Le mois dernier, déçu par le final de la saison 2 de True Detective, j’ai décidé de me remonter le moral en regardant un truc bien. C’est en cherchant dans les derniers cercles de l’Internet que je suis retombé sur Vidocq, film que je n’avais pas vu depuis sa diffusion sur Canal + il y a de cela douze ans et dont j’avais presque oublié l’existence.
Vidocq est sans doute le plus grand film français raté de tous les temps. Tout le monde sait ça. Pour ceux qui ne le savent pas, je vais essayer de résumer l’histoire de ce semi-échec de première catégorie qui mettait en scène Gérard Depardieu dans un univers sombre, moite et rétrofuturiste, aux prises avec des malfaiteurs français tout droit sortis d’un centre de détention pour cosplayers hors-la-loi.
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Vidocq est sorti en salles en septembre 2001. Il a été réalisé par Jean-Christophe Comar aka Pitof, et a bénéficié d’un excellent accueil de la part du public, avec deux millions d’entrées, mais moins de la part des critiques, qui l’ont objectivement défoncé. Dans le film, on suit les aventures trépidantes d’Eugène Vidocq, campé par Depardieu, ancien bagnard devenu flic bourru aux méthodes expéditives, lequel cherche sans relâche un serial-killer que d’aucuns nomment surnaturel. À sa sortie, on a introduit Vidocq dans la sinistre case « techno-thriller », non pas parce qu’il était nécessairement « techno », mais surtout parce qu’il était le tout premier film jamais tourné entièrement avec une caméra numérique.
Comme nombre de mecs bien, Comar a commencé comme monteur dans le porno des années 1980, avant de fonder le studio Duran Duboi, spécialisé dans les effets spéciaux. C’est vers lui que s’est tourné le réalisateur Jean-Pierre Jeunet pour l’aider à créer l’univers poisseux des films Délicatessen ou Alien, La Résurrection, dans lequel Comar y a collaboré en tant que réalisateur seconde équipe.
Après Vidocq, Jean-Christophe Comar est parti s’installer aux États-Unis, à Los Angeles, où il a tourné Catwoman, sorti en 2004. Ce fut un échec, plus violent encore, qui signa plus ou moins sa sortie définitive du circuit cinéma traditionnel et le força à investir d’autres segments, plus expérimentaux. En 2015, Comar aka Pitof tourne toujours des films, dans une indifférence relative.
Je me suis entretenu par Skype avec lui afin de percer le mystère de sa vie, de sa carrière et de ce film, Vidocq, aujourd’hui unanimement reconnu comme la meilleure blague de l’histoire du cinéma français et un midnight movie de première main, peut-être le seul à avoir jamais été mis en scène de ce côté-ci de l’Atlantique. Ensemble, on a parlé de ce film maudit, de David Guetta, et bien sûr, de Gérard Depardieu.
VICE : En revoyant Vidocq, je l’ai trouvé très sensoriel comparé à Star Wars Episode 2, le second film tourné en numérique après le vôtre. Il fait totalement faux. Ça fait quoi d’avoir réussi un truc que George Lucas a – un peu – raté ?
Jean-Christophe Comar : Eh bien, pas grand-chose. J’ai beaucoup de respect pour Lucas, mais ce n’est pas un cinéaste. C’est un marchand de poupées. Et puis, il n’a jamais reconnu que Vidocq était le premier film en numérique, pour lui c’est l’ Épisode 2. Ce qui est faux d’ailleurs : il a juste tourné un tiers de son film en numérique, le reste est en 35 mm. Mais de toute façon, à part Star Wars, il n’a rien fait du tout. THX 1138 et American Graffiti sont des œuvres mineures et le meilleur épisode des deux trilogies, ce n’est pas lui qui l’a réalisé. Moi mon héros, c’est Kubrick.
Comment vous en êtes arrivé à travailler sur un film risqué tel que Vidocq ?
