C’est un fait, il ne se passe plus une semaine sans que je fasse un rêve érotique. Je dis « érotique » en hommage aux films coquins que je regardais en douce étant ado, le dimanche soir, sur M6. Mais niveau réalisation, mes rêves sont plus proches des affreux pornos sur lesquels je tombais par hasard en essayant de télécharger Lolita malgré moi sur eMule. Cela étant posé, ce ne sont pas les rêves érotiques qui me turlupinent mais les personnes qui figurent au casting. Voyez, en une quinzaine d’années de sex dreams, j’en ai vu défiler des partenaires inattendus : 50 Cent, Vladimir Poutine, Kendji Girac, Jean-Luc Mélenchon, François Fillon, Emmanuel Macron et, reste d’Œdipe oblige, même mon père et ma mère y sont passés.
Mais depuis quelque temps, c’est avec mes collègues de bureau que se jouent mes scénarios nocturnes. Et ça, c’est vraiment gênant. Gênant parce que je les revois nécessairement le lendemain (contrairement à ceux que j’ai cités plus haut), gênant parce que je me réveille avec la sensation réelle d’avoir fait sa fête à ma copine de cafèt’, gênant parce qu’il se peut également que mon inconscient fasse une fixette sur mon supérieur hiérarchique.
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Panique de la nique onirique, je consulte d’abord un dictionnaire des rêves en ligne pour essayer de comprendre : « Rêver de coucher avec son patron suggère que vous optez pour des méthodes sournoises ou déloyales pour arriver à vos fins. Il peut s’agir aussi d’un besoin de régner sur votre petit monde, même par procuration. » Cette interprétation me semble insatisfaisante et pleine de mépris. Dois-je préciser qu’une fois mes paupières closes je n’ai plus droit de regard sur mes partenaires de jeu ? Et croyez-moi, dans ce qu’on appelle « la vraie vie », je suis une fervente partisane du no zob in job. J’envoie ce sms à quelques amis choisis : « Dis, tu fais des rêves érotiques toi ? ». On me répond : « Non, pas vraiment » ou « De temps en temps, mais j’m’en souviens pas trop » ou encore simplement « C’est quoi cette question ? ». Juste une question de vie (sociale) ou de (petite) mort.
« Coucher avec votre chef représente votre envie de travailler avec lui, ce que vous faites vous passionne et vous souhaitez continuer à partager des choses, non pas sexuelles mais intellectuellement fortes » – Liliane Holstein, psychanalyste
C’est à ce moment-là que je décide de me tourner vers la psychanalyse. Après tout, c’est bien Freud qui écrivait dans L’interprétation du rêve, en 1900 : « L’interprétation des rêves est la voie royale vers une connaissance des activités inconscientes du psychisme ». Tourmentée de la psychée, j’appelle ma psy pour m’apaiser. « Vous savez, les rêves sont là pour exprimer des choses qu’on ne peut pas exprimer dans notre vie véritable, m’explique-t-elle. Des conflits intérieurs, des inquiétudes, des angoisses qu’on ne parvient pas toujours à s’avouer soi-même et qui réémergent lors des rêves, sous la forme de situations embarrassantes mais dont la signification est assez éloignée de l’image qu’elles nous donnent. » Quand je vous dis que je n’ai aucune envie de passer à l’action avec des collègues de travail.
Je lui parle ensuite du dictionnaire des rêves que j’ai consulté en ligne : elle en rit, je la suis (j’y pense, je n’ai jamais rêvé que je couchais avec ma psy). « Ces dictionnaires donnent des indications très superficielles sur la manière d’interpréter nos rêves, car tout le monde est différent et il est nécessaire d’étudier l’histoire et le contexte psychologique de chaque personne pour leur donner une signification juste. » Mon contexte psychologique actuel, c’est que mon contrat prend fin dans un mois. Si ça m’inquiète ? Affirmatif. Selon elle, mes rêves érotiques seraient liés à ma situation professionnelle instable (le journalisme est mort) : « Coucher avec votre chef représente votre envie de travailler avec lui, ce que vous faites vous passionne et vous souhaitez continuer à partager des choses, non pas sexuelles mais intellectuellement fortes. Il n’y a rien de honteux là-dedans, il ne faut pas se laisser rouler par la signification apparente de ces rêves qui est plutôt bateau. » Elle me confie qu’en tant que psychanalyste, elle passe sa journée à décrypter les rêves coquins de ses patients. « Tout ça est très fréquent, très normal et très humain ».
On aurait pu s’arrêter là, sur cette lecture qui faisait de moi une acharnée de travail, toujours prête à montrer de quoi elle est capable et qui, non contente d’envoyer son CV à la terre entière pendant la journée, montre son cul(riculum vitæ) pendant la nuit. Mais elle ajoute : « Bien sûr, ces rêves sont aussi très souvent induits par du désir, quand on n’a pas beaucoup d’activité sexuelle et que le manque se manifeste sur un plan inconscient. » Je vous laisse quelques secondes pour visualiser l’émoji tout penaud, vous savez, celui qui a les yeux en l’air parce qu’il se sent piégé. C’est moi.
Oui, il se peut que je traverse une petite période de frustration de mes besoins primaires et que mon inconscient compense avec les premières personnes qui lui tombent sous la main. Alors que je préférerais clairement qu’il fasse appel à Pio Marmaï. « Ah, ce n’est pas si simple, commente ma psy, l’inconscient est des milliards de fois plus fort que notre intelligence, il fait ce qu’il veut. La seule chose qu’on puisse essayer de faire, c’est d’influer sur l’ambiance générale d’un rêve : si on fait une séance de méditation avant de se coucher, on peut le rendre plus paisible, tranquille, mais si on regarde un film d’horreur, il risque d’être violent. »
L’autre soir, tandis que j’étais déjà au lit, je repensais à ces rêves avec mon chef. Je dois dire que c’est devenu une private joke (very private même, puisque je ne la partage qu’avec moi-même) : quand je le croise, et surtout quand il m’agace, je me demande si on s’affrontera la nuit venue, s’il me traquera quand je serais assoupie dans ma baignoire, façon (Rocco Sif)Freddy, Les Griffes de la nuit. S’amuser de tout ça, c’est d’ailleurs ce que me conseille la psy. « Il ne faut pas être gênée ni en faire un drame, mais voir ces rêves avec tendresse et humour. Ils nous envoient souvent des petits messages à décoder, dont il faut tirer un enseignement pacifique et bienveillant envers soi-même. Quand vous vous trouverez face aux collègues avec qui vous couchez dans vos rêves, souriez à votre inconscient et faites-lui un petit clin d’œil ! »
En raccrochant, ce proverbe yiddish me revient à l’esprit : « Un rêve de beignet, c’est un rêve, pas un beignet. » Finalement, un rêve de cul, c’est pareil : c’est un rêve, pas du cul.
Merci à Liliane Holstein, ma psychanalyste.
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