Depuis la publication de cet article, un projet de loi pour interdire les thérapies de conversion, qui prétendent changer l’orientation sexuelle, a été déposé par la députée LREM, Laurence Vanceunebrock. Ce texte propose que ces pratiques soient punies de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. À l’étude depuis un an, le parti de la majorité n’a pas encore intégré cette loi dans son agenda des priorités à étudier. Face à cette inaction, de nombreuses personnalités publiques ont appelé l’Assemblée nationale à agir. Deux hashtags sont nés sur les réseaux sociaux : #RienAGuerir et #FiniLesThérapies.
« Tu vas aller mieux », affirmait un prêtre à Damien* il y a encore quatre ans tout en lui serrant fort les deux mains. Ce jeune catholique était alors âgé de 23 ans et ne savait pas qu’il participait, sans le vouloir, à une thérapie de conversion qui visait à le faire passer de bisexuel à hétérosexuel. Ce genre de pratique s’est développé dans les années 70. Considérée comme une maladie à l’époque dans de nombreux pays, l’homosexualité est aujourd’hui toujours considérée comme une tare dans des milieux religieux ou extrémistes. Les thérapies de conversion ont vu le jour partout dans le monde pour proposer de « guérir » cette orientation sexuelle. Même si l’Organisation mondiale de la santé a retiré l’homosexualité des maladies mentales en 1992, les thérapies de conversion n’ont jamais cessé d’exister, de manières plus ou moins tacites. En France, leur implantation est difficile à évaluer et aucune disposition du code pénal ne les condamne expressément. Il y aurait cinq ou six groupes qui pratiquent des “thérapies” de conversion, confirmait récemment Louis-Georges Tin, militant homosexuel et auteur du Dictionnaire de l’homophobie à Libération. De plus, certains thérapeutes disent qu’il y a une ambiguïté identitaire à réparer.
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Damien n’avait jamais eu vent des thérapies de conversion avant de se faire piéger par son père et un prêtre. Ce jeune catholique bisexuel strasbourgeois avait fait son coming out quelques mois avant que son père lui parle d’un séminaire religieux. « Cela faisait plusieurs mois que j’avais enfin annoncé à ma famille qu’il m’arrivait de fréquenter des hommes en plus des femmes, raconte-t-il, le regard fuyant. J’avais l’impression que c’était encore pire de leur annoncer que j’étais bisexuel que homosexuel. Comme si j’avais vraiment choisi d’avoir des partenaires des deux sexes, comme si j’étais déviant ».
« Dès notre arrivée, j’ai compris que ce n’était pas un séminaire du genre scout pour jeunes adultes » – Damien, 23 ans
Issu d’une famille très catholique, Damien est baptisé et a fait son catéchisme en bonne et due forme. Il se rend régulièrement à l’église pour prier. « Un jour alors que je rentrais de cours, mon père m’a dit avoir parlé avec un prêtre avec lequel il était très ami, se souvient-il. Il m’a parlé d’un séminaire en province qui aide les jeunes en difficulté à se retrouver et à se reposer durant une semaine au calme ». Le jeune homme n’est pas emballé mais son père insiste pour lui payer ce séminaire qui coûte plus de 300 euros. Quelques semaines et billets plus tard, il se retrouver à des centaines de kilomètres de Strasbourg, dans une grande bâtisse, avec cinq autres « patients », comme il se définit.
« Dès notre arrivée, j’ai compris que ce n’était pas un séminaire du genre scout pour jeunes adultes. Il y avait une femme, un prêtre et un assistant. Même s’ils souriaient tous à notre arrivée j’ai senti qu’ils nous dévisageaient. Plus tard j’ai compris que c’était parce qu’ils nous considéraient comme malades ». Damien rit jaune en repensant à ce souvenir. Il se frotte inlassablement les mains alors qu’il raconte son histoire. Dès leur arrivée, les jeunes hommes ont dû rencontrer le prêtre, seuls à seuls : « Je ne sais pas ce qu’il a demandé aux autres mais me concernant j’avais l’impression qu’il était très bien informé. Il a tout de suite appuyé là où ça fait mal et m’a parlé de Victoire une de mes ex. Une fille, bien sûr. Petit à petit, on a dérivé sur ma bisexualité et sur le fait que je m’étais égaré mais qu’il suffirait de prier et de bien travailler cette semaine pour retrouver le droit chemin ».
La suite, Damien a beaucoup de mal à en parler. Quelques larmes s’échappent lorsqu’il raconte l’une de ses nombreuses réunions avec le prêtre. « Je suis croyant et à force d’entendre que ce n’était pas normal d’aimer les hommes j’ai fini par me poser des questions » raconte-t-il. Ses journées se ponctuent de lectures de livres présélectionnés avec soin par l’association organisatrice de la thérapie, et de sessions de prières et de discussions de groupe avec le prêtre. Les rondes entre la cuisinière et l’assistant empêchent les six jeunes hommes de parler d’autre chose que du quotidien. Mais Damien se souvient de Guilhem*, âgé de seulement 19 ans et ouvertement gay. « Il était très rebelle, ça se voyait qu’il n’avait pas choisi d’être là contrairement aux autres où nous avions plus ou moins accepté délibérément d’y aller. Il était assez insolent au début. Durant les réunions de groupe, il insultait tout le monde. Mais au bout du troisième jour, il a complètement arrêté de parler. Une fois à table, j’ai vu une larme couler sur sa joue. Je l’ai trouvé très beau et je me suis senti mal la seconde d’après d’avoir pensé ça », confie Damien. De retour chez lui, Damien est resté bisexuel mais la thérapie l’a fragilisé.
