Un des plus grands dilemmes de notre époque torturée, si l’on en croit le nombre de questions relatives au sujet postées sur Quora ou Reddit, n’est autre que « Faut-il supprimer les photos de son ex sur son compte Instagram ? » Évitons tout suspens inutile, puisqu’apparemment personne n’a de réponse définitive. Mais il y 90 ans, dans la Hongrie de l’entre-deux-guerres où l’ancêtre d’Instagram – l’album-photo – existait déjà, une femme avait mis au point une solution radicale pour éviter à son mari de se plonger dans cet épineux dilemme. Plutôt que de brûler ou de jeter les clichés sur lesquels son mari apparaissait avec ses anciennes conquêtes, notre mystérieuse Hongroise gribouillait – tantôt minutieusement, parfois férocement – les silhouettes des ex-petites amies honnies, comme pour les placer au rang de fantômes d’un passé oublié.
C’est dans un centre d’archives de Budapest que l’artiste et collectionneur de photos d’amateurs, Erik Kessels, a mis la main sur ces 52 photos marquées à l’encre noire indélébile. « Ces photos sont à la fois un acte d’amour et de jalousie », propose le curateur néerlandais. « C’est émouvant de voir qu’elle n’a pas touché à son mari, mais que seules les femmes ont subi sa colère ». Si l’on peut comparer la pratique du coup de feutre à celle qui consisterait aujourd’hui à « unlike » ou « unfriend » quelqu’un sur les réseaux, Kessels y voit surtout « l’amour égoïste porté à un homme qui devient ainsi plus important que les photos elles-mêmes. » En guise de parallèle, Kessels compare la démarche à celle d’un chien qui pisse sur un arbre, les trainées d’encre seraient une manière pour la femme de dire « C’est le mien ».
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Cet ensemble de clichés vient composer le quinzième numéro de la série de livres intitulée In Almost Every Picture de Kessels, où il compile des photos prises par des amateurs qui racontent une histoire profondément humaine – parfois tragique, marrante ou brutale. Par exemple, dans le premier numéro sorti en 2001, Kessels avait organisé près de 400 photos d’une femme prise par son mari pendant leurs vacances. Au fil du temps, la femme prend de moins en moins de place dans le cadre, comme si les deux époux s’étaient éloignés après des années de vie commune. Dans un autre numéro, on retrouve des dizaines de photos prises par une famille d’Américains qui possède un chien à la robe noire. Pendant 12 longues années, les propriétaires du toutou ont essayé de résoudre ce que Kessels appelle « un des plus grands mystères de la photographie » : prendre en photo un chien noir. Un défi non rempli, puisque sur chaque cliché, le bon pépère n’est qu’une ombre.
Pour accompagner la sortie de ce numéro 15 d’In Almost Every Picture, nous publions quelques photos de ce mystérieux boxeur de seconde zone hongrois (selon les recherches de Kessels) flanqué de ses anciennes amoureuses irrémédiablement condamnées à l’oubli.
In Almost Every Picture #15 (KesselsKramer Publishing), édité par Erik Kessels. Photos issues du centre Horus archive à Budapest, Hongrie.
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