Je suis à la Nouvelle Orléans, dans ma chambre d’hôtel, et je descends des litres d’eau en panique. Les anciens participants du Tales of Cocktail m’avaient prévenue et leurs souvenirs de guerre sont à l’origine de cette hydratation.
Le Tales of the Cocktail est considéré comme le plus gros festival de cocktail du monde. Une étiquette qui prend tout son sens pendant les cinq jours de séminaires et de dégustations vendues comme autant d’occasions de réseauter et de se la coller.
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Mais l’événement est surtout entré dans la postérité – en bien ou en mal, ça dépend des témoignages – grâce aux beuveries de déglingos qui secouent les marécages brûlants de Louisiane.
Me voilà donc embarquée pour quatre jours de festival à la recherche des remèdes miracles contre la gueule de bois que les grands noms de la profession vont sans aucun doute utiliser cette semaine à la Nouvelle Orléans.
Jour 1
Ici, il fait chaud et lourd : 31° et 75 % d’humidité dans l’air. Qui a eu l’idée d’organiser ça pendant l’été, putain ? Satan ? Je scrolle sur les réseaux sociaux et trouve quelques posts liés au Tales festival et qui évoquent la Pedialyte.
« Pedialyte® n’est pas un remède contre la veisalgie, mais il aide à prévenir la déshydratation après la consommation de boissons alcoolisées », peut-on lire sur le site de la solution à base d’électrolytes. « Si vous vous sentez fatigué, que vous avez mal à la tête ou que vous présentez d’autres signes de déshydratation après avoir bu quelques verres d’alcool, réhydratez-vous avec Pedialyte pour vous sentir mieux rapidement. »
Certains professionnels de la picole tels que Marshall Seyler, barman à Toronto, ne jurent que par Pedialyte en cas de cuite et de lendemain difficile. Avant même de commencer les hostilités du Tales, Seyler, qui bosse au Civil Liberties, s’est immédiatement rendu dans un supermarché. Sa liste de course ? 4 packs d’eau, un plein caddie de Pedialyte, 8 packs de Miller High Life, sa bière préférée, et une cartouche de cigarettes.
Quand je me sens vaseux le matin, je prends un comprimé effervescent plein d’électrolytes. C’est génial. C’est comme du Gatorade.
Seyler mélange même la Pedialyte avec l’alcool. Il prépare des glaçons de Pedialyte saveur fraise-kiwi pour rafraîchir son Pinot Grigio. « Fraise-kiwi et Pinot Grigio : ça déchire tout ! », me confie-t-il. « Après ça, plus de gueule de bois ! Sinon tu peux ajouter de la Pedialyte nature dans le Bloody Mary à la place du sel. Comme ça, tu t’hydrates tout en te soûlant. »
Un journaliste de San Francisco spécialisé en spiritueux et ayant survécu à 12 saisons du Tales fait lui aussi ses réserves en électrolytes pour le festival. « Je prends du Nuun, c’est un comprimé effervescent plein d’électrolytes. C’est génial », me dit-il. « J’en prends un quand je me sens un peu vaseux le matin. En gros, c’est comme du Gatorade. »
À la tombée de la nuit, je me promène avec un pote sur Bourbon Street pour flâner et m’envoyer un po’ boy, ce fameux sandwich originaire de la Louisiane. Et c’est ce qu’on fait jusqu’à 6 heures du mat’, errant de bar en bar. Pas la meilleure préparation pour le Tales of Cocktail, j’avoue.
Jour 2
Sans surprise, j’ai un mal de chien à sortir du lit à 9 heures pour le premier séminaire de la semaine. Je me botte les fesses hors du pieu. J’ai l’impression d’être un déchet. Même des litres d’électrolytes ne pourraient me sauver maintenant. Je me fais un café, étale des œufs brouillés sur un bout de pain et avale le tout fissa tandis que je file vers la conférence.
C’est dégoulinant que j’arrive à l’évènement intitulé « Un whisky sans âge… ça vous Scotch ? ». Habituellement, je n’aurais pas vraiment été emballée à l’idée de boire du Scotch à 10 heures du matin mais pour une fois, je suis pour combattre le mal par le mal ! Durant le séminaire, j’apprends que, dans le monde du whisky, vieux ne veut pas dire mieux et que les professionnels de l’alcool sont des grands malades.
