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Société

Mon enfance chez les Enfants de Dieu

« Au test “Avez-vous grandi dans une secte ?”, je cochais toutes les cases… »
Photo courtoisie

Cet article a été initialement publié sur VICE Australie.

Mouvement religieux fondé en 1968 en Californie, les Enfants de Dieu sont l’oeuvre de l’ancien pasteur David Brandt Berg. Le groupe a atteint son apogée dans les années 80, quand Berg a réussi à rassembler 150 000 adeptes dans le monde, parmi lesquels les parents des acteurs Joaquin, River et Summer Phoenix.

Aujourd’hui ce mouvement est considéré comme une véritable secte. Accusés de promouvoir le sexe entre mineurs et l’inceste, ses membres ont marqué les esprits à l’aide de slogans tels que « Dieu aime le sexe parce que le sexe c’est l’amour, et Satan hait le sexe parce que le sexe c’est la beauté. »

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La famille de Flor Edwards a rejoint la secte alors qu'ils vivaient à Los Angeles. Quand Flor a eu cinq ans, Berg a appelé ses fidèles américains à fuir le « système » et à déménager en Thaïlande. Elle a donc passé une partie de son enfance là-bas, pendant une bonne partie des années 1980.

Flor (à droite, avec des nattes) avec sa famille à Udon Thani.

Le Père David prévoyait l’Apocalypse pour l’année 1993. Elle n’est jamais venue, et le gourou est mort l’année suivante. La dislocation du groupe bien entamée, Flor est repartie avec ses familles à Chicago.

Elle est désormais professeure et publie ce jour-ci Enfant de l’Apocalypse, une autobiographie poignante. Nous l’avons rencontrée pour discuter de la religion et de son traumatisme.

VICE : Bonjour Flor, qui sont les Enfants de Dieu ?
Flor Edwards : Tout a commencé sous l’égide du Père David, issu d’une longue lignée de prédicateurs évangélistes. Lui, tout ce qu’il voulait c’était marcher dans les traces de sa mère. Il a vu ce qu’il se passait avec la contre-culture hippie en Californie et il a saisi l’opportunité au vol. Son but, c’était de créer un nouveau paradigme religieux, de donner à tous ces ados un objectif, une raison de vivre. Là où ça a mal tourné, c’est quand ils ont voulu garder le contrôle, y compris sur ceux d’entre nous qui n’avions pas envie de les rejoindre.

C’était comment, votre enfance en Thaïlande ?
La vie en Asie du sud-est est une expérience plutôt enrichissante. Le souci c'est qu'on ne pouvait pas vraiment sortir de la résidence dans laquelle nous vivions, mais à chaque aperçu que j’ai eu de la culture thaïlandaise et des beautés du pays, ça m’a emballée.

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La communauté de Flor en Thaïlande.

Y a-t-il eu un moment où vous vous êtes dit « OK, je suis dans une secte » ?
Je crois qu’au fond de moi, j’ai toujours senti comme un malaise. Mais il y a eu un déclic : à 15 ans, je me suis arrêtée chez un marchand de journaux après les cours et j’ai fait un test de Seventeen Magazine. Il faisait suite à un article sur une fille qui avait grandi dans une secte. Le titre du quiz, c’était « As-tu grandi dans une secte ? » et j’ai coché toutes les cases. Je me suis pris la vérité de plein fouet.

Où trouve-t-on de la beauté dans une ambiance aussi glauque ?
Il y avait de la beauté partout, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai écrit mon livre. Des pires tragédies peuvent provenir la plus grande beauté. Même dans mon environnement cloisonné, il y avait des fissures, et donc de la lumière. L’incipit de mon livre, c’est ma soeur et moi qui chassons des papillons à Phuket. On n’en savait rien, mais les garder captifs et récolter la poudre de leurs ailes comme on le faisait, ça les tuait.

Je pense que ça illustre assez bien ma vie. On était deux prédatrices, occupées à ravager la beauté de ces papillons, tout comme la secte ravageait notre innocence. Mais on n’avait aucune idée du mal qu’on faisait, et je crois que c’était la même chose pour les adultes du groupe. Le plus triste dans toute cette affaire, c’est la manipulation et la duperie dont ils ont été victimes.

