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Jul, le feuilleton de l’été

Depuis quelques jours, le rappeur Jul fait parler de lui pour des raisons, une fois n’est pas coutume, assez tristes. En conflit avec son ancien label, Liga One, il n’aurait pour l’instant plus le droit de diffuser légalement de nouveaux morceaux. Alors ok, c’est une bonne nouvelle pour pas mal de gens, mais ce n’est pas une raison pour applaudir – se réjouir du malheur d’autrui n’est jamais un bon del.

Tous les détails ont été mis sur la place publique via des échanges de posts Facebook entre l’artiste et ses anciens producteurs, qu’on ne peut pas appeler de vrais communiqués, vu que ça ressemblait surtout à un concours de fautes d’orthographes mais en tous cas, ça n’était pas joyeux.

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Comme tout ça commençait à lui courir sur le haricot, Jul a fait une vidéo de mise au point :

Outre le moment où il semble partir du principe que « toute la France » pense qu’il est riche alors qu’a priori, votre tante ne sait même pas qui est ce monsieur, l’ambiance est à la déprime et le rappeur a l’air d’en avoir très gros sur la patate.

En effet, sa chaîne YouTube a été supprimée, entraînant avec elle la tragique disparition de l’intégralité de ses clips (qui cumulaient 500 millions de vues au total, sans doute aussi un aspect du conflit puisque YouTube rémunère en fonction de ça). Pire, il déclare avoir été lésé avec un grand B niveau tune, ce qui est assez surprenant, surtout quand on se rappelle de ça :

Il est à noter qu’une nouvelle fois, le rap français arrive en retard par rapport à son homologue américain puisque 50 Cent a récemment déclaré être en faillite – m’enfin ce n’est pas le sujet ici.

Pour ne rien arranger, suite à cette vidéo, son compte Facebook a été supprimé, ce qui semble confirmer que Jul ne s’est pas monté le bourrichon pour rien, son ancien label a l’air bien décidé à lui pourrir la vie.

Tout ça a gâché l’ambiance bienheureuse d’un weekend qui était censé célébrer les 18 ans de la série South Park.

Alors Jul, c’est qui ?

Issu de Marseille, plus précisément du quartier St-Jean-du-Désert même si ces dernières années on l’a vu souvent à Font-Vert (QG de son ex-label, avec studio et tutti quanti) son itinéraire est à la limite de science-fiction (et dans les films de SF on utilise quoi ? Des fonds verts). Ce rappeur-chantonneur a explosé en 2013 et n’a cessé de gagner en popularité depuis. En indé total, il a fait des ventes que beaucoup lui envient, et surtout, que beaucoup ne s’expliquent pas. Jul n’est pas technique, il n’écrit pas de « beaux » textes, a une dégaine improbable, mais ça marche. Et pas qu’un peu.

Est-ce parce qu’il est plus productif que la plupart de ses collègues, parce qu’il a digéré d’une façon assez unique des influences ultra variées, du raï au RnB en passant par à peu près tout ce qui est dansant, y compris des tubes de variet’ des années 80 qu’il reprend sans aucun complexe ? Qu’est-ce que j’en sais. Marseille c’est aussi la mixité donc j’imagine que quelque part c’est assez logique. Le résultat est un patchwork musical bordélique, souvent cheap, parfois consternant, mais assez singulier pour ne ressembler à aucun autre.

Perso, au début, je le prenais -comme beaucoup- pour un phénomène de foire, et il faut admettre qu’aujourd’hui, même si je le prends toujours pour un phénomène de foire, il est arrivé à plusieurs occasions (deux, pour être exact) qu’il ponde une merde tellement addictive que j’en ai fait un gros plaisir coupable. Ah et puis il est parfois marrant, mais je ne sais pas si c’est fait exprès. Faut dire que le fait qu’il soit écouté par des crétins notoires n’arrange rien.

Ensuite, c’est un mec ultra timide qui a tendance à regarder ses pieds en interview et à parler comme un gosse face aux gens qu’il ne connaît pas. C’est ce qui nous a donné cette interview surréaliste en 2014, où il explique qu’il n’écoute pas Seth Gueko parce que « y’a des mots que je comprends pas », que la différence entre lui et les autres rappeurs c’est que lui va « voir son pote qui roule un joint et boit une cannette, bah je vais écrire ça, il roule un joint et boit une cannette, tu vois » et enfin qu’il considère le rappeur Zino de la Révolution Urbaine comme étant « plus fort que lui ».

Les intervieweurs étant plus portés sur le nombre de clics que la philanthropie, ce sera cette dernière phrase qui servira de titre, et on peut comprendre que Jul se tienne à l’écart des interviews depuis.

On a donc deux options : le pointer du doigt et se moquer (je plaide coupable) ou être attendri comme ça m’était arrivé par ici ; c’était marrant aussi.

Et c’est vrai que plus le temps passe, plus son côté 1er degré à toute épreuve, qui se prolonge évidemment dans sa façon d’aborder la musique, peut vite rappeler l’innocence d’un enfant assez attachant plutôt que celle d’un handicapé mental. Un peu comme Michael Bay dans un autre registre, si vous voulez.

La preuve, on trouve même des cinglés pour décortiquer son œuvre.

Du coup, c’est vrai qu’on est un peu désolés d’apprendre qu’un type qui est capable du meill… enfin, de trucs qui passent, comme du pire, soit privé de musique alors que ça semble clairement être sa grande passion. Surtout qu’une énième reprise improbable de variet’ française dégueu par ses soins n’aurait pas été de trop dans un été dominé par Louane, Kendji Girac et Calogero. Les jeunes habitant au sud de la Loire ont eux aussi ont droit à leur B.O. estivale.

