Photo de Andrew Iwanicki via VICE
Alors que les essais cliniques connaissent une croissance constante, les sociétés pharmaceutiques ont de plus en plus besoin de volontaires. Heureusement pour elles, des types peu nombreux mais très motivés et fauchés acceptent tout et n’importe quoi, du moment que l’acte est rémunéré. Ils n’hésitent pas à mettre leur vie entre les mains de la science pour un peu de cash.
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Après la recherche préclinique sur des animaux vient une phase d’administration à l’homme, qui consiste à tester les effets secondaires des médicaments et la toxicité sur des volontaires sains. Les sujets testés à temps plein peuvent gagner entre 16 000 et 25 000 euros par an en participant à ces essais, mais ce job est bien entendu risqué, comme le prouve l’accident récent survenu à Rennes.
Nous avons discuté avec Sam Spadino, un habitant de Minneapolis qui « travaille » comme cobaye de laboratoire afin de financer ses véritables passions, à savoir l’écriture et la mise en scène. Au 71e jour d’une étude au sujet d’un médicament thyroïdien, Spadino a expliqué à VICE en quoi consistait son boulot.
VICE : Salut Sam. Peux-tu nous dire à quoi ressemblent les chambres ?
Sam Spadino : En fait, je vis dans une sorte de dortoir. Les lits superposés sont OK. Les repas sont médiocres, comme à l’hôpital en fait.
Combien es-tu rémunéré ? Combien gagnes-tu en temps normal ?
On me paie 2 200 euros pour cette étude, qui dure trois mois mais qui ne comprend que trois hospitalisations de 72 heures.
C’est une rémunération plutôt typique – 220 euros la journée, c’est une somme raisonnable. Vous êtes là vingt-quatre heures par jour, mais vous ne faites pas grand-chose, à part traîner, regarder des films ou lire. Il y a une table de billard et des jeux pour interagir avec vos collègues cobayes.
À quoi ressemblent-ils ?
On trouve un large éventail de personnes, aussi bien des punks que des mères de famille qui essaient de se faire un peu d’argent. Il y a aussi des habitués qui participent à toutes les études. En général, je ne discute pas avec les gens. Je mets mes lunettes de soleil, ma capuche et je pénètre dans l’immeuble.
Comment en es-tu venu à devenir cobaye ?
Un ami m’en a parlé, ça fait un moment déjà. La première fois, j’ai testé un nouveau système d’administration du Fentanyl, un analgésique très puissant. Ils m’ont collé une sorte de patch électronique qui délivrait la dose, mais ils m’ont aussi donné un inhibiteur, comme ils le font souvent, afin que je ne sente pas les effets.
Comment les gens réagissent-ils quand tu leur dis ce que tu fais ?
On me demande toujours : « Oh, tu n’as pas peur des effets à long terme ? » Ce sont ces mêmes personnes que je vois sniffer tout et n’importe quoi en soirée. J’ai entendu pas mal d’histoires horribles sur des études médicales, mais la plupart des effets sont bénins. Les essais cliniques me permettent d’avoir des bilans de santé réguliers, alors que je n’ai aucune assurance maladie. J’ai la chance d’être en bonne santé, mais si quelque chose devait arriver, je ne vis pas très loin d’un médecin.
As-tu déjà été victime d’effets secondaires ?
Oui ça m’est arrivé : j’ai eu des symptômes de fièvre chez Pfizer dans le Connecticut. Mais les chercheurs s’y attendaient. J’ai sué pendant 24 heures – des sueurs qui m’ont fait me sentir comme de la merde.
Quelles sont les études les plus étranges auxquelles tu as participé ?
Dans une étude, je devais avaler un comprimé attaché à une ficelle – j’ai avalé cette pilule et il y avait comme un fil dentaire assez long pour atteindre mon estomac. Le bout de ce fil est resté collé sur mon visage pendant un moment. Ensuite, ils ont retiré le fil de mon œsophage. Je ne sais pas si vous avez déjà essayé d’avaler un cheveu, mais c’est tout sauf agréable.
Dans une autre étude, un petit truc en plastique soluble était inséré sous ma peau et devait me faire bronzer. Ils l’ont inséré dans mon abdomen. Ils ont laissé ce truc en moi et m’ont pris en photo pour voir si ma peau changeait de couleur. Ils s’attendaient à ce que ça marche vraiment et que j’obtienne un bronzage de Brésilien. J’ai les cheveux roux et une peau pâle. Ça n’a rien fait. C’était décevant.
Et quelle a été l’étude la plus longue?
L’étude la plus longue à laquelle j’ai participé comprenait trois semaines d’hospitalisation. Je ne pouvais pas sortir. Trois jours d’enfermement à ne rien faire, c’est déjà très long. L’étude n’avait rien de complexe : les mecs recueillaient mon urine et mes excréments. C’est une expérience assez unique que d’aller à la salle de bains faire ses besoins dans un seau.
Est-ce que tout ça a changé ton regard sur l’industrie pharmaceutique ?
Absolument. Il y a énormément d’argent consacré à ces recherches. Si vous menez une étude qui s’étend sur plusieurs années, et que vous payez chaque participant 5300 euros… Il suffit de faire le calcul, c’est fou tout l’argent qui va dans la recherche et le développement des médicaments.
Je ne soutiens cette industrie en aucun cas. Je pense que c’est vraiment un système légalisé de trafic de drogue. C’est juste histoire de pousser les gens à acheter des produits qui ne vont pas les guérir. Je ne dis pas qu’il n’y a aucun médicament efficace, ou qu’aucun traitement n’a été découvert grâce à ces études, mais je suis persuadé que l’industrie pharmaceutique s’enrichit de manière démesurée grâce aux maladies des gens. C’est dingue tous les somnifères et les amphétamines qui sont prescrits aux enfants.
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