce moment-là qu'il a commencé à tirer parti de sa plate-forme et que les entreprises de cigarette électronique se sont mises à lui envoyer des goodies. Mais le jus de nicotine gratuit n'est pas le principal avantage. DonnySmokes obtient environ 3 millions de vues par mois, ce qui, selon lui, se traduit par un revenu d'environ 1 200 dollars versé par YouTube. Plus lucratif encore, Danny facture toute entreprise qui lui demande de faire une review. « La marque JUUL, par exemple, est trop bon marché pour s’offrir mes services », fanfaronne-t-il au téléphone.

Qu'il en ait conscience ou non, Karle se trouve au cœur d'un débat que les professionnels des médias tentent de régler depuis des années. Même si vous ne connaissez pas le terme de « publicité native », vous en connaissez le concept. Pensez à tous ces posts sponsorisés qui apparaissent sur vos fils d’actualité Twitter ou Facebook. Ils sont intégrés de manière transparente et ne sont perçus comme des placements de produit que si vous y portez une attention particulière. La Federal Trade Commission a eu du mal à réglementer cette pratique, et ce, car elle n'a pas mis au point des lignes directrices précises à l’attention des médias, selon un article publié en 2015 par Brandon Einstein intitulé « Reading Between the Lines ». En gros, il soutient que l'efficacité de la stratégie marketing repose sur la « tromperie » par inadvertance, à savoir le fait que les consommateurs ont du mal à faire la différence entre la critique d’un album et la publicité d’une marque automobile, par exemple.

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Certes, la distinction entre une review et une publicité est parfois un peu obscure. Par exemple, vous ne considéreriez pas une critique de film positive du New York Times comme une publicité, bien que cela encourage évidemment les gens à dépenser de l'argent pour une place de cinéma. Toutefois, les entreprises envoient leurs produits à Karle sans même avoir obtenu d’approbation préalable. Michael Tolmach, le co-fondateur et P.-D.G. de la société Vape Eonsmoke, corrobore cette affirmation. « Il est incroyablement sélectif, et même si vous le payez, il peut refuser de présenter vos produits s’il juge qu'ils ne sont pas pertinents, déclare-t-il. Il nous a également prévenus que si les produits sont mauvais, il ne se privera pas de le dire. »

Le fait que Karle soit payé par les marques elles-mêmes pour ses reviews constitue un conflit d'intérêts. « Tout dépend de votre définition du mot "publicité" explique Anne Tuchman, professeure de marketing et spécialiste des cigarettes électroniques à l'Université Northwestern. « Mais selon moi, ces vidéos sont un exemple classique de publicité native. »

Il semblerait également que les internautes ne maîtrisent que très peu le concept de publicité native. En 2016, une étude de l’université de Stanford a démontré que 82 % des étudiants ne font pas la différence entre une information et un contenu sponsorisé. Ceci est d’autant plus inquiétant que les vidéos de Karle s'adressent à un public très jeune. « Comment CACHER et FUMER votre JUUL à l'école SANS vous faire CHOPER », par exemple. « [Quelqu'un] a-t-il des conseils sur la façon de commander une cigarette Juul sans que les parents le sachent ? » peut-on lire dans un commentaire. (YouTube a signalé la vidéo en janvier dernier au motif qu'elle était « inappropriée ou offensante pour certains utilisateurs ».) Une autre vidéo, qui n'est ni bloquée ni signalée, donne des conseils sur la façon de cacher vos cigarettes électroniques à vos parents.

« Il n'y a aucune chance pour que les gosses du monde entier arrêtent de fumer des clopes ou de vapoter, déclare Karle. Je ne dis pas qu'en tant que mineur, il ne faut pas faire telle ou telle chose. J’essaie de montrer qu’il existe une alternative plus sûre. Je ne fais pas la promotion de la cigarette électronique. Les gens me demandent souvent quelle est mon opinion à ce sujet. C’est très simple : je n'en ai pas. »

Certes, il existe une différence entre les médias traditionnels qui se livrent à la publicité native et l'opération à petite échelle et relativement DIY de Karle. Mais étant donné que YouTube et les sites de streaming ont remplacé la télévision dans la vie des jeunes, il est essentiel de parvenir à une définition plus claire de ce qui compte ou non comme de la publicité native sur des plateformes comme YouTube. De même, il est essentiel de déterminer si les stars de la plateforme doivent être tenues pour responsables de la promotion de produits tels que les vapoteuses dans des vidéos destinées aux jeunes.

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