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études supérieures

On a demandé à des cégépiens dans la vingtaine ce qu’ils y faisaient encore après tant d’années

Une étude montre que les étudiants finissent leur formation moins rapidement qu’il y a dix ans.

Ah, le cégep. Un rite de passage vers l'âge adulte, qui allie autonomie, premières brosses (légales), cours de philo et début d'une longue relation de dépendance au café.

Bref, le paradis.

Le système en place prévoit que la formation collégiale se complète en deux ans pour le préuniversitaire, trois pour la technique. Mais, selon les données analysées par le chercheur Michel Perron, seulement un cégépien sur trois finit sa formation dans les temps, et c'est un nombre en baisse depuis dix ans. Et même deux ans passé cette date butoir, ce sont toujours 40 % des étudiants qui n'ont pas toujours de diplôme collégial.

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Comment ça? « C'est un phénomène social de plus en plus connu. Les jeunes n'ont plus comme objectif de finir leur cégep en deux ou trois ans. Ils sont plus nombreux à prolonger leurs études pour travailler en même temps ou à les interrompre pour partir en voyage », a expliqué le président de la Fédération des cégeps, Bernard Tremblay, en entrevue avec La Presse. Il évoque également les cas d'étudiants qui acceptent des offres d'emploi alléchantes en cours d'études.

VICE a discuté avec cinq étudiants au parcours collégial atypique, pour voir quels étaient les réels visages de ces statistiques – et peut-être même défaire l'image clichée du dude de la mi-vingtaine avec des dreads qui flâne toujours dans les locaux de l'asso étudiante avec son rat. (Cet exemple est peut-être ici trop propre au Cégep de Saint-Laurent.)

Olivier Deblois, 21 ans, technique d'intervention en loisirs, Cégep de Saint-Laurent

Raconte-nous un peu ton parcours collégial. Avec du recul j'y repense et c'est un peu lamentable. Je suis entré à l'automne 2013 au Cégep du Vieux-Montréal en sciences humaines – classique. J'ai coulé la moitié de ces cours-là, parce que… classique Cégep du Vieux-Montréal. Pourquoi t'as coulé tes cours? Je faisais pas la moitié des travaux. C'était plus cool de ne pas les faire que les faire, tu vois. Ensuite, j'ai réalisé que sciences humaines, j'aimais pas ça. J'avais aucune idée de ce que je voulais faire, fait que je suis allé faire des cours de base. La bonne idée. J'ai passé tous mes cours, mais pas avec des notes excellentes. Après ça, je suis allé en technique d'éducation à l'enfance le temps d'une session, mais c'était trop « matante » pour moi. Après ça, j'ai fait une session sabbatique. C'était le bout de la marde, ça me tentait plus et j'avais plein d'autres problèmes dans ma vie personnelle. Ensuite, j'ai changé de cégep pour aller faire la technique d'intervention en loisir. Je la fais en quatre ans, parce qu'avoir dix cours par session, je trouve ça un peu rushant. Tout ça pour dire que je vais faire au total six ans de cégep. Des fois, je me dis que c'est quand même beaucoup.

C'est normal selon toi de changer de parcours comme tu as choisi de faire? Quand tu entres au cégep, généralement, t'es jeune. C'est normal de se chercher quand t'as 17, 18 ans, de ne pas trop savoir ce que tu veux faire, d'être un peu perdu. Que la personne qui ne s'est jamais sentie perdue au cégep puisse me lancer des roches maintenant. C'est une belle adaptation de l'Évangile, ça. Sinon, est-ce que tu sens que tu perds tes repères à mesure que les nouvelles générations entrent au collège? Tout à fait. Je trouve ça vraiment très dur. Je me sens moins à ma place, je me dis qu'il faudrait bien que je sois rendu ailleurs un moment donné. J'ai hâte de finir.

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Maude Boissonneault, 22 ans, techniques de bioécologie au Cégep de Saint-Laurent

Tu es rendue à ta 11e session au cégep. Comment c'est arrivé? J'avais le choix entre faire la technique que je fais en ce moment, ou aller sciences nature, profil environnement à Édouard-Montpetit. Je me suis dit qu'un préuniversitaire serait moins long, que j'allais pouvoir me rendre à l'université plus vite…

Finalement, une semaine avant la rentrée, on m'a appelée pour me dire que le programme en sciences de l'environnement ne se donnerait pas parce qu'il n'y avait pas assez d'inscriptions. Il fallait que je choisisse un autre programme. Avoir su, j'aurais fait ma technique tout de suite.