« On peut vous aider à retrouver une sexualité épanouie. C’est important pour fonder un foyer, il n’y a rien de mal à se confier » – un prêtre
Toutes les nuits pendant des semaines, il rêve de ses compagnons de séminaire mais surtout du prêtre. « Je faisais tout le temps des cauchemars et à chaque fois que je regardais un homme j’avais comme une pulsion qui me poussait à prier pour aller mieux ou demander pardon à Dieu ». Il a essayé de ne plus s’intéresser qu’aux femmes, en vain. Un jour sur facebook, Damien reçoit une notification qu’il ne pourra jamais oublier. « J’ai reçu un message privé de Guilhem, celui qui ne disait plus rien à la fin de la thérapie. Je ne sais pas comment il m’a retrouvé mais il m’a envoyé un long message. Il me racontait l’enfer qu’il vivait avec sa famille et le désespoir qu’il ressentait depuis la thérapie. Il me proposait de le rencontrer ». Le jeune Strasbourgeois n’a jamais répondu au message, « par honte » raconte-t-il. Avec le temps, Damien a pris le recul nécessaire sur cette expérience. Maintenant infirmier, il est à présent fier d’être bisexuel mais n’oubliera jamais cette thérapie. « Je suis en couple avec un homme depuis presque un an et je n’en parlerai jamais à mon compagnon. Ce n’est pas que je ne veux pas lui en parler mais je ne peux pas, j’aurais trop honte de lui raconter tout ça », affirme Damien embarrassé.
Alors que de nombreux pays ont interdit les thérapies de conversion, ces dernières existent toujours en France. Après s’être fait épingler par de nombreux médias, les associations qui pratiquent les thérapies de conversion se font maintenant discrètes mais proposent toujours les séminaires comme celui où Damien est allé. Ces méthodes ne disent pas forcément leur nom. D’ailleurs, ces thérapies seraient encore pratiquées par des psychiatre et psychothérapeutes difficiles à combattre. Mais ce sont souvent les prêtes qui sont en première ligne.
Joint par téléphone, un prêtre de l’association catholique Torrents de vie propose rapidement des réunions de groupe : « On peut vous aider à retrouver une sexualité épanouie. C’est important pour fonder un foyer, il n’y a rien de mal à se confier », affirme le prêtre. Des séminaires « réparateurs » en échange de sommes exorbitantes. Certaines thérapies peuvent coûter jusqu’à 600 euros la semaine. De nombreux membres de la communauté LGBTQ espèrent voir disparaître ce genre de pratique dans l’hexagone. Certains politiques en ont fait leur fer de lance. Laurence Vanceunebrock-Mialon, députée LREM de la deuxième circonscription de l’Allier a déposé l’année dernière une proposition de loi visant à interdire les thérapies de conversion.
L’élue, elle-même homosexuelle, souhaiterait que la France emboîte rapidement le pas de l’Union européenne qui condamne ces thérapies. Elle souhaite que ces pratiques soient punies de peines de prison allant de trois à dix ans d’emprisonnement. « Concernant l’interdiction en Europe, Malte s’est exécuté, d’autres pays comme l’Espagne, l’Irlande ou le Royaume-Uni réfléchissent à légiférer. Il me semble que la France, pays des Droits de l’homme se doit de le faire également » déclare la députée. Le plus dur reste maintenant d’obtenir l’interdiction et de la faire respecter. « Nous avons écrit un texte qui propose de définir ce que sont ces pratiques qui visent à changer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre et avec un article unique interdire ces pratiques » raconte Laurence Vanceunebrock-Mialon.
Certains se révèlent moins optimistes que la députée. Cyrille de Compiègne se bat depuis plusieurs années contre les thérapies de conversion et fait partie de l’association chrétienne LGT, David et Jonathan. Selon lui, il sera très compliqué d’interdire ce genre de pratiques en France. « Actuellement les thérapies de conversion ne s’appellent même pas comme ça, on ne leur donne jamais ce nom et dans les descriptifs la sexualité n’est que présentée très largement il n’y a jamais de le mot homosexualité ou hétérosexualité pour éviter qu’on les accuse d’être une thérapie de conversion justement. Même si l’interdiction passe en France cela va être très dur de faire appliquer la loi » affirme-t-il. La simple interdiction des thérapies de conversion ne semble pas être une priorité du gouvernement pour l’année 2019. Même si ces séminaires restent un épiphénomène, leurs conséquences psychologiques sont très importantes sur les personnes qui les subissent.
*Les prénoms ont été modifiés à la demande des intervenants.
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