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J’étais jalouse maladive avant de partir en vacances échangistes

« Bon travail, chérie », dit le pompier nu à sa femme. Ils se regardent amoureusement et je me sens un peu à l’écart. Après tout, c’est moi qui suis en train de le sucer pendant qu’elle s’occupe de mon mari à côté de nous. D’ailleurs, si vous m’aviez dit il y a un an qu’un jour je le verrai se faire sucer par une inconnue sans en être énervée, je vous aurais ri au nez. J’ai toujours été jalouse. Quand mon mari ou n’importe quel ex-petit ami regardait dans la direction d’une autre femme, attirante qui plus est, je supposais aussitôt qu’il voulait coucher avec elle. Je suis tristement célèbre pour les querelles amoureuses qui commencent presque toujours par une accusation d’infidélité.

De fait, rien ne semblait menacer autant mon besoin de tout contrôler que l’échangisme, jusqu’au jour où j’ai été invitée, en tant que journaliste, à séjourner dans deux complexes hôteliers all-inclusive et vêtements optionnels à Cancún : le Desire Pearl et le Desire Riviera Maya. J’ai dit oui parce que c’était gratuit, mais dans ma tête, je disais non aux images excitantes quoique préoccupantes de mon mari donnant du plaisir à d’autres femmes.

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La jalousie n’était pas ma seule crainte. En tant qu’accro au sexe et au porno – mes principaux sujets d’écriture –, j’ai pris un trop grand nombre de décisions destructrices dans mon passé. Ma dépendance s’est calmée depuis que j’ai rencontré mon mari, mais des vacances salutaires pourraient-elles rouvrir la plaie ? « Ils ne peuvent pas nous forcer à pratiquer l’échangisme », dis-je à mon mari (et à moi-même) alors que nous parlons de nos soucis respectifs. En tant que parents d’un enfant en bas âge, nous sommes impatients de le déposer chez mes parents et d’être libres pendant quatre nuits, où que ce soit. Pourquoi pas un complexe échangiste ? Il accepte, avant d’ajouter : « Ils ne peuvent pas nous forcer à nous mettre nus non plus. »

Le Desire n’a pas vocation à être un lieu « échangiste ». J’a appris plus tard que leur description préférée, « couples uniquement, vêtements en option », est en fait assez inclusive vis-à-vis des « couples prudes » comme nous, qui veulent venir pour le plaisir des yeux, sans avoir à échanger leur salive ou tout autre fluide corporel avec des étrangers.

Quelques semaines plus tard, nous atterrissons à Cancún sous une pluie torrentielle. Un drôle de chauffeur de taxi nous conduit jusqu’au très isolé Desire Pearl, où des membres du personnel souriants nous accueillent avec du champagne. Les règles de la maison comprennent le consentement (« Non signifie non »), l’interdiction de photographier les autres clients et l’interdiction d’avoir des relations sexuelles ailleurs que dans les endroits prévus à cet effet, en l’occurrence le jacuzzi et la « salle de jeux ».

« Les gens se regardent, se complimentent, plaisantent et parlent ouvertement de leurs fantasmes. Certaines conversations sont tout à fait ordinaires : le travail, la vie, la ville »

Alors qu’on nous accompagne dans notre chambre, tous les membres du personnel que nous rencontrons nous saluent cordialement. « Nous leur apprenons à faire face à une personne nue, à lui parler en la regardant dans les yeux », m’explique Alberto Martinez, directeur général du Desire Pearl, lorsque je lui demande plus tard comment les employés gèrent la nudité et le sexe en public. Il me semble difficile de travailler avec toutes ces distractions.

Dès que la pluie s’arrête, mon mari et moi allons dans le jacuzzi et commençons à regarder autour de nous. Parmi les invités, âgés de 30 à 70 ans – principalement des Américains blancs – il y a des corps minces et charnus, des personnes grandes et petites, des seins naturels et des prothèses en silicone, des pénis grands et petits, des vagins poilus et complètement rasés. Tout le monde semble détendu, confiant et heureux.

Me sentant mal à l’aise avec mon maillot de bain, je l’enlève aussitôt. Mon mari fait pareil, comme s’il n’avait jamais envisagé de faire autrement. D’habitude, je suis complexée par mes cuisses et ma taille, mais le fait de voir tous ces corps différents fait vite tomber mes insécurités. Personne ne semble comparer. Nous commandons à boire.