Flor à Udon Thani

C’était quoi, votre idée du paradis ?
Un endroit magnifique, où j’irais vivre après la Grande Apocalypse de 1993. J’en ai passé des nuits à rêver de ma mort et de mon arrivée au paradis. Je recevrais des super-pouvoirs jamais vus, et un corps céleste tout neuf. Je ne vieillirais jamais et je pourrais vivre avec ma famille tout entière. Il faut dire qu’à cause de la secte, on était souvent séparé les uns des autres. On pourrait se gaver de fruits à volonté dans des jardins luxuriants et des forêts tropicales. Pas de guerres, pas de conflits, juste une paix éternelle. C’est ça le paradis dont j’ai rêvé toute ma vie.

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Parlez-nous un peu du chef. Qui était-ce pour vous ?
Le Père David ? Un personnage très complexe. C’est en partie à cause de lui que j’ai écrit ce livre. Il fallait que j’arrive à déchiffrer cet homme qui avait contrôlé mon existence. Enfant, je n’avais d’autre choix que de le considérer comme le premier prophète de Dieu. Je ne l’ai jamais vu, même pas en photo. On nous le décrivait comme un personnage immense, très câlin, avec une tête de lion, et bien sûr il fallait l’aimer d’un amour inconditionnel. En vérité, c’était un homme torturé, plein de côtés sombres.

C’était le narcissique par excellence, toujours caché derrière ses enseignements sur Dieu et l’amour en général. Assez brillant, par ailleurs, avec un QI très élevé. Ultra-charismatique. D’une folie très méthodique. Je ne sais toujours pas s’il avait conscience de ce qu’il faisait ou s’il voulait former une vraie secte. Il était convaincu d’obéir aux ordres de Dieu, c’est ça le plus flippant. Obsédé par le pouvoir, il a fait beaucoup de mal autour de lui. Il est mort un an après sa soi-disant Apocalypse, et à mon avis c’est en grande partie sa culpabilité qui l’a tué.

C’était quoi le plus affreux ?
Je dirais la discipline. Voir les autres brimés de la sorte, surtout mes très jeunes frères et soeurs, c’était ça le pire. Il leur fallait un moyen de nous contrôler, alors ils ont mis au point une discipline très stricte, avec des punitions physiques. Mais vous trouvez tout ça dans mon livre… Je me rappelle avoir compris que parmi nos bourreaux, certains l’étaient contre leur gré, ils ne faisaient qu’obéir. J’ai eu la chance de naître assez tard pour échapper aux sévices sexuels, et ça me fait toujours aussi mal de savoir qu’il y en a eu.

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Flor Edwards.

Comment avez-vous réussi à vous échapper ?
Ma famille n’est pas partie du jour au lendemain, ç’a été lent, étape par étape. Une évasion de deux ans, en quelque sorte. À la mort du Père David en 1994, la secte a commencé à se disloquer et on a été beaucoup plus libre. On habitait Chicago à l’époque. On était quatorze et on s’est retrouvé à l’abandon, sans éducation ni argent, et ne parlons même pas d’une place dans la société. On a reçu l’aide d’une église thaï de la ville. À partir de là, on a pu déménager en Californie et mon père et mes sœurs se sont scolarisés. Partie de rien, je m’en suis tirée pour décrocher un Master d’écriture créative.

Êtes-vous toujours portée sur la religion ? Quelle est votre idée du paradis aujourd’hui ?
Je ne suis pas pratiquante. À mon avis, on devrait distinguer religion et spiritualité, c’est ça le plus gros problème. Aujourd’hui, la religion veut du contrôle, des institutions, et elle se dépouille de son but originel : l’harmonie entre Dieu, la nature, et les fidèles. C’est à cause de ça s’il y a des sectes. Elles promettent une connexion, un esprit communautaire, un but et un sentiment d’appartenance que la religion ne sait plus offrir.

J’ai l’intime conviction qu’on peut trouver son « paradis » sur Terre, alors que « l’enfer », c’est dans la tête. Dans la secte, j’ai connu l’enfer d’une manipulation psychologique de haut niveau et du contrôle excessif. Aujourd’hui, je suis fière de dire que cette expérience m’a poussée à me trouver ma propre paix, intérieure comme extérieure.

Quels sont vos projets pour le futur ?
Aujourd’hui, je travaille dans l’enseignement, et je me demande si je ne vais pas retourner à la fac pour faire un autre Master, et pourquoi pas un doctorat. C’est sans doute à cause de mon absence d’éducation à la base, mais l’apprentissage me passionne. Pour être honnête, le système éducatif américain est dans un bien triste état, et il n’est pas le seul. On a du boulot pour que tout le monde puisse bénéficier d’une éducation de bonne qualité. Oh, et j’espère aussi pouvoir écrire d’autres livres !