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Je n’oublierai jamais la BO de Metal Gear Solid V

J’ai fini Metal Gear Solid V début janvier. Il m’a fallu quelques mois pour mener l’ultime mission de Snake (ou Big Boss, je me fous pas mal de la cohérence de la série d’Hideo Kojima dont le héros restera à jamais Solid Snake à mes yeux) à terme. D’abord parce que je n’avais pas eu le temps de m’y mettre à fond avant décembre, mais surtout parce que je n’avais pas envie de faire mes adieux à celui qui restera, pour moi, le plus grand héros qu’un jeu vidéo m’ait jamais présenté. Et pour admettre que malgré Bloodborne, Hotline Miami 2 et ses défauts, il resterait mon jeu préféré de 2015, et celui qui m’aura offert le plus de souvenirs inoubliables depuis quelques années. Outre les qualités profondes du jeu et le génie de Kojima, ces souvenirs ne tenaient finalement qu’à un élément accessoire : la playlist 80’s que Snake compile au cours de ses diverses infiltrations.

Metal Gear Solid V doit son univers ouvert à Red Dead Redemption, le western de Rockstar dont Kojima n’a jamais caché qu’il s’était inspiré pour concevoir l’ultime épisode de sa saga. Ce n’était donc pas très étonnant de retrouver des traces de GTA dans le jeu, pourtant les emprunts de Kojima à ce dernier m’ont autant surpris qu’ils m’ont offert les plus beaux moments de jeu vidéo que j’ai vécus à ce jour. J’aurais pourtant dû le voir venir puisque dès son épisode pilote, le très décrié Ground Zeroes, Kojima offrait une dimension particulière à son jeu en y collant le Here’s to You de Joan Baez et Ennio Morricone. Morceau majestueux appliqué à une sordide histoire de trafic d’enfants guerriers. Il y avait de l’idée, voire du génie, mais rien ne me préparait à ce que le créateur allait me proposer de vivre dans Phantom Pain, l’aboutissement des prémices de Ground Zeroes.

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Je n’ai plus le souvenir précis du premier morceau que le jeu propose – il me semble que c’est la reprise de The Man Who Sold the World par Midge Ure ce qui ne m’avait pas vraiment surpris vu que le jeu est indirectement dédié à David Bowie – mais je garde un souvenir précis du moment où j’ai compris que Kojima n’allait pas se contenter de ce clin d’œil un peu trop appuyé. J’entamais méthodiquement ma première ou seconde mission sur le terrain afghan. A l’approche du camp dans lequel je devais dénicher un important général, je dégainais mes jumelles pour jauger les forces ennemies en présence, et en passant devant un baraquement, une ligne de basse venue se calquer sur l’ambiance désertique a retenu mon attention. Une ligne de basse que je ne connaissais que trop bien, mais qui n’avait à la fois rien à foutre ici, et, dans ma psyché, pourtant tout à y foutre. Quand j’étais gosse, j’étais fan de Kim Wilde. J’aimais bien ses chansons, mais je trouvais surtout que c’était la plus belle femme du monde. J’avais complètement compris Laurent Voulzy quand il avait décidé de lui dédier un morceau, et j’étais extrêmement jaloux qu’il ait réussi à la faire chanter sur son morceau, ce qui sous-entendait qu’il l’avait rencontrée, et dans mes yeux de gamin, forcément pointée. Depuis, Kids in America est resté un morceau qui me fait intimement vibrer, d’autant qu’il illustre bien à mon sens la manière dont la pop fm 80 versait volontiers dans l’apocalypse musicale en faisant danser le monde sur une vertigineuse perspective d’avenir perdu. Oubliez les paroles de Kids in America, leur expression hédoniste n’est que le reflet d’une instru morale rappelant que l’oubli de soi ne mène qu’à la perte définitive de la civilisation, un fléau dont l’ombre plane sur toute la saga de Hideo Kojima, et sur toute la pop du début des années 80 ou presque. À l’approche du général, la bande apocalyptique de Ricky Wilde se faisait plus présente et j’ai découvert que celle-ci n’allait pas servir qu’à illustrer cette séquence : elle provenait d’une cassette que j’allais pouvoir taper, à l’instar de n’importe quelle munition, pour l’écouter à ma guise tout au long du jeu. Ça n’a pas manqué, j’abordais dès lors chaque mission, la voix de Kim Wilde dans mes oreilles. Sans m’en lasser tant elle collait à toutes les situations que m’offrait le jeu : immobiliser un poste de garde, délivrer un prisonnier, infiltrer une base secrète, plomber un hélico suréquipé, fuir, me planquer, parcourir les montagnes afghanes à cheval, et finalement, ce qui restera LE souvenir que je garderai du jeu, courir à corps perdu dans les plaines angolaises en compagnie de Diamond Dog, le chiot devenu chien de combat, fidèle compagnon auquel j’ai forcément prêté une affection particulière.

Snake et D-Dog écoutent Kim Wilde, pètent un hélico, et un tank bute D-Dog. Snake est vénère. Il tue le tank. Et les autres. Vidéo : Al Batard.

