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« J’ai retrouvé ma vie » : avec les personnes qui se soignent du COVID long avec de la weed

cbd cannabis oil

Depuis environ un an, Andrew Vass était aux prises avec les effets « torturants » d’un COVID long. Jusqu’à ce que son médecin lui file de la weed. Plus précisément, une huile de cannabis médicinal contenant 5 % de cannabidiol (CBD) et 0,2 % de tétrahydrocannabinol (THC). L’effet, dit-il, a été immédiat.

Andrew, 42 ans, employé dans les services financiers à Londres, n’avait consommé du cannabis que deux fois dans sa vie, expériences irrémédiablement soldées par de « scandaleuses » migraines. Bien que désespéré, il restait sceptique.

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« Ce n’était tout simplement pas ce à quoi je m’attendais, et je n’avais jamais vraiment considéré ça comme un traitement », a-t-il déclaré à VICE. « [le médecin et moi] en avons discuté à plusieurs reprises, et je pense que c’est à peu près à la troisième proposition que j’ai fini par céder. Je lui ai dit “très bien, on essaie.” »

Aujourd’hui, il décrit cette prescription comme un « game changer ».

« Le COVID long m’a vraiment coûté beaucoup, rapport à mes ambitions. [Mais] je n’ai jamais rencontré de problèmes après l’introduction de l’herbe. Pour moi, c’était un catalyseur qui m’a permis de réellement mettre tous les symptômes physiologiques derrière moi et de passer à autre chose. »

Andrew est l’une des premières personnes au Royaume-Uni à avoir pris part à un test novateur qui examine les avantages thérapeutiques du cannabis médicinal pour traiter les séquelles post-aiguës du COVID-19, ou COVID long. Cette étude s’inscrit dans un cadre plus large, comprenant de nombreuses autres recherches visant à comprendre l’effet du cannabis sur le virus, sans que l’on dispose encore de preuves solides de son efficacité.

Le mécanisme du COVID long — qui toucherait environ 10 à 30 % des personnes infectées, soit des dizaines de millions d’individus — reste encore inconnu. Les symptômes, pour lesquels il n’existe actuellement aucune option de traitement démontré scientifiquement, vont de la fatigue continue aux maux de tête, en passant par l’essoufflement, la faiblesse musculaire, la fièvre et le dysfonctionnement cognitif, aussi appelé « brouillard cérébral ». Toute personne présentant de tels symptômes pendant plus de 12 semaines est considérée comme un « porteur long » du COVID.

Andrew a été infecté par le virus en mars 2020. Ce n’est qu’un mois plus tard qu’il a remarqué des problèmes respiratoires permanents, et il lui a fallu deux mois supplémentaires avant de commencer à souffrir d’insomnie. Il est passé de huit heures de sommeil à pas plus de deux par nuit. Il a ensuite développé des reflux acides et a commencé à souffrir des crises d’asthme. Vers le mois de septembre, des fasciculations sont apparues. Il s’agit de spasmes et de contractions musculaires aléatoires. Un peu plus tard dans le mois, il a fait sa première crise post-virale.

« Avant le COVID, j’étais un individu assez actif. Je suivais pas mal de cours de fitness et d’autres trucs du genre. Un dimanche, j’ai décidé de faire un entraînement de base très simple parce que j’avais l’impression de ne pas avoir fait d’exercice depuis longtemps », explique-t-il. « Le lundi matin, je pouvais à peine sortir du lit. Mes jambes étaient comme du béton. Ma douche, qui était située à environ quatre mètres de mon lit, me semblait inatteignable. J’y entrais péniblement et restais accroupi sous le jet d’eau. Je n’ai pas quitté la maison pendant six jours, puis j’ai fini par me traîner dehors. »

Tous ces symptômes ont perduré jusqu’en décembre 2020, date à laquelle un médecin britannique a prescrit un antidépresseur à Andrew, l’amitriptyline, afin de l’aider à dormir. Ça s’est avéré efficace, mais il n’avait pas trop envie de devoir utiliser des médicaments pharmaceutiques synthétiques à long terme. Ce n’est que lorsqu’il a rencontré le Dr Anjali Didi, un médecin généraliste australien, que le traitement au cannabis lui a finalement été proposé.

Maintenant, chaque soir avant de se coucher, il aspire 0,1 ml d’huile de cannabis dans une seringue et libère le liquide vert foncé sous sa langue. Il s’endort généralement dans les 30 minutes qui suivent la prise.

« Je ne prends plus aucun autre médicament, à part pour mes reflux gastriques », dit-il. Dans un avenir proche, il compte continuer à consommer du cannabis.