Tout le monde est très ouvert et amical dans le jacuzzi, mais ce n’est pas l’énorme orgie que j’avais imaginée. Les gens se regardent, se complimentent, plaisantent et parlent ouvertement de leurs fantasmes. Certaines conversations sont tout à fait ordinaires : le travail, la vie, la ville. Le centre de villégiature étant une structure plutôt chère, les clients sont tous fortunés. Et ils parlent beaucoup de leurs enfants. Je demande d’ailleurs à un couple de l’Ohio : « Vos enfants savent où vous êtes ? » « Bien sûr, répond le mari. En fait, notre fille de 16 ans a choisi la lingerie pour sa mère et les costumes sexy pour la soirée thématique. Tout le monde à la maison sait où nous sommes. Nous en parlons ouvertement à nos collègues, amis et parents. Selon nous, s’ils ont un problème avec notre mode de vie, nous n’avons pas besoin d’eux à nos côtés, c’est tout. C’est beaucoup plus simple. » Une autre femme raconte fièrement qu’elle a offert un vibromasseur à sa fille adolescente pour Noël et l’a trouvé peu après sous son lit, déballé.

Je pense alors à ma mère, qui ne m’a parlé de sexe qu’une fois dans toute mon adolescence, en pointant mon entrejambe et en disant : « Ne laisse personne te toucher là. » Mes parents, l’environnement catholique dans lequel j’ai grandi, mais aussi la télévision, les livres, les comédies romantiques et les avalanches de chansons pop sur le sujet m’ont appris ceci : personne ne respecte les femmes libres, ce sont les hommes qui trompent, les femmes qui pleurent, et les relations sont fragiles. Même si aujourd’hui j’ai dépassé tout ça, certaines choses du passé me restent. La jalousie est l’une d’elles.

Avant de venir ici, je croyais que les échangistes étaient des gens étranges, un peu pathétiques. Que c’était un truc de vieux couple qui s’ennuie et que l’idée venait toujours du mari. Mais après avoir parlé aux gens, je réalise à quel point j’avais eu tort. Des gens mariés depuis des décennies s’embrassent et se caressent en public comme des adolescents. Et les femmes sont tout sauf passives. D’ailleurs, elles semblent plus agressives que les hommes. La plupart des compliments que je reçois me sont faits par des femmes – « Tu as eu un bébé ? ! Impossible ! » ou « J’ai hyper envie de t’embrasser, je peux ? » Si les hommes sont prompts à entamer une conversation amicale, les femmes ne le font que par intérêt sexuel.

« Le meilleur sexe que j’ai eu en vacances était avec mon mari, dans notre chambre d’hôtel à l’abri des regards indiscrets, en repensant aux aventures que j’ai vécues pendant la journée »

« C’est la sixième fois que nous venons ici », dit un homme venu des Etats-Unis alors que nous quittons le jacuzzi pour aller au bar. Sa femme est assise à côté de lui et examine attentivement la pièce. Elle a des accessoires flashy autour des tétons. Elle n’a pas l’air d’avoir envie de nous parler. « C’est la sixième fois, répète-t-il, et nous n’avons encore jamais quitté l’hôtel. » Cela me semble incroyable, d’autant plus que le site de Chichen Itzá n’est qu’à quelques kilomètres d’ici. Passent-ils vraiment toutes leurs vacances à faire l’amour ? Il ajoute qu’ils ne sont pas échangistes. C’est encore plus étrange. « Pour nous, c’est juste du porno en direct », dit-il.

Beaucoup de couples sont dans ce cas. Un homme m’explique qu’il n’est pas contre l’idée de l’échangisme, mais qu’après neuf séjours, personne n’arrive à la cheville de sa femme – une jolie petite blonde qui ne daigne même pas nous regarder mon mari et moi. « Parfois, l’excitation, la surprise, le fait de ne pas savoir si quelque chose va se produire ou non suffisent pour toute l’année. Le fantasme peut souvent être beaucoup plus satisfaisant que l’acte lui-même », me dit-il

Bien sûr, tous les couples présents ne sont pas comme ça. Après le premier dîner, nous n’avons encore vu personne faire l’amour et nous décidons de retourner dans le jacuzzi maintenant qu’il fait nuit. C’est alors que nous assistons à notre première orgie publique. Ma première réaction est de me dire que c’est contraire aux règles, alors même que je les ai lues. Je demande alors à mon mari si c’est permis. Il ne répond pas. Il est trop occupé à regarder la scène. Un homme se retourne et nous fait signe de la tête avec sa main, nous invitant à participer.