Après l’expérience d’Alien 4 en réalisateur seconde équipe, à mon retour en France, Dominique Farrugia est venu me parler de ce projet-là, Vidocq. Il m’a demandé de lire le scénario, pour savoir s’il était possible de le faire ici, sinon il l’envoyait aux États-Unis, car il nécessitait pas mal d’effets spéciaux. Après avoir lu le script, je suis revenu vers lui en lui disant que je souhaitais le réaliser, le côté action-thriller du projet m’attirant énormément. Une semaine plus tard, Dominique me donnait le go pour la réal du projet.
Je déteste le copier-coller. Tarantino par exemple, me fait complètement chier. Pour moi, c’est le David Guetta du cinéma.
De fait, pourquoi avoir tourné le film en numérique ?
Pour être honnête, faire un premier film d’époque en costumes n’était vraiment pas un truc qui me branchait. Il fallait dépoussiérer le genre, injecter quelque chose de nouveau. Je savais que Sony était en train de développer une caméra haute définition. J’ai été les voir et bien que ce soit un prototype, ils ont accepté de nous la passer pour le film. Je me souviens que sur le côté de l’engin, il y avait une plaque avec le numéro de série : 0001. Donc on avait vraiment la première caméra HD, ce qui a bien sûr engendré pas mal de galères. Les retours vidéo ne fonctionnaient pas, car la caméra surchauffait toutes les trois heures, c’était la merde – mais on savait qu’on faisait quelque chose de nouveau.
Ça va en faire bondir certains, mais le film m’a fait penser à deux trucs : d’abord Inland Empire de David Lynch, notamment via l’utilisation des gros plans en DV. L’autre truc, c’est la scène de fin qui m’a évoqué le jeu vidéo Silent Hill . Quelles ont été vos influences pour la réalisation du film ?
J’ai pris deux extrêmes. La peinture et les jeux vidéo. Des peintres comme Gustav Klimt et Gustave Moreau pour les paysages, plus l’aspect visuel des jeux vidéo de l’époque. C’est en voyant mon fils jouer à Tomb Raider que j’ai trouvé les angles de caméra que j’allais utiliser sur le film. Je voulais ça avec Vidocq : plonger le public au plus près des acteurs. Mais je n’ai pas utilisé de références de film pour Vidocq, car je déteste le copier-coller. Tarantino par exemple, me fait complètement chier. Pour moi c’est le David Guetta du cinéma – il n’invente rien. Avec Hitchcock ou Fritz Lang, chaque film était une pièce unique.
DansVidocq, vous avez réuni un casting improbable. Depardieu, Guillaume Canet et André Dussolier, ensemble. Comment fait-on pour diriger ces personnalités pour un premier film ?
Je connaissais la majorité du casting, pour les avoirs croisés sur différents plateaux, et je savais que c’était tous de grands professionnels. Je n’avais pas d’inquiétude. Le seul qui me faisait peur, c’était Gérard. C’est un monstre. Je l’avais un peu fréquenté sur le tournage d’ Astérix, mais ma crainte était de me faire bouffer par lui sur le plateau. Or, il s’est passé exactement l’inverse.
Comment ça ?
Quand est arrivé le premier jour de tournage au Panthéon, Depardieu devait monter 350 marches pour rejoindre le plateau. Je me suis dit : « soit il refuse de monter, soit il monte, il me déteste, et je vais en chier pendant tout le tournage. » En réalité, il s’est amusé tout le long du film. Aux essais costumes, il m’a dit : « t’emmerde, pas j’ai saisi Vidocq : c’est un lion. »
Le film est sorti une semaine après le 11-septembre. Je faisais la promo chez LCI avec Michel Gondry, et pendant l’interview on voit des images, sans son, d’une tour en feu et on déconne en disant : « c’est le prochain James Bond ! » En sortant de l’interview, les mecs en régie nous ont expliqué ce qu’il était en train de se passer.
Vous vous souvenez de la sortie du film ?
Le film est sorti une semaine après le 11-septembre. Je faisais la promo chez LCI avec Michel Gondry, et pendant l’interview on voit des images, sans son, d’une tour en feu et on déconne en disant : « c’est le prochain James Bond ! » En sortant de l’interview, les mecs en régie nous ont expliqué ce qu’il était en train de se passer.