Au début du mois, le comité d’éthique de la recherche du NHS et l’agence de réglementation des médicaments et des produits de santé du Royaume-Uni ont annoncé qu’ils avaient approuvé le lancement de l’une des premières études scientifiques au monde visant à tester les avantages du cannabis pour les patients souffrant de COVID long. L’étude, menée par l’ONG Drug Science, comité consultatif sur les médicaments, durera six mois et impliquera 30 participants à qui l’on a diagnostiqué cette maladie débilitante.

Chaque participant à l’essai se verra prescrire des doses quotidiennes d’un médicament non psychoactif à base d’huile de cannabis, appelé Medicabilis, mis au point par la société pharmaceutique BOD Australia, qui commande l’étude. Les participants devront fournir des autorapports quotidiens en évaluant les symptômes reconnus du COVID long. Toutes ces données seront ensuite analysées par les chercheurs afin de déterminer l’efficacité du traitement. Si les résultats sont prometteurs, la recherche sera étendue à un essai de contrôle randomisé à grande échelle impliquant de nombreux patients à travers tout le Royaume-Uni.

Dans une déclaration à VICE, David Badcock, directeur général de Drug Science, a stipulé « qu’il fallait s’attaquer au COVID long, et rapidement. La recherche nous mènera aux options les plus efficaces et cela inclut l’examen de médicaments comme le cannabis qui, bien que légal au Royaume-Uni depuis 2019, est encore largement incompris et rarement prescrit. »

Depuis qu’une étude publiée en avril 2021 dans le Journal of Biomolecular Structure and Dynamics avait révélé que les cannabinoïdes CBD et Cannabivarin (CVN) pouvaient « être bénéfiques dans la stratégie de traitement des symptômes post-COVID », les scientifiques envisagent maintenant le cannabis comme « une plante thérapeutique importante contre les symptômes post-COVID ».

En janvier de cette année, deux études n’incluant pas d’essais cliniques sur l’homme — l’une de l’Université de l’Oregon, l’autre de l’Université de Chicago — ont également indiqué que les acides de cannabis pouvaient aider à empêcher les individus de contracter le SRAS-CoV-2, soit le virus à l’origine du COVID-19.

Cela ne veut pas dire que fumer un joint ou manger un space cake va vous guérir du COVID, ou vous empêcher de l’attraper. Certains traitements dérivés du cannabis pourraient le faire, mais comme le soulignait un article paru en juin 2021 dans Psychology Today, « des recherches beaucoup plus poussées sont nécessaires pour prouver l’efficacité de ces cannabinoïdes. »

Medicabilis n’est pas le seul produit à être examiné dans cette optique. En novembre 2021, l’Institut de cardiologie de la faculté de médecine de l’université de São Paulo, InCor, a annoncé qu’il mènerait une étude clinique sur le cannabis médicinal comme traitement du COVID long, en utilisant un extrait de CBD de qualité pharmaceutique produit par la société de cannabis Verdemed.

Dans le cadre d’un essai en double aveugle, les chercheurs brésiliens tenteront de déterminer si le produit à base de cannabis peut améliorer la qualité de vie des porteurs longs du COVID. Ils espèrent trouver réponse à cette question d’ici avril.

« Sur base des données épidémiologiques, il est possible que le syndrome du COVID long soit la prochaine catastrophe de santé publique », a déclaré à Latin American Business Storie le Dr Edimar Bocchi, qui dirige l’essai. « Il s’agit d’une étude très importante, car le CBD n’a jamais été testé à cette fin ».

La Dr Elizabeth Iveson est consultante en neuroréhabilitation et partage les inquiétudes du Dr Bocchi. Elle travaille à l’unité de réhabilitation STEPS à Sheffield et est investigatrice principale de l’étude britannique. Elle a déclaré à VICE qu’elle voyait « de plus en plus de patients affectés de manière significative par les effets secondaires prolongés d’un COVID long ». Beaucoup d’entre eux sont des jeunes, auparavant en forme et en bonne santé, comme Andrew, et qui luttent désormais quotidiennement contre la perte de mobilité, la fatigue et l’anxiété.

Elle ajoute qu’il y a un besoin urgent de plus d’essais cliniques concernant les effets du cannabis médical sur les COVID longs. « D’après mon expérience de la prescription de cannabis à des patients souffrant de maladies affectant plusieurs systèmes corporels et présentant de nombreux symptômes différents, il est possible que le cannabis médical soit également efficace dans le cadre de la gestion des patients souffrant de COVID long ».

« [Mais] l’accès à ces médicaments est encore limité et assez coûteux pour les patients. » 

Iveson a pu constater de visu le potentiel du cannabis médicinal pour les personnes souffrant d’affections présentant plusieurs des mêmes symptômes que le COVID long. Son premier patient sous cannabis au Royaume-Uni, Kyle Esplin, menait une vie de rêve avant d’être frappé par une maladie connue sous le nom de fatigue post-virale.

« J’avais une maison à Majorque, je voyageais dans le monde entier pour faire des spectacles en tête d’affiche sur des bateaux de croisière, ma vie était géniale », raconte Kyle, musicien et artiste de 40 ans originaire de la ville écossaise de Forfar.

