Le printemps est arrivé, et avec lui, la deuxième salve de bonnes résolutions de l’année – oui, elles viennent remplacer celles que vous n’avez pas tenues pendant l’hiver. C’est le moment de faire le ménage dans nos maisons, dans nos fringues, mais aussi – roulement de tambour – dans nos intestins.
Exilée aux États-Unis, j’ai découvert ce qu’on appelle le « Master Cleanse », un régime d’un minimum de 10 jours, qui consiste à ne se nourrir que de limonade maison et de tisanes laxatives afin de régénérer l’ensemble du corps et de l’appareil digestif, de se débarrasser des parasites et des toxines et, accessoirement, perdre du poids.
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Aux États-Unis, le « Master Cleanse » est passé en quelques années de régime détox de hippie marginal, créé dans les années 1940 par Stanley Burroughs – un mec obsédé par la médecine naturelle et par la suite impliqué dans pas mal de controverses – à véritable tendance santé.
Beyoncé aurait perdu près de 10 kg en deux semaines en suivant ce régime drastique – à qui on reproche, outre sa pauvreté nutritionnelle, une efficacité qui reste à prouver en termes de détoxication. D’autres préfèrent s’y mettre vraiment à fond : Tom Woloshyn aurait lui survécu à 372 jours consécutifs de « Master Cleanse ».
« Avant de commencer, je devais me délester de toute matière fécale, analogie des traumas, obsessions et mauvaises habitudes dont je voulais me débarrasser, et être prête à « “lâcher prise” ».
Rien d’étonnant à ce que ce genre de diète soit si populaire et courante aux États-Unis, où près d’un tiers de la population est touchée par des problèmes de surpoids et où les aliments transformés et ultra-transformés s’amoncellent dans les rayons de gigantesques supermarchés.
Pour ma part, j’ai découvert ce « jeûne miracle » au cours d’une conversation avec un ami, qui le pratique au printemps depuis 10 ans afin de couper court à ses addictions diverses (alcool, clopes, junk food) et prendre le temps de réfléchir à la direction qu’il souhaite donner à sa vie.
Ma vie allait-elle changer à l’issue de ces 10 jours ? Allais-je enfin avoir les idées plus claires quant à mes désirs les plus profonds ? Allais-je retrouver l’énergie de me battre pour mes rêves ? Mon troisième œil allait-il s’ouvrir ? Avant de le découvrir, je devais me délester de toute matière fécale, analogie des traumas, obsessions et mauvaises habitudes dont je voulais me débarrasser, et être prête à « lâcher prise ». J’étais en route pour un « fresh start », comme on dit ici.
JOUR 1 : VENDREDI
Je me réveille sous les coups de 10 heures, et je sais que je m’apprête à prendre un petit-déjeuner dont les ingrédients constitueront la totalité de mes repas pour les 10 jours à venir. J’ai une vingtaine de citrons biologiques, un demi-litre de sirop d’érable biologique aussi, et un pot de piment de Cayenne.
La recette : un jus de citron pressé, 1 à 2 cuillères à soupe de sirop d’érable, et 1/10 de cuillère à café de piment de Cayenne, le tout dilué dans un verre d’eau minérale. Première impression : c’est plutôt super bon. Le sirop d’érable rend le procédé définitivement plaisant.
L’après-midi, je me repose, tentant d’éviter toute tentation provenant du frigo encore plein qui se trouve dans la cuisine. Je passe la journée à la maison et me prépare une « limonade » dès que mon estomac présente les symptômes de la faim.
Le soir, un peu par trouille, et un peu par flemme, j’omets de prendre la tisane laxative prévue par le régime. Je me dis que cette partie de la détox doit s’adresser plus particulièrement aux personnes cherchant à perdre du poids. Je me prépare un dernier verre et je vais me coucher aux alentours de minuit.
JOUR 2 : SAMEDI
Cela fait 24 heures que je n’ai rien mangé mais je me réveille plutôt en bonne forme. Je n’ai pas tellement l’impression de mourir de faim. J’entame la préparation de la première boisson de la journée. Le truc un poil embêtant avec ce régime, c’est qu’on est censé boire chaque « potion » dans les 10 minutes suivant sa préparation afin de garder tous les bénéfices provenant des enzymes.
