J’ai passé une semaine sous nutrithérapie
Illustration : Mazaccio & Drowilal

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Happiness Therapy

J’ai passé une semaine sous nutrithérapie

J’aurais pu vivre 250 ans en faisant gaffe à tout ce qui passe dans mon tube digestif. Mais j’aime trop la malbouffe pour ça.

L’Hexagone est l’eldorado des guérisseurs. Nous sommes le pays le plus sceptique sur les vaccins et plus d’un Français sur deux a recours aux médecines alternatives et complémentaires (MAC). « Alternative » parce que c’est un choix du patient, « complémentaire » parce que souvent associée à l’arsenal thérapeutique conventionnel. Quant à la médecine, c’est simple : le terme n’est pas protégé, malgré les demandes de l’Ordre des médecins.

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Quatre sont encore officiellement reconnues : l’homéopathie, l’acupuncture, la mésothérapie et l’ostéopathie. Pour le reste, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recense plus de 400 pratiques thérapeutiques. Un nombre sans cesse en augmentation.

Alors, pourquoi ne pas se laisser tenter ? Quand d’autres s’attaquent à leur summer body, je me lance en quête d’un summer mind. Durant un mois, je vais tester les quatre catégories de MAC – « biologiques », « manuelles », « approches corps-esprit » ou « systèmes complets ». Histoire de démêler le vrai du faux – et peut-être devenir un homme nouveau.

***

La bouffe est la meilleure amie de l’homme. Mais, dans le sillage des médecines non conventionnelles, on s’en prend au plaisir de s’en mettre plein la panse. L’arme du crime : la « médecine orthomoléculaire », ou « nutrithérapie ». Noms barbares, objectif simple : l’apport optimal des nutriments déjà présents dans notre organisme. Car oui, la vraie vie c’est comme Les Sims, vous devez bien surveiller vos jauges d’acides aminés et de vitamines. Désolé de vous l’apprendre : votre corps est carencé car vous ne mangez pas comme il faut. Résultat : infections et problèmes chroniques – rénaux, cardiovasculaire, endocriniens… Bref, de quoi me mettre en appétit.

Entre les boutiques Zadig & Voltaire, Dior et Chanel du 7e arrondissement de la capitale se cache le cabinet d’Anwar Mirza. Un homme sans âge à la fière barbe blanche, yeux verts et cheveux poivre et sel coiffés en choucroute des années 60, qui m’accueille avec un stéthoscope autour du cou – détail digne des meilleures séries médicales américaines. Me voilà en totale confiance. Un thé maison – cannelle, badiane, romarin, thym – au goût de foin et il me raconte sa vie : né en Inde, diplômé de médecine en Italie, cardiologue en Allemagne… et, donc, nutrithérapeute à Paris.

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Si vous vous demandez comment on peut passer de la cardiologie à cette médecine alternative biologique, c’est simple : « Mon système immunitaire était affaibli par l’alimentation raffinée européenne. En délaissant les nourritures naturelles, j’ai développé de l’asthme. » Il s’y est donc mis d’abord pour lui-même. Et par curiosité, pour « savoir comment nos aïeux vivaient aussi longtemps sans avoir l’alimentation que l’on a actuellement ». Je n’ai pas le cœur à le décevoir, mais la durée de vie moyenne des Français est quand même passée de 25 ans en 1740 à plus de 80 ans de nos jours.

Mirza dégaine un classeur. C’est l’heure d’un petit cours d’histoire à la sauce orthomoléculaire. Résumons : ça vient du chimiste américain Linus Pauling, prix Nobel de chimie et de la paix, dans une publication dans la revue Science en 1968. Son idée : une cellule humaine aurait une capacité de vie de 250 ans. Pour l’optimiser, il suffit de se nourrir comme il faut. Rien que du bon sens là-dedans : « Manger des cerises d’Argentine en hiver, ce n’est pas bon. Elles n’ont pas poussé sous le même soleil et aux mêmes températures qu’en France, en été. » C’est que ça deviendrait presque politique.

Cet interminable entretien me rappelle les heures les plus sombres des présentations Powerpoint à la fac. Florilège : il cite Jean-Pierre Coffe – « un pionnier ! » –, pointe avec une baguette télescopique des maquettes de cerveaux, m’apprend qu’« on ne peut pas faire marcher une Ferrari à l’huile d’olive première pression » et que ses rideaux ont beau être « bio », il ne peut pas les manger.

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Comme le temps passe vite quand on s’amuse, c’est (enfin) l’heure de mon « état des lieux biochimique ». Je m’allonge et Mirza prend mon pouls au poignet gauche, à la jugulaire et aux deux chevilles – pour « sentir les deux côtés ». Puis il tapote sa main posée sur mon ventre, qui sonne creux à plusieurs endroits. Verdict : « Vous avez des gaz. » Les présentations sont faites.