Malgré Rebel Yell de Billy Idol, The Final Countdown d’Europe, Quiet Life de Japan, Friday I’m in Love des Cure ou Dancing with Tears in My Eyes d’Ultravox, je suis resté accroché à Kids in America jusqu’à ce que je découvre le Gloria de Laura Brannigan, qui est devenu mon morceau de décollage et d’atterrissage en hélico pendant toute la deuxième partie du jeu.

Snake et D-Dog font un peu de ménage en Afghanistan en écoutant Laura Brannigan. Vidéo : Al Batard.

Quand j’ai entamé cette deuxième partie, comme de nombreux joueurs, je me suis retrouvé face à une certaine frustration, le sentiment d’un jeu inachevé qui a failli me faire oublier les moments de majesté que m’avait offerts sa première partie. Malgré les fultonages, le cheval de feu, le Sahelanthropus, l’intro vertigineuse, la construction de la Motherbase, ce qui restait dans ma mémoire de joueur étaient ces moments passés à ne rien foutre qu’à courir avec D-Dog, mon iDroid vissé au creux de l’oreille à écouter ces morceaux qui prenaient une dimension inédite dans ce contexte. Evidemment, Kojima n’est pas le premier à avoir joué du décalage entre une BO pop ou affilié et un contexte de guerre. Coppola l’avait fait dans Apocalypse Now (les Walkyries se trouvent sur une autre mixtape de Phantom Pain), mais quand j’ai montré le jeu à une copine parfaitement imperméable aux jeux vidéo, elle a dû reconnaître que ces singuliers moments – version couillue et politisée des errances proposées par Fallout et sa bande originale singulière elle aussi – rappelaient directement Les Rois du Désert, dans lequel futilité guerrière et pop musique font incroyablement bon ménage.

Il aura suffi à Kojima d’une bonne idée, ultra simple, pour transcender Metal Gear Solid et n’importe quel environnement guerrier et en faire une expérience absolument singulière et mémorable, qui offre une immersion dans l’univers de son jeu que peu de créateurs arrivent à atteindre. Pendant un mois, je ne pouvais m’empêcher de chantonner Gloria en enfourchant mon scooter. Impossible de passer devant un container sans penser Fulton et surtout, Kids in America. C’est aussi la première fois qu’un jeu m’attirait vers des principes de guerre psychologique qui habitent un de mes films préférés, The American Way, dans lequel un groupe de vétérans du Vietnam commandé par Dennis Hopper survole les Etats-Unis à bord d’un bombardier abritant une télé pirate, en inondant le territoire reaganien du futur de heavy metal. J’ai regretté de ne pas pouvoir le faire dans Metal Gear Solid. J’ai regretté qu’à côté du soutien armé de mon hélico, je ne puisse pas lui commander de survoler une base en passant Rebel Yell à blinde afin de terroriser et d’accabler les troupes ennemies. J’ai rêvé cette scène en jouant sans cesse la playlist que je m’étais évidemment programmée dans iTunes en y rajoutant quelques morceaux qui, à mon sens, manquaient dans le jeu (j’ai regretté de ne pas jouer sur PC à ce moment-là, parce que ça m’aurait permis de les y mettre) : Enola Gay et Souvenir d’OMD, Owner of a Lonely Heart de Yes, Takin’ a Ride de Don Felder, Pale Shelter de Tears for Fears et évidemment Les Lacs du Connemara et J’accuse de Sardou. J’aurais pu rajouter Confidence pour Confidence de Jean Schultheis, mais le jeu aurait pâti de trop de déconne. J’ai tout de même dû reconnaître la surpuissance de Kojima quand je me suis dit un soir que ce serait génial d’avoir True de Spandau Ballet, dont j’ai chopé la cassette dans le jeu le lendemain. Je me suis alors dit banco, mais je ne l’ai joué qu’une fois. Contre toute attente, elle ne se prêtait pas vraiment à l’illustration de l’extermination d’un camp d’enfants soldats et leur exfiltration salutaire.

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Quand j’ai terminé Phantom Pain, en m’occupant de son final épique sur The Final Countdown – une boss battle des plus mémorables, le morceau parfaitement adapté à la situation tendue dans laquelle se trouve Snake à ce moment-là – je suis allé me poser sur ma Motherbase. Mon hélico a atterri sur Gloria, puis j’ai pris une photo de Snake et de D-Dog, posant fièrement devant mon drapeau. J’avais évidemment mis Kids in America dans mon iDroid, en sachant pertinemment que je ne remettrais ni les pieds en Afghanistan, ni en Angola. En sachant que j’allais laisser derrière moi tous ces moments que je n’oublierai néanmoins jamais. Ces heures passées à m’infiltrer et à courir au son des plus grands hymnes guerriers jamais commis par la cold pop, qui offrent au dernier Metal Gear Solid son ramage le plus précieux, et font d’Hideo Kojima un créateur bien plus important que les réalisateurs merdiques avec qui il s’acoquine.