Voici, par exemple, le témoignage d’un représentant de chez Scotch : « Quand je ne suis pas au top le matin après m’être envoyé quelques verres de whisky la veille, je me fais une petite session à la salle de sport. Comme je dis toujours, pas de pitié pour les faibles ! ».
À l’heure actuelle, il m’est impossible de soulever de la fonte. Je me vautre donc dans ma complaisance et me dirige vers une dégustation d’eau-de-vie d’agave pendant laquelle je me jette comme un vautour sur les pauvres restes d’une assiette de fromage. Au cours du séminaire suivant, Charlotte Voisey, représentante de la marque William Grant & Sons, expose tout ce qu’il y a à savoir sur le sherry (il n’est d’ailleurs pas fait à base de cerises, le saviez-vous ?).
C’est d’ailleurs sa 11e participation au festival. Et d’expérience, Charlotte affirme qu’il n’y a rien de mieux que l’eau de coco, le kombucha, les aliments riches en nutriments et aller suer à la salle pour combattre les pernicieux effets de l’alcool. « Les exercices matinaux tiennent aussi une place importante dans ma routine », me confie-t-elle. « Autant suer le plus vite possible ce qui doit être sué. »
Je retourne dans ma chambre avec une tête de six pieds de long pour une grosse, grosse sieste et émerge quelques heures plus tard dans le noir complet. Après le dîner, c’est parti pour la soirée « Love Supreme » de William Grant & Sons. Ces orgies permettent aux grands fabricants d’alcool de faire la promotion de leurs marques auprès des barmen les plus influents du monde. Ce soir, le rhum Sailor Jerry distribue des tatouages gratos et le gin Hendrick’s distribue des petits fours grâce à une sorte d’engin steampunk qui fonctionne via un mec pédalant à son sommet.
Des hommes et des femmes dans la fleur de l’âge déambulent dans l’immense salle dressée sur les berges du Mississippi. Ce n’est pas du tout le bordel auquel je m’attendais. J’ai repéré quelques buveurs zombifiés par l’alcool mais je trouve que tout le monde se meut de manière assez élégante étant donné la situation.
« J’ai l’impression que le Tales est en train de changer. Ça semble dingue, mais cette année les gens se tiennent un peu mieux », m’explique Roberta Mariani, représentante pour Martini. C’est la troisième année qu’elle participe au Tales, un évènement qu’elle apprécie avec modération. « Je pense que le meilleur conseil serait de faire attention à soi. Pas besoin d’être ivre mort pour profiter du Tales of the Cocktail. »
Après la soirée, il y a l’after. Et encore plus d’alcool. À l’Erin Rose, un pub irlandais réputé pour ses Irish coffees glacés, j’ai coincé Shawn Cantley, le copropriétaire de certains repères de Louisville connus des amateurs de whiskey tels que le Silver Dollar. J’ai pu lui soutirer quelques conseils pour le Tales.
Le meilleur remède contre la gueule de bois c’est une soupe mexicaine à base de tripes, selon moi. Mais tu n’en trouveras malheureusement pas ici.
« J’essaie de boire beaucoup d’eau et de ne pas faire de shots… même si là je viens d’en faire un. J’essaie aussi de faire durer mes bières », me déclare Cantley. « Mais je bois toute la journée avec ces branleurs. J’essaie de me tenir à de la Modelo et à de l’eau. »
Après chaque cuite, il boit un menudo, une soupe mexicaine à base de tripes. « Le meilleur remède contre la gueule de bois reste le menudo, selon moi. Mais tu n’en trouveras malheureusement pas à la Nouvelle Orléans », m’affirme-t-il. « Tu peux toujours tester une bonne soupe pho, c’est ce qui s’en rapproche le plus. »
J’ai fini la nuit avec une Miller High Life et me suis couchée au lever du soleil. Il semblerait que je sois mon pire ennemi.
Jour 3
À la troisième journée du Tales, par la grâce de Dieu, elle fit une grasse matinée. J’ai bu de la Pedialyte coupée avec de l’eau et j’ai traîné ma carcasse jusqu’à la salle de sport de l’hôtel portant les goodies de la veille recyclés en jogging pour mes besoins athlétiques. Si les barmen et les représentants de marques réussissent à faire face au mal, alors moi aussi je peux (méthode Coué).
