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Voici le bar PMU où bat le cœur de la Croisette

Loin des villas, des plages, des bateaux et des palaces, c’est au « Petit Majestic » que les nuits cannoises se consument.
Petit Majestic Cannes
La Croisette © Valery Hache / AFP

Devant le bar, il y a 500, 600, 700 personnes sur le trottoir. Peut-être plus. Une petite bruine tenace s’écrase sur le bitume mouillé et la surface lisse des tables en aluminium. Les verres à bière sont en plastique, servis à la chaîne par une tireuse sous un auvent rouge. La queue aux toilettes est longue.

Le Petit Majestic est le – seul – bar « normal », en plein milieu d’un Festival de Cannes que l’on peinerait à étiqueter ainsi. C’est un rade comme il en existe des centaines en France. Pourtant la foule ne dégrossira pas jusqu’à l’aube et ce toutes les nuits pendant presque deux semaines.

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Au croisement des rues Tony-Allard et Victor-Cousin, en face d'une agence immobilière, d'un centre d’épilation et d'un immeuble à étage aux palmiers fatigués vit un amas grouillant de festivaliers en quête de repères et de verres pas cher. Comme un écosystème à part, qui se régénère à la bière.

« Toute l’année, on a une clientèle locale, plutôt populaire, qui joue aux courses. Mais en apparence, c’est un bar PMU comme un autre » – Cédric Aich, patron du Petit Majestic

« Le Petit Maj’, c’est spécial. C’est beau pendant 10 jours et le reste du temps, moins », pose Cédric Aich, patron de l’endroit. Ce Cannois au crâne rasé possède le coin depuis 12 ans. Avant de le racheter au Yougoslave et au Corse qui le tenaient, Cédric naviguait sur des bateaux. Et puis un jour, il en a eu marre de son capitaine.

En 2007, il reprend ce restaurant-salon-de-thé-café-PMU qu’il connaît bien pour être du quartier. « Toute l’année, on a une clientèle locale, plutôt populaire, qui joue aux courses. J’ai des gros clients, des hommes riches qui parient des centaines de milliers d’euros par jour. Mais en apparence, c’est un bar PMU comme un autre. »

Le guichet qui s’occupe des courses hippiques est alors le point d’orgue du bar. Treize millions d’euros sont échangés ici par an. Mais quand arrive le mois de mai, Cédric engage entre 7 et 20 serveurs en plus. Le PMU disparaît alors pour laisser place à une population qui se pointe parfois en costume nœud papillon, robes de soirées, et talons haut. Et surtout avec l’envie de boire des verres simples sur un trottoir mouillé.

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Ici, qu’importe la couleur de son accréditation ou son statut dans la fourmilière hiérarchique de Cannes, on entre comme dans un moulin, par la porte. Il fût une époque, lointaine, où la foule du Petit Maj’ rejoignait parfois celle d’un autre bar ouvert et libre, le Petit Carlton.

« Le Festival était à l’emplacement du Marriott à l’époque », raconte Cédric. « Le Petit Carlton, c’était le rendez-vous d’il y a 35 ans, tout le monde y allait. Et puis, le Petit Majestic a ouvert, les deux bars sont devenus très populaires, les rues autour étaient complètement bloquées. Un peu plus tard, le festival a changé d’emplacement et le Petit Carlton est devenu un magasin Geox. Depuis les gens ont gardé comme point de rendez-vous le Petit Majestic » .

En 35 ans d’existence, le Petit Majestic est devenu, contre toute attente, l’épicentre du Festival. Ici, pas de soirées privées, de « carte de membre » comme au Silencio, de moulures ou de videurs comme au « Grand Majestic ». Le bar est toujours ouvert à tous, de 6h du matin à 2 heures – voire 5 heures.

Pas non plus d’augmentation des prix par rapport au reste de l’année. Une règle cruciale pour Cédric. « C’est comme ça qu’on reste populaire, en attirant les gens qui n’ont pas forcément les moyens de payer des verres hors de prix comme partout ailleurs pendant le festival. On a fait le pari de la quantité plutôt que la qualité. On a un noyau d’habitués, et puis quand on voit 500 personnes sur le trottoir, ça donne envie de venir voir » .

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Résultat, selon la météo, « 1 500 – 2000 personnes les mauvais soirs, 5 000 les bons. Ça nous fait un tiers de notre chiffre d’affaires de l’année », calcule Cédric. Cette année : le bilan est plutôt mauvais, presque 40 % en moins par rapport à l’année dernière. Il a beaucoup plu « On n’a pas eu une météo aussi pourrie depuis 40 ans ! » – et Cédric doit encore se battre avec la mairie.

« Des acteurs Français, beaucoup, quelques Américains dont Morgan Freeman. Mais les grandes stars, elles se déplacent moins. Elles ne veulent pas trop se montrer la gueule enfarinée ou alcoolisées »

« C’est eux qui décident de tout , soupire-t-il. Je suis tributaire de leur bon vouloir. Cette année, ils m’ont fait une fleur, j’ai pu ouvrir jusqu’à 5h six nuits sur onze. Le reste du temps, je dois fermer à 2h. Mais peu à peu, on m’enlève des autorisations, des tables sur la route, des tireuses à bière dans la rue, etc… C’est difficile de se battre contre ça ».

Pourtant, le Petit Maj’ n’est pas un bar à problème : « Aucune bagarre en 12 ans, assure son patron. Les gens viennent discuter, parfois travailler. Il y a juste des mecs bourrés. Une fois, des Anglais déchirés m’ont demandé de leur commander un taxi pour le centre de Londres ».

Mais il se passe aussi des choses plus inattendues : deux des employés de Cédric ont rencontré leurs femmes – des productrices de film – pendant leur service au Petit Maj’. On y croise également souvent Edouard Baer. « C’est un habitué, il vient tous les ans à la fermeture prendre un ou deux verres gratuits. Mais cette année, bizarrement, on ne l’a pas vu. »

Des acteurs, Cédric en a vu défiler dans son bar, « Des Français, beaucoup, quelques Américains dont Morgan Freeman. Mais les grandes stars, elles se déplacent moins. Elles n’ont pas envie d’être assaillies et ne veulent pas trop se montrer la gueule enfarinée ou alcoolisées ». De toute façon, Cédric serait probablement bien incapable de se souvenir de leurs noms. « Je ne suis pas très people », marmonne-t-il. « Moi, le Festival je le vis dans mon bar. »


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