Un diagnostic de l’état de mes ongles et de mes yeux avec une petite loupiote – « tout ça fait partie d’une science, je n’ai rien inventé ! », clame-t-il en me montrant ses bouquins – et c’est l’heure de la spécialité maison. Mirza brandit une sorte de baguette de sourcier en ferraille qu’il pointe vers moi. « Elle capte la résonance du champ biomagnétique de vos différents organes », assure-t-il. Cet appareil « du XVIIIe siècle » vibre devant mon ventre. Pas bon signe. Il confie malicieusement : « Je le savais déjà, mais je m’amusais à le confirmer. »

Maintenant qu’on a bien ri, passons aux conseils alimentaires que je vais m’infliger appliquer pendant sept jours. Pêle-mêle :

  • Les Don’ts : café, fast-food, produits raffinés, lactose, gluten.
  • Les Do’s : fruits et légumes bio, beurre au lait cru, compléments alimentaires (vitamine A, C, E, magnésium, zinc, calcium) et marche à pied.

O.K., ça va le faire.

Jour 1
O.K., ça ne va pas le faire. Il y a du gluten partout. Contrairement à la majorité des jeunes Français, je ne suis pas fan de fromage – donc me passer de lactose une semaine, c’est faisable. Manger bio aussi. Arrêter le café, pourquoi pas. Mais stopper tout ce qui est à base de blé, c’est un vrai défi. Le gluten « remplit le ventre mais rend faible, car les cellules ne sont pas nourries », m’a dit Mirza. Pourtant, moi, j’ai (déjà) envie d’un gros plat de bolognaises. La semaine va être longue.

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Jour 2
Alerte : sortie avec des amis. À la place d’un burger, je grignote toute la soirée de la friture d’éperlans. Je ne suis pas hyper certain que ce soit meilleur pour ce que j’ai, vu la dose d’huile. Mis à part ça, tout se passait bien jusqu’à ce moment tragique où je me suis rendu compte que, oui, la bière contient du gluten. J’aurais pu me faire vomir, comme dans un mauvais remake du Sens de la vie. J’ai préféré reprendre une pinte.

Jour 3
C’est décidé : à partir de maintenant, plus d’écart. Je me suis fait une raison : je suis condamné à bouffer du riz et des patates pour une semaine. Mon compte en banque de stagiaire, lui, arrive moins à se faire à l’idée – c’est que ça coûte cher, le bio. Et le pire, c’est qu’une étude américaine dit que ce ne serait pas meilleur pour la santé. Je sale mon gaspacho avec mes larmes orthomoléculaires.

Jour 4
Pause culture : vous connaissez tous les régimes miracles – Dukan, Atkins ou Weight Watchers. Mais avez-vous déjà jeté un coup d’œil aux cures alimentaires anti-cancer ? L’Autrichien Rudolf Breuss, mort en 1990, proposait de boire du jus de légumes pendant 42 jours ; Alain Scohy, lui, préfère le jus de citron – et malgré un redressement fiscal en 2002 qui l’a poussé à s’installer en Espagne, il continue à organiser des formations. Je me dis que je ne suis pas si mal loti. Pour fêter ça, j’ai repris une carotte bio à midi.

Jour 5
Des pilules, des petites pilules, encore des petites pilules. Entre cinq et sept, quasiment des couleurs de l’arc-en-ciel. Et encore, je me passe de la vitamine A, conseillée par Mirza, parce que ma pharmacienne a refusé de m’en donner sans ordonnance. Quel dommage. Passé l’effet dragées surprises de Bertie Crochue des cachetons, je me faisais à l’idée. Mais là, ça commence à coincer. Littéralement : dans mon œsophage. Mal réveillé, j’ai failli m’étouffer avec un combiné calcium-magnésium-zinc-D3 que j’ai héroïquement pu recracher. Me voilà reporter gonzo en zone de guerre.

Jour 6
Il est temps pour moi de faire un peu de marche – « le jogging à Paris, ce n’est pas terrible à cause de la pollution », m’avait dit Mirza. 14 190 pas – soit 9,5 km, selon mon smartphone – plus tard, j’engloutis un paquet de galettes de maïs sans sel en rentrant chez moi.

Jour 7
Alors que je m’étais habitué à confondre mon frigo avec un potager, c’est déjà la fin. Mais je n’ai qu’une seule envie maintenant : me rattraper.

Bilan : j’ai perdu 1 kilo et j’ai découvert le taboulé au quinoa. Cette fois c’est sûr, mon summer mind porte ses fruits.

Vous pouvez lancer des tomates (bio) à Bruno sur Twitter.