Évidemment, ça ne s’est pas bien passé.
J’avais l’impression que quelqu’un me fracassait les tempes avec un pic à glace à chaque fois que j’essayais de me sortir de la misère à coups de squat. J’ai commencé par soulever quelques poids et j’ai attendu que la foreuse dans ma tête s’arrête. En vain. J’ai finalement trouvé un peu de réconfort sur le vélo elliptique et j’ai turbiné pendant 20 minutes de cardio molle.
Je me suis sentie un peu mieux après avoir sué un bon coup. Beaucoup moins bien après quelques verres bus culs secs au cours de lancements promotionnels et une dose de bouffe bien riche du Sud.
La nuit venue, c’est l’heure de Neon Tide, la grosse soirée de Bacardi. C’est somptueux. Quand j’ai demandé aux invités à combien ils estimaient le budget de cette fête, les réponses variaient entre 600 000 et 2 millions de dollars. Il y avait des échassiers qui se déplaçaient dans l’entrepôt plein à craquer, aménagé en jungle pour l’occasion. On a bu des granités de rhum et des coupes remplies de tequila Cazadores jusqu’à la fin de la fête.
Puis on a trouvé deux-trois trucs à boire jusqu’à 5 heures du matin. Pour le coup, je ne suis pas un vieux singe à qui on peut apprendre à faire la grimace.
Jour 4
Toujours plus de Pedialyte, toujours plus de café et toujours plus de picole en pleine journée. Je me rends à un séminaire sur le Scotch à 10 heures qui ressemblait davantage à une joute verbale qu’autre chose. Les participants ont dégusté différents Scotches alors que les représentants se taillaient les uns les autres à propos de leurs procédés de fabrication, de leurs défauts physiques – notamment de leur dentition pourrie – ou du nombre de vues incroyablement bas de leurs tutos YouTube.
Après le Scotch, j’ai attaqué le mezcal à la soirée du Silencio. À l’étage, dans une salle à l’ambiance légèrement BDSM, on nous servait des mezcal negronis, des capotes et des tatouages gratuits.
Sur un canapé en cuir, je fais la connaissance de Nathalia Garcia Bourke, brand director du Silencio et survivante de cinq saisons du Tales. Elle m’explique ce que ses mentors lui ont appris pour s’en sortir.
Sur un canapé en cuir, je fais la connaissance de Nathalia Garcia Bourke, brand director du Silencio et survivante de cinq saisons du Tales. Elle m’explique ce que ses mentors lui ont appris pour s’en sortir.
« Ils étaient vraiment catégoriques sur le fait qu’il fallait passer un super moment sans pour autant se mettre la tête à l’envers », me confie-t-elle.
Pour se remettre d’une cuite, Bourke ne me propose rien de nouveau. « Ma mère me disait toujours qu’il fallait traiter le mal par le mal. Il faut donc boire un tout petit peu de l’alcool que tu buvais la veille, dans mon cas, c’était du mezcal », explique-t-elle. « Une michelada (un mélange de bière, citron vert, sel et sauce piquante) peut aussi te faire revivre l’après-midi. »
Quelques mezcals plus tard, Cole Rapkin, le barman du Birds & Bees, partage sa routine post-cuite avec moi. « Une tasse de café, une tasse d’eau et une tasse de jus d’orange : le trio de choc 100 % efficace. Se fumer un petit joint des familles ça peut aussi aider », m’avoue-t-il. « C’est pas pour faire le chaud, mais une partie de jambes en l’air peut aider. »
Il n’est pas le seul de la soirée à prôner la guérison par le cul. « Deux trucs ont toujours fonctionné pour moi. Le premier c’est de coucher une deuxième fois avec la fille que j’ai ramenée la nuit précédente », m’explique Kyle Reutner. « L’autre truc, c’est une bonne coupe de cheveux. Ça fonctionne vraiment ! Tu y vas, ils te font un petit massage du crâne, ils te coupent les cheveux et la gueule de bois s’est envolée. Tout le reste, c’est des conneries. »
On échange quelques plaisanteries poisseuses et je commence une série d’abdos. Et voilà que mon état s’améliore à chaque douloureuse contraction.
