Sexe

J’ai sous-loué mon appartement pendant les vacances – et je suis revenue dans un bordel

Cet article a été initialement publié sur VICE Danemark.

Plus tôt dans l’année, divers journaux ont révélé que de plus en plus d’appartements à Copenhague étaient loués via des sites comme Airbnb pour faire office de bordels. Pour Pernille, 26 ans, ce qui devait être une simple escapade en Asie s’est transformé en un thriller à base de prostituée tchèque, de macs menaçants et de bouts de sopalin couverts de foutre. Elle nous a raconté son histoire.

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En janvier, j’ai quitté Copenhague pour faire un voyage de six mois en Malaisie et en Thaïlande avec mon pote Stine. Nous avions prévu de partir avec nos sacs à dos, goûter des plats délicieux, nous familiariser avec des cultures étrangères et, bien sûr, essayer l’inévitable bucket. Avant de partir, j’ai essayé de louer mon appartement par le biais d’une société de location – ce que j’avais déjà fait sans qu’il n’y ait le moindre problème. Je n’ai malheureusement pas eu la chance de trouver un locataire à ce moment-là – je savais donc que j’allais devoir me serrer la ceinture pendant les vacances. La société par laquelle je passais ressemblait à Airbnb, mais elle était moins connue. Ce qui me faisait penser, à tort, que son service client était de meilleure qualité. J’allais vite déchanter.

Stine et moi sommes à la moitié de notre séjour et décuvons sur une plage de Koh Phi Phi après une nuit trop arrosée, quand je reçois le message d’une fille qui souhaite louer mon appartement pour une semaine à compter du lendemain. J’ai déjà trop dépensé, et une semaine de location me rapporterait 670 euros – je n’hésite donc pas une seconde. Il suffit que quelqu’un passe chez moi, change les draps, nettoie un peu l’appart et lui remette mes clés.

La fille se prénomme Kitti et vient de République Tchèque. Elle a l’air mignonne sur sa photo – rien qui ne sorte de l’ordinaire – et je la trouve sur Facebook, donc je me dis qu’elle est réglo. Son anglais n’est pas terrible, mais je comprends que son copain et elle se rendent à Copenhague en voiture et qu’un couple d’amis les rejoindra par avion. Elle me demande si elle peut payer en cash, à cause d’un problème de virement bancaire. Je lui explique que ce n’est pas possible, car je ne serai pas couverte par l’assurance de la société de location dans ce cas de figure. Finalement, elle demande à un de ses amis qui possède un compte bancaire allemand et qui peut effectuer le virement à sa place. La conversation me semble un peu étrange, mais peut-être Kitti est-elle simplement très spontanée. La réservation est confirmée et je reçois l’argent.

Quelques jours passent et je n’ai plus eu de nouvelles. Comme on dit, pas de nouvelles, bonnes nouvelles. Puis Kitti m’annonce par texto qu’elle veut prolonger le séjour d’une semaine. « Cool. Plus d’argent = plus de Buckets », ai-je pensé. Le problème du transfert d’argent se pose à nouveau et, cette fois-ci, j’accepte à contrecœur qu’ils me payent en liquide. Mon amie Line accepte de s’en occuper et ils se pointent chez elle avec une enveloppe remplie de billets. Elle m’a ensuite dit que le copain de Kitti avait l’air beaucoup trop vieux pour elle et que Kitti avait une dentition étonnamment mauvaise. En outre, ils sont arrivés chez en retard, car ils dînaient au McDo. Je ne sais pas vraiment en quoi c’est bizarre, mais je tiens à vous donner toutes les infos dont je dispose.

Environ une semaine après, Stine et moi sommes dans le nord de la Thaïlande et un moine bouddhiste nous bénit dans un temple à Chiang Mai. Juste après, on nous vole nos portefeuilles. Nous plaisantons en disant que la bénédiction était en fait une malédiction. Nous n’avons aucune idée de ce qui nous attend. Nous allons à Bangkok et le lendemain matin, en me réveillant, je vois un appel manqué et un texto de mon frère : « Appelle-moi. Il y a un problème avec ton appartement. » N’arrivant pas à le joindre à cause du décalage horaire, je lui laisse un message pour qu’il me rappelle en se levant – mais seulement si c’est vraiment urgent.

