J’ai essayé de soigner ma dépendance aux smartphones avec mon smartphone

Les smartphones nous ont mis dans un sacré pétrin. Ces appareils sont spécialement pensés pour nous rendre dépendants, mais comme nous en avons besoin pour effectuer nos tâches et activités du quotidien, se priver brusquement d’eux reviendrait à perdre sa place au sein de la société moderne. Les smartphones sont comme de l’héroïne coupée avec une substance permettant de vérifier ses mails professionnels.

Si vous possédez un smartphone, il est probable que celui-ci affecte votre façon de penser. Une récente étude publiée dans le Journal of the Association for Consumer Research montre que « même quand les gens arrivent à maintenir leur attention – en résistant à la tentation de regarder leurs téléphones – la simple présence de ces appareils suffit à réduire leurs capacités cognitives ».

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Mais je n’ai pas besoin qu’un journal à comité de lecture me dise que mon cerveau est en panne. Je suis capable de m’en rendre compte tout seul. En fait, je pense qu’il s’est transformé en pâte à modeler, sauf que la pâte à modeler, elle, au moins, conserve les informations écrites sur lesquelles on la fait rouler. Mon cerveau est devenu une sorte de mastic de qualité inférieure, farineux et desséché après des années d’hypnose par smartphone.

Je n’arrive pas à comprendre pourquoi je suis autant attiré par mon téléphone. Je suis trop nul pour Snapchat, trop lent d’esprit pour jouer à HQ Trivia, et trop marié pour draguer sur Tinder. Mes tentations sont extrêmement limitées mais visiblement peu importe : je me retrouve à baver encore et encore devant la lueur de mon écran, souvent sans même me rendre compte que je l’avais sorti de ma poche.

Alors comment soigne-t-on la dépendance aux smartphones ? Pour le savoir, j’ai demandé à mon téléphone qui est, j’en suis sûr, forcément là pour veiller sur mes intérêts.

« Est-ce que tu as des conseils pour que j’arrête d’aller sur mon téléphone ? »
« Je suis désolé Nicholas, j’ai bien peur de ne pas pouvoir répondre à cette question. »

Si mon téléphone – l’appareil que je garde en permanence près de moi, la dernière chose que je regarde avant de m’endormir, et la première chose sur laquelle je pose mes yeux quand je me réveille – n’a pas la solution pour me sevrer de son écran à cristaux liquides, vers quoi dois-je donc me tourner pour obtenir des conseils ? Vers l’App Store, bien évidemment.

Beaucoup de traitements recommandés en matière de dépendance aux smartphones ne sont autres que des applications smartphone. Cela s’appelle combattre le feu par le feu – car il est bien connu que les pompiers éteignent toujours les incendies au lance-flammes.

J’ai essayé Forest, l’application de productivité la plus populaire sur iOS. Pour l’utiliser, il suffit de cliquer sur un bouton qui plante un petit arbre virtuel. Moins vous êtes sur votre téléphone et plus l’arbre grandit ; le but est de le faire grandir le plus possible. Seul problème, et de taille : je n’en avais rien à foutre de mon arbre. Je fais partie de cette génération qui regardait joyeusement ses Tamagotchis mourir de faim et ce n’est pas un pauvre petit arbre virtuel qui y changera quoi que ce soit. Malgré ça, et le fait qu’elle coûte 2,29 €, l’application culmine à 5 étoiles sur l’App Store. On peut alors se demander comment tous ces utilisateurs ont pu évaluer l’appli sans freiner la croissance de leurs petits arbres. Il faut croire que la vie finit toujours par l’emporter.

Après cet échec, j’ai essayé de suivre le conseil du New York Times en enlevant les couleurs de mon écran. Mais étant donné que j’ai de très mauvais yeux et que la vivacité habituelle de mon écran n’arrangeait en rien les choses, ce conseil a en fait uniquement permis de le rendre plus facile à regarder. Si je n’avais pas décidé de remettre les couleurs, je pense qu’il ne m’aurait plus jamais été possible d’ôter mes yeux de mon téléphone.

Pour me faire une idée de la gravité de ma dépendance à mon smartphone, j’ai téléchargé Checky. Probablement la pire appli qu’il m’ait été donné d’utiliser à ce jour. Cette application vous indique combien de fois vous êtes allé sur votre téléphone… et rien d’autre. Alors que vous pourriez faire la même chose avec un stylo et un bloc-notes, l’appli, elle, doit rester active en arrière-plan pour accomplir sa tâche. Et pour je ne sais quelle raison, Checky a accès à votre localisation ; ce qui veut dire que l’appli utilise de façon constante (et suspicieuse) le GPS de votre appareil.