Je retourne à l’hôtel et repars à l’assaut de ma gueule de bois en allant faire du sport. Un représentant de whisky croisé la nuit précédente a eu la même idée que moi. On échange quelques plaisanteries poisseuses et je commence une série d’abdos. Et voilà que mon état s’améliore à chaque douloureuse contraction.
Au crépuscule, je fais un stop à la soirée organisée par Fernet dans un vieil opéra où, dieu merci, ils servent des muffulettas (un autre célèbre sandwich de la Nouvelle Orléans) pour éponger tout ce qui doit être épongé. J’ai questionné Nicola Olianas, le représentant international de Fratelli Branca, sur sa manière de boire au Tales.
« Mon truc à moi, c’est avant tout de boire des bonnes choses. De la qualité », me dit-il. Le lendemain d’une soirée bien arrosée, notre italien commence sa journée avec sa propre marchandise.
« Ce que je fais, peu importe l’endroit où je me trouve, la toute première chose que je fais le matin c’est de siroter une petite gorgée de Fernet-Branca », m’explique-t-il. « L’amertume et les herbes stimulent le corps. Il est alors prêt à combattre n’importe quoi et vous pouvez tranquillement commencer votre journée. »
Olianas soutient qu’il faut boire du Fernet pour sa faible teneur en sucre mais ses suggestions de repas post-cuite gravitent quand même autour des desserts.
« En tant qu’italien, un cappuccino et un croissant, c’est la base le matin. En Sicile, par exemple, quand c’est l’été, ce qui est merveilleux c’est un croissant avec de la glace, gelato, à l’intérieur. Je conseille vivement à tout le monde d’aller là-bas et d’essayer », suggère-t-il. « Ici, à la Nouvelle Orléans, je prends de délicieux cinnamon rolls, de bons gâteaux. »
Avec la grosse soirée du jour, organisée par Diageo, une boîte qui a généré plus de 15 milliards de dollars de revenus l’an passé, nous atteignons un nouveau sommet dans le show. Snoop Dog était le partenaire du gin Tanqueray, qui appartient à Diageo, en 2016. Il se produit donc ce soir à dans la Dogg House.
En dehors de la salle, je croise le chemin de Med Abrous, le restaurateur de L.A. dont le bar The Spare Room à Hollywood a déjà remporté de nombreux Tales Spirits Awards®. Il me confie qu’il n’a pas encore trouvé de remède efficace contre la gueule de bois mais qu’il se sent un peu mieux s’il boit de l’eau de coco avant de se coucher. Il a néanmoins piqué quelques conseils utiles en matière d’hydratation à l’industrie du vin.
« Tous les sommeliers ou fabricants de vin te le diront car ils boivent du vin à longueur de journée : si tu bois autant d’eau que de vin, tu peux boire tout ce que tu veux », me dit-il. « Si tu cales ta consommation d’eau sur celle de l’alcool, tout se passera bien. Est-ce que moi je le fais régulièrement ? Pas du tout. »
La Nouvelle Orléans est envahie par des groupes de fêtards. Impossible de compter tous les enterrements de vie de jeune fille ou de garçon.
Après la performance de Snoop, il est temps de de quitter la Dogg House et de changer de crémerie. C’est vendredi soir et Bourbon Street ressemble à un pandémonium. Les devantures des bars et restaurants les plus connus de la Nouvelle Orléans sont envahis par des groupes de fêtards. Impossible de compter tous les enterrements de vie de jeune fille ou de garçon.
Je suis complètement cramée suite au marathon que je viens d’effectuer ces derniers jours et je ne peux donc que feindre l’enthousiasme quand des mecs me lancent des perles de Mardi Gras. Je me réfugie à l’Absinthe House et parviens à rester debout plus longtemps qu’aucun autre humain. Je décide de ne pas regarder l’heure quand je vais me coucher.
Jour 5
Après une douche rapide, me voilà à l’aéroport à 8 heures du matin. À la porte d’embarquement, je retrouve quelques corps avachis. Je m’écroule sur une chaise à mon tour. Oui, j’ai survécu, mais ça va me prendre un peu de temps de me remettre de mon hédonisme aigu. J’ai besoin de plus de Pedialyte. Ou peut-être simplement de rester sobre.
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