En 2012, il contracte une infection virale respiratoire et son état se détériore rapidement. Six mois plus tard, il était cloué au lit. Marcher pendant plus de quelques minutes menait souvent à ce qu’on appelle un malaise post-exercice, soit une aggravation des symptômes après un effort physique mineur, comme celui qu’a connu Andrew, et qui « rend très difficile la récupération, tout comme la planification de quoi que ce soit dans la journée ».

« Les médecins n’avaient aucune solution », se souvient-il. « Si je n’avais pas pris d’huile de cannabis, qui a été bénéfique pour ma santé, je ne pense pas que j’aurais retrouvé le niveau de fonctionnalité et de forme physique que j’ai aujourd’hui ».

Comme Andrew, Kyle avait essayé et exploré une série d’options de traitement, sans grand résultat, avant de finalement découvrir le cannabis médicinal. Comme Andrew, il a remarqué les effets en une semaine.

« C’est comme si [le traitement au cannabis] avait réduit l’intensité de tous les symptômes, me permettant d’enfin faire des progrès », a déclaré Kyle. « J’étais devenu un peu plus fort, et  ne souffrais plus de cette rechute de dingue après deux minutes de marche ».

« On peut dire que ça m’a rendu ma vie. Ce n’est pas encore tout à fait comme avant, je suis peut-être à 90 ou 95 % de mes capacités, mais je suis prêt à accepter ce résultat post COVID. Et si ça fonctionne aussi bien chez d’autres, alors ce sera fantastique. »

Bien qu’il existe peu de recherches portant spécifiquement sur le potentiel de l’huile de CBD en tant que traitement du syndrome de fatigue chronique (SFC) — le terme le plus couramment utilisé pour désigner un groupe de troubles médicaux comprenant la fatigue post-virale et d’autres symptômes semblables à ceux du COVID long — les études suggèrent que le cannabis est efficace pour soulager ces symptômes associés.

Une étude de 2016 a trouvé des preuves de l’efficacité des traitements à base de cannabis contre les migraines et la fibromyalgie, qui se manifeste par des douleurs musculaires et dans de nombreux cas par de la fatigue. Une étude de 2017 a révélé que le CBD pouvait aider à traiter les systèmes nerveux centraux hypersensibles, tandis qu’une autre a indiqué qu’il diminuait le stress oxydatif et réduisait le dysfonctionnement mitochondrial, qui se manifeste par des problèmes énergétiques et une faiblesse musculaire. En remontant encore plus loin, une étude de 2009 a également suggéré que le CBD pourrait être utilisé pour combattre l’inflammation et aider à maintenir l’homéostasie dans le corps.

Aujourd’hui, Kyle prend du cannabis médical tous les jours, et prévoit de continuer à le faire pour le reste de sa vie. « Depuis que j’en prends, je n’ai jamais attrapé un rhume, ou une grippe ou quoi que ce soit d’autre », a-t-il déclaré.

Lorsqu’on lui a demandé quel type d’impact le traitement avait eu sur sa vie, la conversation a pris un tour émotionnel. « C’est difficile à mettre en mots », a-t-il dit, la voix brisée. « Je ne peux pas imaginer la vie que j’aurais eue sans ce traitement. Je n’aurais pas pu me rétablir comme je l’ai fait, et je n’aurais pas pu recommencer à faire toutes les choses que j’aime et que j’apprécie dans la vie. Maintenant, j’ai pu récupérer plus de 90 % d’entre elles. Je me considère comme très chanceux. »

Si c’est un sujet sensible, c’est parce qu’il sait à quel point d’autres personnes souffrent et se souvient combien il était difficile d’obtenir des informations fiables ou une aide médicale professionnelle.

« C’est l’une des choses les plus dures, confie de son côté Andrew, le sentiment de ne pas être pris au sérieux ou de ne pas se voir offrir une aide significative pour une maladie que si peu de professionnels de la santé savent diagnostiquer ou traiter. »

« Le COVID long n’existait pas encore, et d’après mon expérience personnelle, il était très difficile de faire croire à la communauté médicale que quelque chose n’allait pas », explique-t-il. « Aujourd’hui, tout le monde sait que ça peut arriver, mais ça génère un autre type de défi quand vous allez voir un médecin et qu’il vous dit que tout va bien, alors que vous savez que ce n’est pas le cas. Vous commencez vraiment à douter de vous-même. »

« L’utilisation de l’herbe — pas seulement ses effets physiques, mais aussi l’aspect mental — m’a permis de commencer à me reconstruire ».

Andrew et Kyle sont tous deux optimistes et souhaitent que le traitement fonctionne pour d’autres, espérant que les résultats de l’essai britannique démontreront son efficacité à plus grande échelle.

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