Alors, à la demande générale de deux mecs au fond de la salle, je vais tenter de résumer la triste situation de Jul, avec calme et déontologie.

Au départ, Jul était heureux. Dans son coin, encore inconnu au bataillon, il faisait de la musique, certes minimaliste, parfois limitée mais malgré tout avec un potentiel populaire indéniable.

Bien que Marseille pullule de jeunes rappeurs, le label Liga One Industry (fondé par Tota et avec le rappeur Kalif Hardcore aux manettes, entre autres) se rend très vite compte du potentiel incroyable de ce p’tit gars pas comme les autres.

Ils décident de le signer chez eux et de tout faire pour le mettre en avant, quitte à parfois profiter de sa naïveté pour l’affubler de vêtements improbables dans certains clips, n’hésitant pas à bousculer certains codes vestimentaires établis dans le rap.

Qu’à cela ne tienne, le jeune public amateur de nouveautés et de chichas est rapidement séduit par cet artiste iconoclaste toujours plus original.

En ce qui concerne la musique en elle-même, ses paroles évoquent régulièrement la solitude, les galères, la déception et les trahisons. En dépit du côté dansant, Jul garde souvent un fond très mélancolique.

À l’inverse, plus le temps passe, plus certains de ses clips ont tendance à montrer parfois un train de vie extravagant et festif.


Les Marseillais en Thaïlande

Ceci dit, toujours en parallèle, d’autres vidéos, ainsi que des lyrics souvent très crus, rappellent qu’il vient de la rue et reste ghetto avant tout.

Jul est également capable de textes divertissants et assez drôles mais qui n’ont strictement aucun sens et avouons-le, c’est aussi ce qui fait en partie son charme.

Côté forme, Jul se considère comme un rappeur-chanteur, Future a une grande place dans son cœur. Niveau technique, il utilise souvent l’autotune et fait tous ses beats seul, en parfaite harmonie avec ses machines, à l’aise comme un poisson dans l’eau.

Bien vite, le succès est au rendez-vous pour notre jeune ami, qui passe de l’ombre à la lumière à vitesse grand V, et à la surprise générale, il reste constant et s’avère ne pas être simplement un effet de mode passager.

Son dernier album, Je tourne en rond, sort en même temps que celui de Nekfeu et le dépasse pépèrement (plus de 86 000 ventes à ce jour) avec 0 couverture médiatique là où le belâtre enchaîne télé, grosses radios, presse écrite et le marathon habituel. Mais Jul ne flambe pas et reste humble avec la concurrence, même si comme dans Mad Max on constate que la crête est plus forte que la mèche.

Devenu le plus gros rappeur indé de France, il se fait inviter par de plus en plus de monde en featuring et fédère une communauté de fans impressionnante (la fameuse #TeamJul) dont il prend soin en lâchant beaucoup de sons gratuits via Internet. Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et l’avenir semble radieux pour Jul.

Sauf que, surprise incroyable, twist et retournement de situation : d’après sa version des faits, tout n’est pas si beau. Il y a quelque chose de pourri au royaume du rap ; Jul serait en fait totalement exploité, voire escroqué par Liga One, selon ses dires.

Ces informations restent évidemment à prendre avec des pincettes, mais il me semble pertinent de suivre la version de Jul car elle est beaucoup plus drôle que toutes les autres. Reprenons.

N’étant apparemment pas d’un naturel méfiant il s’aperçoit de l’arnaque seulement au bout de 2 ans, après 4 albums et des milliers de T-shirts écoulés. Notre héros décide alors de réclamer son dû.

De leur côté, les dirigeants du label Liga One accueillent sa demande de manière plutôt mitigée.

Pourtant selon lui, Jul n’a jamais trahi personne, est resté fidèle à son équipe, bossant toujours plus sans jamais rechigner. Bref, il a fait beaucoup de sacrifices pour eux.

Après plusieurs jours de tensions et de négociations infructueuses, Jul se sent toujours aussi négligé, et ses interlocuteurs, désormais fermés à tout dialogue, se montrent de plus en plus hostiles.

Suite à son départ du label Liga One, plusieurs sites de musique confirment que Jul est « interdit de rap » et n’a plus le droit de faire des morceaux ailleurs que dans sa chambre. Cela va de pair avec la suppression de ses clips sur YoutTube ainsi que sa page Facebook, qui restait son seul moyen de communiquer avec ses fans.

Le point de non-retour est atteint. Jul n’a à présent plus d’autre choix que de répliquer. Après avoir expliqué publiquement tout ce qu’il reproche à son ex-label, il annonce que rien ni personne ne l’empêchera de faire de la musique (il a déjà un album de côté et compte le lâcher gratuitement à raison d’un son par jour pendant un mois). Depuis, la guerre est déclarée, pour le meilleur et pour le pire.

On espère également que toutes ces péripéties n’empêcheront pas Liga One de signer d’autres jeunes qui en veulent, parce que là apparemment Khalif Hardcore va reprendre le micro et ça c’est pas une super nouvelle. Et on souhaite bien sûr que cette histoire aura un dénouement positif afin que Jul continue de sortir des… trucs, parmi lesquels chacun piochera les curiosités qui l’intéressent.

Reviens nous vite, petit prince.

EDIT : Au diable l’interdiction, le souhait des fans a été entendu et Jul a offert à son public un nouveau morceau, « Je perds mon self contrôle ».
Tout est là : gimmick entêtant au refrain, ambiance tristounette, instru dansante minimaliste, vocalises autotunées et faute d’orthographe dans le titre.
Ca se confirme, rien ne l’empêchera de faire du son, et c’est tant mieux. Tiens bon Juju.


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