Comme nous approchons de la fin de notre voyage, Stine et moi décidons de passer une journée dans la ville historique d’Ayutthaya, au nord de Bangkok. Nous hésitons tout de même un peu, étant donné qu’il n’y aura sans doute pas de réseau et que je n’ai toujours pas de nouvelles de mon frère. Stine me rassure et nous finissons par y aller. Sur le trajet, nous imaginons les pires scénarios possible. Je me dis qu’ils ont dû organiser une immense rave dans mon appartement et mettre un désordre pas possible. Mon imagination ne va pas plus loin.

Je me trouve devant les ruines du temple quand mon frère appelle. Je suis un poil anxieuse en voyant son nom apparaître sur l’écran.

« Salut, alors ils ont saccagé l’appart ou quoi ? », lui dis-je, pensant être préparée à la pire réponse possible.

« Hmm, non… Mais ils y dirigent en quelque sorte un bordel », me répond-il.

Je reste sans voix. Ce n’est définitivement pas le scénario que j’avais en tête. Faute de meilleure réponse, je me mets à pleurer. Des écoliers thaïlandais en voyage scolaire se moquent et me pointent du doigt. Stine arrive en courant et me demande ce qu’il se passe, et la seule chose que je trouve à faire est de crier : « C’est une prostituée ! Il y a une prostituée ! »

Je retrouve enfin mon sang-froid et mon frère m’explique que plusieurs de mes voisins l’ont contacté. Des hommes font des allées et venues douteuses dans mon appartement, à une demi-heure d’intervalle et à tout moment de la journée. La veille, mon voisin du dessus est apparemment allé dire à mes locataires qu’il était interdit de fumer. Kitti, pensant qu’il s’agissait d’un client, l’a accueilli vêtue d’un minuscule kimono en satin et de talons de 15 cm. Ma voisine du dessous l’entend tout le temps marcher avec ses talons, sans doute quand elle fait des strip-teases. Puis il y a les gémissements. Beaucoup de gémissements. Forts, en plus de ça.

Je demande à mon frère de faire quelque chose, mais il est réticent à l’idée de se rendre chez moi. Selon les voisins, Kitti est accompagnée de deux mecs baraqués. Je tiens à me débarrasser d’eux au plus vite, donc au milieu des ruines, des écoliers thaïlandais et de la 3G pourrie, j’essaie de contacter plusieurs de mes amis, mais tous ont trop peur d’aller voir ce qu’il se passe. Au final, Stine et moi en venons à la conclusion qu’il n’y a rien à faire avant de rentrer à l’hôtel.

Nous avons à peine mis les pieds dans le hall que je me précipite pour appeler la police danoise. Je tombe sur un agent particulièrement sec. Je sanglote littéralement au téléphone. Elle me dit que « c’est le genre de choses auxquelles il faut s’attendre quand on sous-loue son appartement pour un peu d’argent ». Puisque la prostitution est légale au Danemark, ils ne peuvent pas vraiment intervenir. Au lieu de ça, elle me conseille de contacter la compagnie de location.

Je cherche donc leur numéro de téléphone sur le site, en vain. Il n’y a qu’un live chat qui me fournit une réponse automatique du genre : « Nous vous remercions pour votre demande, nous revenons très vite vers vous ». Je les cherche sur Google et tombe sur quelques avis d’une étoile – les gens prétendent qu’il est pratiquement impossible de joindre leur service client et que s’il y a le moindre problème, il faut se débrouiller tout seul.

Du sopalin plein de foutre. Photo de l’auteure

Je ne sais pas quoi faire d’autre, alors j’appelle Kitti. « Bonjour Kitti, je sais ce qui se trame. Ce que vous faites est illégal et vous devez quitter les lieux sur le champ », lui dis-je. Elle se contente de me répondre un « Nooooon ! » aigu. Je me mets en colère. Puis j’entends la porte sonner derrière elle. Pensant que c’est sûrement un de ses clients, je crie au téléphone : « Non, Kitti ! N’ouvre pas cette porte ! N’ouvre pas cette porte ! » Finalement, elle accepte de partir à condition que je lui rembourse la semaine supplémentaire. Ça me fait sortir de mes gonds. Je crie : « Non, non, tu n’auras pas un centime de ma part », avant de raccrocher.