Je regarde mon mari, qui me regarde aussi en attendant que je prenne la décision de nager dans l’autre sens ou de les rejoindre. C’est là que j’ai un déclic. Mais j’ai toujours la jalousie en tête, et mon mari en est conscient. Je me contente alors de m’amuser avec les deux autres femmes pendant que les hommes regardent. Nous faisons connaissance seulement après. « Salut, je suis Ginger, dit l’une des femmes en me tendant la main. Enchantée. »

Les jours qui suivent, comme si cette première nuit avait déverrouillé quelque chose en nous, mon mari et moi jouons à savoir jusqu’où nous pouvons aller. Nous réservons un massage sensuel en couple au spa, où mon masseur et sa masseuse nous rapprochent de l’orgasme avant de nous laisser seuls.

Le soir, nous rencontrons le même groupe dans le jacuzzi et, à un certain moment, l’action se déplace dans la chambre de quelqu’un. Mon mari tripote les seins d’une autre femme, tandis qu’un autre homme tripote les miens. Peu de temps après, je vois mon mari se faire sucer, tandis que des visages au hasard s’aventurent entre mes jambes. Mon mari et moi continuons d’échanger des signes de consentement, pour voir si nous sommes tous les deux à l’aise, et les autres couples font la même chose.« Les mains et la bouche, c’est bon, non ? », demande un homme. « Oui, mais si tu mets ta bite dans le vagin d’une autre, je te tue », répond sa femme.

« Ça va ? » mon mari et moi nous demandons à tour de rôle. « Est-ce que c’est OK pour toi ? » La réponse est toujours oui. Le plus surprenant, c’est qu’en regardant mon mari avec d’autres femmes, je ne ressens ni rage, ni ressentiment, ni peur. Peut-être parce que je fais la même chose. Peut-être que pour guérir ma dépendance sexuelle, il est préférable d’explorer ma sexualité plutôt que de la limiter. Cependant, nous n’avons pas mis toutes nos inhibitions de côté et nous n’avons pas dépassé toutes nos limites. Le meilleur sexe que j’ai eu en vacances était avec mon mari, dans notre chambre d’hôtel à l’abri des regards indiscrets, en repensant aux aventures que j’ai vécues pendant la journée.

Le troisième jour, nous nous rendons au Desire Riviera Maya, où nous rencontrons un pompier et sa femme au comptoir du bar. Le courant passe tout de suite. Nous parlons de notre ville, de notre travail et de nos enfants. Ils pratiquent l’échangisme depuis des années et nous expliquent que nous sommes des « soft swaps ». Contrairement aux « full swaps », les couples soft swaps font tout sauf la pénétration. Mon mari et moi exprimons tous les deux notre conviction de continuer ainsi – nous ne voulons pas aller plus loin.

« Chacun choisit son style », dit la femme du pompier. Elle a un regard doux et une voix calme. Elle sourit souvent et pose des questions réfléchies, ce qui me plaît. Elle semble vraiment s’intéresser à nous, et d’après ce qu’elle me dit, c’est très important pour elle. Elle n’aime pas coucher avec des gens qui ne l’attirent pas émotionnellement. Ce sentiment l’excite.

Quelques heures plus tard, nous suçons chacune le mari de l’autre. Puis le pompier demande : « Vous voulez essayer le full swap ? » Comme je n’ai pas eu d’orgasme, j’y pense, mais je regarde d’abord mon mari. Il ne dit rien, il me fixe. Encore une fois, la décision m’appartient, mais je commence à me sentir mal à l’aise avec cette responsabilité. Pour gagner du temps, je demande : « Vous avez des capotes ? » Ils secouent la tête. Je scanne la pièce rapidement. Dans un endroit comme celui-ci, il devrait y avoir des préservatifs partout, et pourtant, je n’en trouve pas un seul. Je regarde même dans le frigo, un étrange dernier recours.

Mon souffle ralentit et mon enthousiasme s’évanouit. Le pompier et sa femme s’installent dans le lit, je me blottis contre mon mari. Je n’ai plus envie de coucher avec eux. D’ailleurs, leurs caresses sur mon bras me tapent sur les nerfs. J’ai envie qu’ils partent. Ce n’est pas que je regrette ce que nous venons de faire ou que je ne les aime pas, mais j’aime davantage mon mari et je préfère rester seule avec lui. Nous avons presque franchi notre ultime limite, et maintenant nous avons besoin de nous reconnecter et de parler ouvertement de nos sentiments. Je dis poliment au couple que nous avons une réservation pour le dîner. Ils comprennent et ramassent leurs affaires.

Dans le passé, j’ai eu ma part de rapports sexuels occasionnels, et je me sentais mal à l’aise à ce propos. Mais je ne regrette en aucun cas ce voyage. Et le fait de ne pas avoir essayé le full swap nous donne quelque chose de nouveau à explorer pour la prochaine fois. Et je pense que nous y retournerons.

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