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En Sicile sur les traces d’une algue rare (et apparemment illégale)

Mauru, Catania, Sicily

Les algues font partie du régime alimentaire de l’homme depuis des milliers d’années. Des archéologues en ont trouvé dans les cuisines préhistoriques des peuples du Chili et sa consommation a été documentée dans les premiers récits écrits de populations du monde entier. Les algues sont très nutritives, riches en protéines, vitamines, acides aminés et acides gras comme les oméga-3, oméga-6 et oméga-7. De nombreux scientifiques pensent que les algues pourraient être l’aliment du futur et pourraient potentiellement assurer une sécurité alimentaire durable à des millions de personnes.

Aujourd’hui, nous avons tendance à penser qu’il s’agit d’un aliment de base de la cuisine asiatique, notamment japonaise. Mais en réalité, ces plantes aquatiques font partie de la tradition culinaire de nombreux pays du monde, dont l’Italie, où j’ai passé un mois entier cet été. Appelée u Mauru – du mot sicilien màguru, qui signifie maigre, pauvre – cette algue gélatineuse rougeâtre pousse sur les rochers dans les eaux peu profondes de la région de Catane, sur la côte est de la Sicile.

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Là-bas, elle était consommée comme en-cas par les pêcheurs qui revenaient de leurs sorties en mer matinales. Ils l’arrachaient des rochers, l’assaisonnaient de citron et de sel et la mangeaient sur leur bateau de pêche avant de rejoindre le rivage. Les pêcheurs installaient également des stands sur le littoral et la vendaient comme salade aux baigneurs pendant l’été. C’est un follower de VICE sur Instagram qui m’a fait découvrir ce mets délicat en me disant qu’il était difficile à trouver. Il ne plaisantait pas : il s’avère que les locaux considèrent ce plat comme une sorte de tabou depuis plus de 30 ans. Mais nous y reviendrons plus tard.

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La salade U Mauru, assaisonnée à l’ancienne avec du sel et du citron.

U Mauru, de son nom scientifique Chondracanthus teedei, a été enregistré pour la première fois par le pharmacien, botaniste et phycologue allemand Friedrich Traugott Kützing en 1847. L’espèce est en fait assez répandue en Méditerranée, notamment au Portugal, dans la mer Noire et dans les océans Atlantique et Indien. Elle a également été observée au Japon et au Brésil.

Autrefois, l’algue poussait en abondance en Sicile et dans d’autres régions d’Italie, mais aujourd’hui, elle est moins facile à trouver. Les plongeurs partent souvent à sa recherche sur les roches volcaniques, mais la plupart du temps, ils reviennent bredouilles. En conséquence, la tradition culinaire du Mauru disparaît à la vitesse de la lumière. Elle survit dans une poignée de restaurants sur une portion de littoral de 20 km allant de la ville d’Acireale à Catane.

Déterminé à l’essayer, j’ai appelé un certain nombre de poissonniers, de plongeurs et de restaurateurs de la région. Sur les douze fournisseurs potentiels que j’ai contactés au sujet de cette algue, neuf m’ont envoyé promener ou ont raccroché tout de suite. J’ai appelé les quelques autres tous les jours, en ayant l’air de plus en plus désespéré à chaque fois. Inévitablement, la réponse était toujours : « Nun ci nnè mauru, Andrea » – « Il n’y a pas de Mauru, Andrea », dans le dialecte local.

Lorsque je suis allé demander des informations sur l’algue en personne, j’ai été dévisagé de la tête aux pieds. Heureusement, j’étais accompagné par un ami du coin qui a pu parler en dialecte et faire baisser la tension. Finalement, un contact un peu plus sympa que les autres m’a expliqué pourquoi les gens étaient aussi grossiers avec moi : l’algue est en fait illégale et n’est vendue que sous le manteau à des personnes de confiance. Voilà qui était assez surprenant : à ma connaissance, j’essayais simplement de trouver un mets très rare, et non de fouiller dans le monde souterrain à la recherche de marchandises faisant l’objet d’un trafic.