Ah, ouais.
Du coup ça a déclenché une parano dans Paris, les gens ne voulaient plus aller au cinéma. Mais le film a quand même été un gros succès en salle, avec plus de deux millions d’entrées. Après, la profession l’a complètement rejeté. « Trop diffèrent, trop américain. » Ce qui m’a choqué c’est qu’on n’ait même pas eu une nomination aux Césars pour les costumes ou les décors.
Le film fut un gros succès à l’étranger, notamment en Espagne et au Japon. Est-ce que c’est à partir de là qu’une passerelle s’est créée avec les États-Unis pour la suite de votre carrière ?
Les Américains sont férus de trouver « le nouveau Frenchy ». Avec le succès du film, les agents ont tapé aux portes, et très vite on m’a amené vers Catwoman. Quand je suis arrivé sur le film, les mecs étaient complément à la ramasse et le scénario était bancal. Il ne savait pas comment vendre le personnage. Catwoman, c’est simple : soit t’en fais une Fantômette pour les petites filles, soit une salope pour les plus grands. Il n’y a pas d’entre-deux. Durant le tournage je n’avais aucun pouvoir sur rien. On me demandait de gueuler, alors que moi sur un plateau je suis plutôt famille. Je n’allais pas faire le roquet, comme Michael Bay : c’est un truc de petites bites.
Le cinéma de studio, c’est un cinéma de viol. Les studios t’attrapent dans une soirée, on te propose un projet en te disant que c’est cool, on te flatte sur ton précédent film, et une fois que t’es bien bourré – on te baise.
Qu’est-ce que vous avez appris de l’échec de Catwoman ?
Qu’être réalisateur sur un film de studio, c’est comme être le CEO d’une boîte. T’as 400 personnes à gérer, mais tu ne peux prendre aucune décision à cause des mecs au-dessus. Après quand tu fais la bise à Halle Berry et Sharone Stone tous les matins, que tout le monde est sympa avec toi, tu n’as pas forcement envie de l’ouvrir. Mais à la fin du montage, le film ne ressemblait à rien. On est donc repartis sur 12 jours de retake à un mois et demi de la sortie du film. C’était surréaliste. Catwoman, c’est comme Rosemary’s Baby : j’ai donné naissance à un monstre.
C’est toute l’histoire de Hollywood, je crois.
Le cinéma de studio, c’est un cinéma de viol. Les studios t’attrapent dans une soirée, on te propose un projet en te disant que c’est cool, on te flatte sur ton précédent film, sur le fait que t’es Français, et une fois que t’es bien bourré – on te baise. Au bout de neuf mois, t’accouches de ton film. Mais moi je n’ai pas fait mon Kassovitz à pleurer ma race, parce que les studios ne sont pas gentils. J’ai assumé et fermé ma gueule.
Qu’est que vous regardez aujourd’hui ?
Le cinéma américain est devenu tellement pauvre. Du coup, l’avenir est dans le cinoche indépendant et les séries TV. Après il y a des exceptions : le dernier Mission : Impossible est ultra maîtrisé, drôle et on n’est pas mécontent de payer 15 balles sa place. Mais à l’inverse, Jurassic World c’est embarrassant. C’est honteux. Mad Max par exemple c’est mal joué, mais t’as au moins l’impression d’aller voir un spectacle du Cirque du Soleil dont le thème serait : les bastons en camion. Du coup je prends plus de plaisir à me taper des séries télé, parce que là on est vraiment dans l’immersion, on prend son temps. Longmire, Breaking Bad, Game of Thrones, House of Cards c’est extraordinaire.
Au niveau de vos projets, vous en êtes où aujourd’hui ?
J’ai un projet de série télé et deux projets de films en indépendant. Je fais un truc nouveau : c’est d’écrire et développer mes films moi-même, car les scripts qu’on m’envoie ne sont que des projets de studios que je n’ai plus envie de faire. Pour faire un film : je dois y croire et y prendre du plaisir.