À moins de se trimballer avec son presse-agrumes, ses 15 citrons de la journée, sa pinte de sirop d’érable et son pot de piment de Cayenne partout où on va, il vaut mieux entreprendre le régime lorsqu’on a du temps libre. Pour ma part, ça tombe bien, je bosse depuis chez moi. Un atout également en ce qui concerne mon accès illimité et privé aux toilettes, dont je vais grandement avoir besoin.
« Après 48 heures sans manger, je suis constipée. J’appelle mon pote, qui me plonge dans une légère panique lorsqu’il me dit que la partie “laxatifs” est indispensable »
La journée se passe plutôt bien, même si je commence à développer (déjà) quelques fantasmes gastronomiques impliquant des pizzas peperroni bas de gamme. Cela fait une trentaine d’heures que je n’ai pas mangé et je rêve déjà de tranches juteuses et grasses. Je lis quelque part que les fringales pour des aliments spécifiques sont en fait dues à la mémoire de mon intestin. Mon envie de pizza signifie que je suis en train d’éliminer la partie du mucus intestinal associée. Au revoir, peperroni agglutiné dans mes entrailles !
Le soir venu, je redoute un peu les mondanités à venir, alors que je me rends à un concert punk en banlieue. J’ai honnêtement mauvaise haleine. Avant de partir, je prépare un concentré de potion et emporte trois bouteilles d’eau pour me tenir la soirée. Après avoir raconté à tout le monde que je suis en pleine « détox » et que je ne bois que de la limonade — tentant de justifier mon haleine putride par autre chose qu’une mauvaise hygiène buccale — je pars sous les coups de 23 heures après avoir écouté seulement la moitié des groupes.
JOUR 3 : DIMANCHE
Je me réveille sous les coups de 8h30, prépare un verre de limonade, doublé d’une tisane. Je me sens plutôt bien, et mes envies de pizza ont disparu. Un problème commence à poindre son nez cependant : après 48 heures sans manger, je suis constipée. J’appelle mon pote, qui me plonge dans une légère panique lorsqu’il me dit que la partie « laxatifs » est indispensable et que si je ne vide pas mon intestin un peu tous les jours je risque un prolapsus rectal. Je me prépare immédiatement une tisane laxative et attends que cela fasse effet.
JOUR 4 : LUNDI
Cette fois, je commence à suivre tout le programme à la lettre, laxatifs inclus. Je me sens étonnamment en forme, et je ne rêve plus tellement de nourriture solide. J’ai pris le rythme, je me sentirais presque pousser des ailes. Ma langue est cependant désormais recouverte d’une pellicule jaunâtre. J’ai toujours mauvaise haleine, mais la balance indique que j’ai perdu près de deux kilos.
JOUR 5 : MARDI
Mes selles sentent le brocoli. Le soir, je me rends à mon cours de théâtre avec un thermos de tisane, et deux bouteilles de 50 cl de limonade pré-préparée. Le trajet en métro est plus fatigant que d’habitude, et, à la pause, je regarde d’un mauvais œil les chips Lay’s goût barbecue d’un camarade de classe. J’entends une des filles de mon cours dire qu’elle est en plein régime détox elle aussi et engage alors gaiement la conversation. Son régime à elle inclut de la nourriture solide. Elle est inquiète pour moi lorsque je lui dis que cela fait cinq jours que je n’ai rien mangé.
JOUR 6 : MERCREDI
Ma langue est toujours jaune, j’ai toujours mauvaise haleine, mais les idées claires. Ce matin, je décide de tenter le lavement à base d’eau salée conseillé dans le bouquin de 150 pages dédié au régime et à ses bienfaits. Deux cuillères à café de sel diluées dans un litre d’eau tiède, que je suis censée boire en moins de 10 minutes.
