La souris d’ordinateur a fêté ses 50 ans en décembre dernier. Si je ne m’abuse, ce demi-siècle lui permet de prétendre au titre de plus long braquage de l’histoire moderne. Le seul gadget qui me semble plus scandaleux est le dongle d’Apple, quand même. La souris est un accessoire décadent et superflu à presque tous les égards, l’avatar rococo qui a transformé le coeur humide de notre société en tas de viande pourrissante.
Oui, cher lecteur, la souris est une arnaque.
Videos by VICE
Je peux vous pardonner de ne pas avoir vu la vérité plus tôt. Tous les jours, nous empoignons notre souris avec un abandon de kamikaze. Des puissances supérieures nous ont entraînés à utiliser cet appareil révoltant dès notre plus jeune âge, tant et si bien que ses trois boutons passent désormais pour indispensables. L’Ordre de la Souris nous endoctrine avant que nous ne soyons assez vieux pour questionner la nécessité de son totem. La molette tourne sans fin sous nos doigts comme si nous étions immortels. Nous savons pourtant bien que la souris est mauvaise pour la santé. Elle nous permet de gagner de l’argent. Son créateur, lui, n’a jamais été récompensé par le moindre centime.
J’ai longtemps été heureux de me voiler la face. Et puis, un beau jour, ma souris est arrivée au bout de ses piles. Plutôt que m’élancer vers le placard et ses montagnes d’AA, j’ai décidé de ne plus jamais utiliser l’infâme appareil. Un voeu solennel que j’ai tenu pendant exactement une (1) semaine de travail.
Au cours des cinq jours suivants, je n’ai donc utilisé que mon clavier pour rider Internet et mon disque dur local. C’était un genre de digital detox, une manière d’essayer de comprendre l’informatique pré-années 80, quand les souris n’avaient pas encore été greffées aux machines commerciales.
Si je devais décrire cette expérience en quelques mots, je dirais juste que ça déboîtait.
“Mother of All Demos” : Douglas Engelbart, le créateur de la souris, dévoile le potentiel de son invention en 1968.
Mémoriser tous les raccourcis courants m’a pris environ une journée et demie. J’ai noté tous les autres sur un carnet posé sur mon bureau en cas de besoin. J’ai également dû paramétrer les applications qui n’acceptent pas les raccourcis clavier par défaut. Gmail, par exemple, ne permet pas de sélectionner tous les messages non-lus ou de passer d’un message à l’autre à l’aide du clavier de base.
En général, les raccourcis qui m’ont été les plus utiles sont :
- Passer d’une fenêtre à l’autre (alt+tab) ;
- Passer d’un onglet à l’autre (ctrl+tab) ;
- Ouvrir et fermer des onglets (ctrl+t and ctrl+w, respectivement) ;
- Passer d’un bureau virtuel à l’autre (win+ctrl+gauche/droite sur Windows, ctrl+alt+haut/bas sur Linux) ;
- Ouvrir la commande exécuter (win+r).
Par bonheur, la plupart des raccourcis sont les mêmes d’une application à l’autre (Google Drive/Microsoft Office, Google Chrome/Firefox) ou d’un système d’exploitation à l’autre (Windows et Linux). Les exceptions notables concernent la création et la manipulation de bureaux virtuels.
Au bout d’une semaine sans souris, j’ai dû me rendre à l’évidence : les raccourcis claviers étaient déjà gravés dans mon cerveau. Surtout, ils me faisaient gagner un temps considérable, particulièrement sur des tâches fastidieuses. Un apôtre des raccourcis clavier assure carrément qu’ils lui permettent de gagner jusqu’à 60 heures par an. Autre avantage : je n’ai désormais plus à toucher les touchpads des ordinateurs portables, ce qui est bien agréable.
Apprendre à gérer une fourchette de sa main non-dominante est une expérience similaire. Grâce à ce petit life hack, plus besoin de changer sa fourchette de main après chaque utilisation du couteau. Énorme. De la même manière, apprendre les raccourcis clavier permet de ne plus avoir à bouger sa main pour attraper la souris. Le temps et l’énergie sont précieux en 2019, tas de freelances.
Bien sûr, tout n’étais pas rose sans souris. Habitué d’un certain nombre de forums, j’ai trouvé fatigant d’effectuer un ctrl+f chaque fois que je voulais « cliquer » sur un item. Adieu Photoshop, également. Pareil pour la plupart des jeux vidéo.
Somme toute, utiliser mon seul clavier pendant une semaine m’a beaucoup apporté. Ma vie est mieux. J’utilise toujours ma souris pour certains trucs mais la majeure partie du temps, je ride sans son aide, libre comme l’air.
Les raccourcis claviers me donnent l’impression de mieux connaître les ordinateurs. L’ironie de la situation, c’est que la souris a beaucoup facilité l’adoption des ordinateurs personnels. Grâce à elle, interagir avec ces gros engins est devenu plus intuitif. Dommage que cela nous ait conduit à ignorer des commandes plus rapides.