Juste après, mon portable sonne à nouveau. C’est l’un des mecs (un mac, je présume), qui m’annonce que s’ils doivent partir plus tôt que prévu, je dois leur rendre leur argent. Je le menace d’appeler la police, mais il me menace à son tour, affirmant que je suis celle qui a volé de l’argent. Je panique et accepte qu’une amie leur ramène la thune. J’ai l’impression d’être dans un mauvais film télévisé. À un moment, je suis au téléphone, la tête littéralement dans les toilettes. Mon sentiment d’impuissance me rend physiquement malade. Mon appartement est devenu un bordel et personne ne peut m’aider. Les macs m’appellent toutes les deux minutes pour me demander : « Ton amie vient quand ? »

Alors que je me dis que la situation ne peut pas empirer, ma voisine du dessous commence à m’envoyer des photos qui montrent Kitti et les mecs quittant l’appartement dans la précipitation, avec un tas de sacs et de valises. Après un moment, je reçois enfin un appel de mon amie Maria, qui passe en mode guerrière et fonce à un distributeur de billets. Selon ma voisine, ils ont tous quitté l’appartement et sont maintenant assis dans leur camionnette en attendant l’argent. Maria la rencontre à l’arrière du bâtiment et elles vont toutes les deux vérifier l’appartement sans que mes locataires le sachent. Je suis l’action en temps réel sur FaceTime, le cœur battant à toute vitesse.

La première chose qu’elles remarquent est qu’il fait extrêmement chaud chez moi. D’ailleurs, j’aperçois toutes mes plantes à moitié mortes dans leur pot. Elles émettent toutes les deux une symphonie de « argh » et de « BAAH » en faisant le tour de l’appartement. Rien n’a été dérobé, mais tout à coup, Maria se met à rire. Elle a trouvé un rouleau de sopalin de taille industrielle et trois sacs-poubelles remplis de papiers couverts de foutre et de préservatifs usagés. D’après ce qu’on peut voir, Kitti et ses potes n’ont mangé rien d’autre que du poisson en conserve et des nouilles instantanées, qui sont éparpillées partout dans la cuisine. Par contre, ils ont acheté six œufs biologiques en libre parcours – ce qui montre qu’ils sont au moins des consommateurs conscients.

Même si Maria et ma voisine sont déjà à l’intérieur de l’appartement, je ne veux pas prendre de risque et demande à Maria d’aller leur donner l’argent. Ce qu’elle fait rapidement, en leur lançant un passif agressif « Vous ne le méritez probablement pas ». Sans un mot, ils font démarrer la voiture.

Quelques jours plus tard, un ami vient me chercher à l’aéroport. Sur le chemin, nous passons acheter des gants et du désinfectant. Je n’ai jamais vu autant de taches sur un seul drap. Les préservatifs usagés et les emballages jonchent le sol tel des confettis. Il y a aussi un masque avec des oreilles de chat dans mon placard, ainsi que des bas résille, des cotons couverts de maquillage et beaucoup de bouts de papiers couverts de foutre – dans toutes les fissures, crevasses et recoins de ma chambre. La palme d’or revient cependant aux trois tests de grossesse planqués sur le miroir de ma salle de bains, que j’ai trouvés un mois plus tard.

Je me sens bien chez moi maintenant – six mois plus tard – mais il m’a fallu du temps. Bien entendu, j’ai immédiatement fait changer les serrures, mais j’avais toujours peur que les hommes de Kitti reviennent ou que des clients attendent devant chez moi quand je rentre tard.

Mon procès contre la compagnie de location n’est pas encore terminé , mais j’espère au moins être remboursée pour tout ce que j’ai dû jeter. Je ne pensais pas être un jour amenée à utiliser les mots « sécrétions sexuelles », et pourtant, me voilà à les taper quotidiennement dans des mails.

Je m’entends bien avec mes voisins et je pense qu’ils se sentent surtout désolés pour moi. Mais il leur arrive encore de m’appeler la « femme bordel » quand on se croise devant les boîtes aux lettres.

* Kitti est un nom fictif, et sa photo a été floutée afin de protéger son identité.