Le but est d’absorber une quantité d’eau dont la salinité est la même que le sang, afin que l’eau et le sel ne soient pas absorbés dans le processus de digestion mais passent directement de mon estomac à mes intestins. Je me prépare donc à rincer mes organes internes et à chier de l’eau. L’eau salée me donne envie de vomir, et l’impression de boire un litre de fluide corporel ne m’aide pas. Une heure plus tard, je cours à la salle de bains.
JOUR 7 : JEUDI
J’entame un ménage de printemps de mon appartement et me couche à 20H30, exténuée. Tisane laxative dans une main, j’entame la lecture d’un livre sur le véganisme. Le changement, c’est maintenant.
JOUR 8 : VENDREDI
Des crampes intestinales me réveillent à 3h du matin. J’évacue désormais uniquement du « mucus intestinal ». Je commence à fatiguer du jus de citron. Mon poids ne diminue plus.
JOUR 9 : SAMEDI
Petite forme, mais je parviens quand même à faire un peu de rangement et à aller à une soirée la nuit venue, une bouteille de limonade dans chaque poche.
JOUR 10 : DIMANCHE
Je me rends pour la première fois de ma vie dans un club de sport pour une séance d’essai. Je n’ai pas fait de sport de façon régulière depuis que j’ai quitté le lycée. Ma vie est en train de changer, je ne regarde même plus avec envie l’enseigne du fast-food à pizza voisin du « Planet Fitness ».
Une fois à l’intérieur et installée confortablement sur l’un de leurs vélos d’appartement, seuls les plats végans présentés sur les écrans de télé parviennent à me faire saliver. J’enchaîne avec le parcours Express 30” et finis par une session de 15 minutes sur un des tapis de course, podcast sur l’éveil spirituel dans les oreilles.
JOUR 11 : LUNDI
J’ai prévu qu’aujourd’hui soit mon dernier jour, mais j’ai l’impression que je pourrais continuer ainsi indéfiniment. Mon copain me réveille à 8 h 30 et nous partons à la salle de sport. La balance indique que j’ai perdu 5 kg.
Ce soir, je recommencerai à ingurgiter autre chose que du jus de citron et de l’eau de façon très progressive avec un simple jus d’orange. D’ici deux jours, je pourrai manger de la soupe. J’ai les idées claires, je suis une femme nouvelle au colon régénéré, plus rien ne peut m’arrêter !
Pour conclure, sept jours après la fin de cette diète drastique, je suis plutôt convaincue par la démarche. Si mon but premier n’était pas de perdre du poids, et si je reste un poil sceptique quant aux vertus nutritionnelles du « Master Cleanse », ne pas manger pendant 10 jours m’a permis de réfléchir à mon rapport à la nourriture et d’observer les effets de mon alimentation sur l’énergie dont je dispose au quotidien.
« Ne pas céder et aller jusqu’au bout de l’expérience, est, au fond, peut-être la leçon la plus importante que je retiens de ces dix jours de détox »
Laisser mon système digestif prendre 10 jours de vacances a, de façon tangible, permis à mon organisme de disposer de l’énergie habituellement dépensée dans le processus de digestion (environ 10 % en moyenne de l’énergie d’un individu). Ce qui a rendu possible mes visites quotidiennes à la salle de sport, qui se poursuivent.
Niveau alimentation, j’essaye désormais de ne pas manger plus qu’à ma faim et de limiter au maximum tous les aliments transformés ainsi que la viande, afin de continuer à expérimenter les bienfaits supposés d’une alimentation saine, AKA végétarienne, voire vegan. Je galère encore, cependant, à faire une croix sur le fromage.
Enfin, d’un point de vue psychologique, ces dix jours m’ont permis de me recentrer sur moi-même, et l’absence totale de substances comme l’alcool ou la clope m’a clairement aidée à avoir les idées plus claires. Bizarrement, le carcan du régime m’a aussi donné l’impression d’avoir un plus grand contrôle sur mon corps, et, par extension, sur ma vie. Ne pas céder et aller jusqu’au bout de l’expérience, est, au fond, peut-être la leçon la plus importante que je retiens de ces dix jours de détox.
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