Je me suis inscrite en sciences de la santé, et les cours de chimie, physique, math… Je dé-tes-tais ça. J'avais aucune motivation, tous mes cours de programme préuniversitaire me dégoûtaient, j'en ai coulé. Au bout de deux ans et demi, j'étais pu capable. Il devait me rester trois, quatre cours. J'ai décidé d'aller faire ma technique et de me rallonger de trois ans. Je me suis dit que de toute façon ce serait vraiment bénéfique pour ce que je veux faire. Après ça, je vais faire mon bac en biologie marine. Et là, je suis en train de faire ma dernière dernière session, si tu veux tout savoir! Ah ouais? OUAIS! C'est fini après! Je me rendrai pas à 12, certain! Qu'est-ce que tu répondrais à quelqu'un qui te dit que tu fais perdre de l'argent aux contribuables en allongeant ton parcours au collégial? C'est impossible pour un jeune qui sort du secondaire de directement s'enligner dans ce qu'il veut… Il me semble que dans ma tête, c'est infaisable. Et le cégep, c'est justement l'occasion d'aller voir un peu partout, pour après ça pouvoir te diriger à l'université. Parce que rendu à l'université, c'est pas drôle, essayer de changer de programme 12 fois. Ça coûte trop cher.

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Si tu vas faire quelque chose que t'aimes pas et que tu es malheureux toute ta vie…. tu seras pas un travailleur très rentable d'après moi anyway. T'es aussi bien de trouver au cégep.

Audrey Chayer, 24 ans, cégep à distance

Pourquoi ton cégep est pas fini?

J'ai fait mon cégep à Brébeuf en deux ans, directement après mon secondaire. J'ai fait tous mes cours, mais il y a un cours où j'ai arrêté d'aller. Je l'ai coulé. Après, je suis partie en voyage, je repoussais le moment où je devais le faire. Je me suis inscrite au cégep à distance éventuellement. J'ai fait un des exercices et j'ai abandonné complètement. Je suis allée à l'UQAM en tant qu'étudiante libre l'an dernier. J'ai été admise dans un programme qui exigeait le diplôme collégial – et je le veux mon diplôme. Donc je suis en train de refaire exactement le même cours, et d'avoir le même parcours pathétique que la dernière fois. Je suis pas très, très avancée [rires]. Mais je vais le réussir cette fois-ci, parce qu'en septembre, je rentre en enseignement à l'UQAM.

Et j'aimerais juste préciser que j'ai pas passé six ans au cégep, c'est vraiment juste un cours que j'ai laissé traîner. C'est quoi ce cours-là? Anglais. C'est vraiment absurde parce que je suis bilingue. Et tu en es rendue où dans ton cours à distance? Pour être encore plus pathétique : t'as six mois pour compléter le cours et j'ai payé 40 dollars pour avoir deux mois supplémentaires pour pouvoir le terminer. J'ai fait le premier devoir en cinq mois. Il faut que j'envoie le deuxième… Le fait que ce soit plus dans le quotidien et que je sois passée à autre chose… c'est vraiment difficile d'être motivée pour quelque chose d'aussi stupide qu'un cours aussi facile. C'est triste hein? [Rires] Est-ce que tu regrettes de pas avoir fini ton cours à temps? Ab-so-lu-ment. Si j'étais juste allée à ce cours-là à temps… J'avais rien d'autre à faire, j'ai sûrement juste écouté des webséries dans mon lit à Longueuil dans mon appartement de malheureuse. Si j'avais pas été paresseuse les vendredis matin, j'en serais pas là à 24 ans et j'aurais pu rentrer à l'université l'an dernier. Ça m'a vraiment freinée là-dedans. C'est vraiment chiant à faire un cours à distance. C'est une de mes plus grandes déceptions à vie, pour vrai. C'est trop stupide de pas être allée.

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Et selon toi, un parcours de deux ans, est-ce que c'est adapté à la réalité des étudiants? Je suis allée à Brébeuf, où les étudiants sont tous des gens privilégiés qui n'ont pas à travailler. Être aux études à neuf cours par session, je pense que c'est possible. Moi, je l'ai fait super facilement. Mais après ça, quelqu'un qui paie pour son appartement, sa bouffe ses études, je sais pas. Dans ma réalité à moi, c'est très possible de finir ses études facilement, sans faire aucun effort.

Nicolas Dupont, 26 ans, étudiant en arts visuels au Cégep Limoilou

Comment tu te retrouves encore au cégep, à 26 ans? À 14 ans, j'ai réalisé qu'il me restait deux ans pour décider de mon avenir, et ça me rendait anxieux. J'ai lu tous les livres d'orientation de carrière sur lesquels j'ai réussi à mettre la main, mais plus je m'informais, moins le choix devenait clair. J'ai gradué du secondaire dans les temps normaux, mais j'avais pris la décision de ne m'inscrire à aucun cours postsecondaire pour l'instant. Je voulais sortir de ma zone de confort et explorer mes possibilités.