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L’auteur goûte enfin l’algue Mauru après avoir passé un mois à la chercher.

Face à cette intrigue botanique, j’ai demandé pourquoi l’algue Mauru est illégale. « Elle est toxique et vous rendra malade, m’explique Giambattista Guarrera, un pêcheur local. L’algue absorbe la pollution et peut être assez dangereuse. » De plus, la plante ne pousse qu’à l’état sauvage et ne devrait donc pas être retirée de son habitat.

Selon un rapport réalisé en 2021 par l’ONG italienne Legambiente, les côtes de Catane ont été polluées par les industries voisines, les déchets domestiques et les bateaux. En effet, certains types d’algues prolifèrent dans les eaux polluées, au point de modifier des écosystèmes entiers. Des études sur les algues comestibles ont aussi montré que ces plantes ont une grande capacité d’absorption des métaux toxiques qui sont présents en grandes quantités dans les zones pollués et qui peuvent être dangereux pour les humains.

Mais en dehors des ouï-dire locaux, je n’ai trouvé aucune preuve que cette algue particulière est dangereuse, ni qu’il s’agit d’une espèce protégée qui ne devrait pas être enlevée de son habitat. Le 27e jour de mes recherches, j’ai enfin trouvé un restaurant à Acireale qui servait ce plat. Malheureusement, après ma visite, le gérant m’a appelé et m’a demandé de ne pas mentionner son nom ou celui de son établissement par peur des répercussions.

Une fois au restaurant, j’ai d’abord commandé une salade d’algues traditionnelle, assaisonnée à l’ancienne avec du sel, du citron et du poivre. Honnêtement, ça avait un goût de pierre. Vous savez, cette saveur salée et ferreuse qui vous reste dans la bouche lorsque vous sautez dans la mer depuis un rocher, mais en mille fois plus métallique. Sans parler de la consistance épaisse et fibreuse de la plante. J’avoue avoir regretté toutes ces heures passées à la chercher.

« La saveur change beaucoup en fonction de la période de l’année, m’a dit le restaurateur anonyme, qui est en fait extrêmement passionné par l’algue Mauru et va généralement la pêcher lui-même. Le mois d’août n’est pas la meilleure période, bien au contraire. La saison va de mars à juin. Plus on attend, plus l’algue a un goût d’iode et prend une couleur rouge. »

Heureusement, le plat suivant, des pâtes aux fruits de mer et à l’algue Mauru, était absolument délicieux. La cuisson adoucit beaucoup le goût de la plante, même s’il reste en bouche pendant quelques heures.

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L’auteur mange des pâtes aux fruits de mer et à l’algue Mauru.

Finalement, j’ai demandé au gérant du restaurant si l’algue était vraiment illégale et, surtout, dangereuse. « Dans la région, l’algue Mauru pousse là où l’eau salée rencontre l’eau douce et seulement là où l’eau est propre, a-t-il expliqué. Elle pousse aussi sur les roches volcaniques. Ces conditions sont difficiles à trouver. »

En gros, il m’a affirmé que les rumeurs au sujet de la toxicité de l’algue étaient complètement fausses, étant donné qu’elle est difficile à trouver précisément parce qu’elle ne pousse pas dans des environnements pollués. Et pourtant, les locaux sont absolument convaincus que la plante est mauvaise pour la santé et voient d’un mauvais œil ceux qui la consomment.

Malgré cette mauvaise réputation, un groupe soudé d’aficionados de l’algue Mauru en mangent en cachette. « Même quand je n’arrive pas à en trouver personnellement, je peux en acheter sans problème, me dit le restaurateur sans fournir trop de détails. Je dois juste préciser le numéro de permis de pêche et l’endroit où l’algue a été pêchée. » Cette règle s’applique pour tous les produits de la mer.

La rareté de l’algue la rend très chère : environ 30 euros le kilo. Mais croyez-moi, elle les vaut.

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