Checky est comme un videur qui utilise un de ces objets qui font « clic » pour surveiller le nombre de personnes dans une boîte de nuit, mais à la différence des videurs, elle ne peut pas s’interposer en cas de bagarre ou mettre du sable sur le vomi du trottoir. Elle ne peut pas non plus faire ce pour quoi elle a été conçue : m’empêcher d’aller sur mon téléphone.

Contrairement à Forest, qui encourage à garder votre téléphone hors de votre champ de vision, Checky semble avoir l’effet inverse (après tout, les programmeurs n’auraient pas pris soin de réserver un emplacement pour des bannières publicitaires s’ils s’étaient dit que personne n’irait sur l’application). Quand je l’ai ouverte en cette fin de matinée, c’était marqué « 47 ». Autrement dit, c’était la 47e fois que j’étais allé sur mon téléphone depuis que j’avais téléchargé Checky la veille. À part si vous êtes fan de golf ou que vous souffrez d’hypertension, vous avez probablement été toujours habitué à préférer les scores élevés. C’est la raison pour laquelle je me suis senti si fier quand j’ai lu « 67 » s’afficher en retournant sur l’appli 45 minutes plus tard.

Dans un sens, les applications sont expressément conçues pour atteindre cet objectif. Nous le savons car plusieurs personnes derrière celles-ci ont tiré la sonnette d’alarme. Loren Brichter, celui qui a inventé la fonction « Tirer pour rafraîchir » sur Twitter, a exprimé ses regrets dans les colonnes du Guardian : « “Tirer pour rafraîchir” est addictif, dit-il. Twitter est addictif. Ces choses ne sont pas bonnes. »

Les ingénieurs de Facebook qui ont développé le bouton « j’aime » n’ont pas hésité à s’exprimer ouvertement sur les dangers de leur invention, et Tristan Harris, ancien éthicien en design chez Google, donne maintenant des conférences TED sur les puissants impacts psychosociaux des nouvelles technologies. La Silicon Valley grouille de personnes qui, à la manière du Dr Frankenstein, ont observé avec effroi leurs monstres ramper de leurs tables d’opération jusqu’en ville – « Mais le monstre était gentil dans cette histoire. C’étaient les gens qui étaient cruels ! », me direz-vous, et vous aurez probablement raison, mais, malheureusement, toutes ces années d’utilisation de smartphones ont définitivement eu raison des détails et des leçons que j’avais pu retenir de ce livre au collège.

Ajouter des applications à mon téléphone n’était clairement pas la bonne réponse à mon problème. J’ai donc décidé d’opter pour la tactique inverse en supprimant Twitter et Instagram, les applis que j’utilise le plus. Cette solution ne m’a conduit qu’à une chose : aller sur mon ordinateur portable et faire défiler sans réfléchir des pages et des pages sur les versions bureau de ces réseaux sociaux. Quand je n’étais pas sur mon ordinateur, des applis que j’avais complètement oubliées ont commencé à attirer mon attention. Je me suis retrouvé à consulter des prix de chambres d’hôtel alors que je n’avais aucun voyage de prévu, ainsi qu’à utiliser l’application de niveau à bulle téléchargée il y a un siècle – et jamais utilisée – pour vérifier l’alignement des oreilles de mon chien.

Au lieu de briser mes chaînes et d’aller à la rencontre du monde extérieur, j’ai plongé encore plus profondément dans tous les recoins de mon téléphone. J’ai joué avec ces applis jusqu’alors inutilisées avec un dévouement des plus inquiétants. Cela, sans oublier Checky et l’épuisement sans relâche de ma batterie grâce à son utilisation du GPS, a fini par mettre cette dernière à plat. L’après-midi touchait à sa fin quand l’écran rendit les armes, affichant une icône de batterie couleur rouge sang avant de s’éteindre.

J’étais libre, du moment que j’arrivais à résister à l’envie de recharger mon téléphone. Je n’avais plus aucune application sur laquelle scroller et tapoter, alors je suis allé au parc canin avec le poids mort de mon appareil dans ma poche. Le soleil bas projetait de grandes et belles ombres sur le sol formant une espèce d’horizon urbain irrégulier qui serait passé inaperçu si j’avais eu les yeux rivés sur mon téléphone. Les oiseaux volaient en formation au-dessus de ma tête et les branches grinçaient au gré du vent.

Oh mon Dieu, me suis-je dit. Et si quelqu’un était en train de m’envoyer un texto ?

Nick Greene est sur Twitter.