Ça n'a pas bien fonctionné : les employeurs ne font pas vraiment confiance aux jeunes hommes de 17 ans. Si j'arrivais à me faire engager quelque part, c'était toujours une arnaque. Sans source de revenu, mes plans de partir à l'aventure semblaient de moins en moins réalisables.

En 2012, je me suis inscrit au cégep en session d'orientation. J'étais vraiment déçu d'avoir perdu trois ans de ma vie. Je n'étais pas très motivé et franchement un peu cynique. En 2013, j'ai étudié un an en arts visuels. Après, j'ai suivi une double formation DEP-ASP en vente-conseil et représentation commerciale. C'était une perte de temps, mais superficielle en comparaison avec le reste de mon parcours. En 2015, j'ai fait une demande pour entrer à l'Université Laval comme candidat adulte. J'ai assisté aux cours de mise à niveau, mais j'ai vite réalisé que ce serait plus rapide de juste finir mon préuniversitaire. Pourquoi as-tu laissé tomber les arts visuels? C'était une question de temps et d'argent. Il me restait quatre ans selon le cheminement normal (un an de DEC et trois ans d'université) et les diplômes en arts visuels ne viennent que rarement avec des perspectives d'emplois. J'ai choisi un «  easy way out » sous la forme de DEP rapide avec une forte demande. Théoriquement. Mais tu l'aimes, ce programme. Je l'aime plus qu'avant, et le fait que je le prenne plus au sérieux m'ouvre des portes dont j'ignorais l'existence. Par exemple, j'ai été invité à présenter mon travail dans des ventes aux enchères et des expositions. Je comprends plus facilement le milieu relatif du marché de l'art, probablement à cause de ma formation de représentant. Je vais chercher plus facilement des contacts utiles. Est-ce que tu regrettes d'avoir pris du temps à faire tes études au collégial? Pas vraiment. Même si ça a pas toujours été parfait, c'est la partie de mon parcours postsecondaire qui a été la plus smooth. Tout le reste, c'était le chaos en comparaison, alors j'en profite pendant que je suis là-bas.

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Pierre-Luc Morissette, 34 ans, en attente de retourner aux études

Comment s'est passé le parcours collégial, pour toi? J'ai commencé tout de suite après le secondaire, en 2000, en sciences humaines et individu au Cégep de Maisonneuve. J'ai lâché quelques mois après le décès de mon père pour aller travailler. Je suis retourné au Cégep de Rosemont en 2016 en thanatologie. Ça m'a toujours intéressé, mais je me suis rendu compte que c'était un très petit milieu, et même si mon grand-père n'est plus dans ce domaine, le monde arrête pas de jaser de lui. Je ne l'aime pas, pour d'autres raisons. J'attends qu'il ne soit plus là du tout, pour qu'ils arrêtent de me parler de lui. Là, je suis en attente de retourner.

Entre ces deux programmes, j'ai aussi commencé un DEP d'infirmier auxiliaire, j'ai fait un DEP en fonds et placements et j'ai commencé un DEP d'électricien.

Pourquoi t'es pas retourné en sciences humaines? C'est thanatologie que j'avais voulu faire à l'époque. J'aurais pu rentrer directement, mais je voulais explorer le monde un peu avant. Et sciences humaines… Je l'ai apprise, la psychologie, avec le temps, avec la vie, avec les gens. J'ai fait plus que 100 emplois. J'ai fait de tout. J'ai appris de toutes sortes de gens d'autres cultures, d'autres nationalités. Tu en apprends beaucoup quand tu parles avec eux.

Est-ce que selon toi un parcours de deux ans c'est adapté à la vraie réalité des étudiants? Non. Pourquoi ? C'est trop long pis plein de niaiseries. Ce que tu as vraiment à apprendre, ça s'apprend ben plus vite qu'en trois ans. Qu'est-ce qu'on devrait changer? Il faudrait que ce soit plus court, sérieux. C'est pas tous les cours que ça prend. J'ai eu des très bonnes notes en français écrit. Je vais être très bon à lire des livres, mais ça va pas me rendre meilleur à faire mon programme. Je trouve cependant que c'est pratique que les gens soient bons en français. Laissez les examens, mais laissez les gens apprendre à leur façon! C'est pas tout le monde qui apprend de la même façon.

Et les programmes de trois ans, c'est n'importe quoi. Il y a plein de programmes où on fait juste ajouter des heures pour qu'il y ait le même nombre d'heures que les autres programmes ou à peu près. Mais non, on n'a pas besoin de tout ça.

Les propos recueillis ont été édités par souci de clarté et de concision.