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#BlackLivesMatter : le bal des faux culs des influenceurs

Instagram racisme

Performative activism. Jamais on n’aura autant lu ces mots, sentence sans appel martelée depuis quelques jours sous les posts Instagram des marques qui tentent de prendre en marche le train de l’antiracisme à coups de communiqués bien-pensants. Une vague de bons sentiments aussi tardive qu’opportuniste qui touche aussi le microcosme des influenceurs, soucieux de se racheter une conduite à peu de frais sur le dos de Black Lives Matter.

Contraints et forcés de s’extraire de leurs bulles d’unboxings et de contenus sponsorisés pour cause de vague militante mondiale, ces derniers se sont vus interpeller par nombre d’activistes en France et outre-Atlantique. Comment peut-on encore se revendiquer influenceur quand on met sa force de frappe au seul service de leggings en matière synthétique ou d’extracteurs de comédons plutôt que de prendre part active à la révolution qui se joue sous nos yeux ? Pourquoi continuer à porter aux nues des personnalités déconnectées des enjeux du monde qui les entoure, incapables de mobiliser leurs communautés virtuelles à des fins non mercantiles ?

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Affolés par les critiques acerbes et sentant le vent tourner, ces derniers ont soudain décidé de se pencher sur les questions délicates du racisme systémique et des violences policières. Des problématiques sans doute trop peu glamour, jusqu’ici évitées comme la peste pour ne pas entacher leurs jolis feeds épurés aux teintes pastel. Et pour ne se fermer aucune porte auprès des annonceurs, en général peu friands des grandes gueules et des personnalités politisées.

Un réveil tardif qui a marqué le départ d’une mascarade sans précédent : sous nos yeux médusés, se sont multipliées les déclarations penaudes aussi copiées/collées que les guidelines dictées au mot près par les marques pour nous vendre des culottes ventre plat et des substituts de repas protéinés. « Je ne me sentais pas légitime, et je ne trouvais pas les mots pour en parler », déclare alors en chœur la fine fleur des muses Parisiennes aux centaines de milliers de followers, abandonnant ses selfies bucoliques en chapeaux de paille le temps d’un post pleurnichard et faussement contrit.


Ouvrons les yeux et éduquons-nous, mitraillent les maestros du code promo avec moults emojis poing levé, alors qu’il aura fallu l’énième assassinat d’un homme noir par la police pour qu’ils daignent prendre la parole. Une déconnexion flagrante qui précipite encore un peu plus la chute annoncée de ces hommes et femmes sandwichs, et prouve leur difficulté à s’exprimer sur des sujets de société fédérateurs.

Mieux vaut tard que jamais, répondent les membres de cette élite digitale, inaptes à faire leur auto-critique en dépit des polémiques incessantes qui décrédibilisent chaque jour un peu plus leur corporation.

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Comme le Covid 19 avant lui, le mouvement Black Lives Matter braque le projecteur sur la gaucherie affligeante de ces ambassadeurs des réseaux sociaux pourtant supposés en maîtriser les moindres rouages. Entre deux selfies boudeurs pris lors de manifestations et brillamment épinglés par le compte @influencersinthewild, on a vu émerger une version esthétisée de l’antiracisme dépossédée de son message initial : des contenus pensés sur-mesure pour épouser les feeds aseptisés des influenceurs, où les photos de mains noires et blanches entremêlées côtoient les citations de Martin Luther King sur fond rose millenial. Rien n’aura été épargné aux hommes et femmes noirs pourtant éreintés par cette période éprouvante, des tutos beauté pour reproduire le logo de Black lives Matter avec de l’eyeliner en passant par un festival de blackfaces et même du nail art à l’effigie du défunt George Floyd.


Dans ce magma de posts Bisounours plus embarrassants les uns que les autres, certaines égéries 2.0 ont aussi jugé bon d’exhumer leurs photos totems d’immunité en compagnie des rares femmes noires de leur entourage, non sans avoir préalablement sollicité des conseils de lecture auprès de victimes de racisme qui ont sans aucun doute bien d’autres chats à fouetter.

Tandis que l’influenceur Jake Paul se voit accusé d’intrusion illégale dans un centre commercial vandalisé lors de manifestations à Scottsdale, des influenceuses françaises postent des sondages dans leur stories Instagram, invitant leurs abonnés à décider si oui ou non elle se doivent de mettre en sourdine leur quotidien au profit « des violences envers les noirs » comme s’il s’agissait de départager leurs teintes de vernis à ongles fétiches. « Ensemble, nous éteindrons le mythe des races », s’enflamme la blogueuse star @sandrea26france, non sans indiquer la référence de son « magnifique blazer en jean » sous la même photo, business is business.

L’une des rares femmes noires à s’être imposée dans le monde très fermé des influenceurs, c’est elle : suivie par plus de 143000 fidèles, Fatou N’Diaye est un vent de fraîcheur dans l’univers formaté des blogueuses mode et beauté. Connue sous le pseudonyme de @blackbeautybag, elle ne mâche pas ses mots et alterne ses clichés léchés avec des prises de position tranchées sur l’actualité et les débats de société, sans concessions. Lucide sur ce milieu gêné aux entournures dès lors qu’on prononce le mot « racisme », la jeune femme n’hésite pas à interpeller ses pairs sur leur hypocrisie confinant à la lâcheté.

« Black Lives Matter met en évidence le fait qu’au lieu d’être précurseurs et leaders d’opinions, la plupart des influenceurs ne sont en fait que des suiveurs bénéficiant de grosses communautés. Leur prise de position tardive s’est faite uniquement parce qu’ils ont eu le feu vert implicite des marques qui se sont elles aussi prononcées. Beaucoup de blogueuses ne relaient les causes que si elles sont cosmétiques, et par là j’entends qu’elles n’entravent pas l’esthétique de leurs contenus. Cette soi-disant peur de ne pas être légitime me laisse perplexe. Faut-il être parent pour défendre les droits des enfants? Faut-il avoir vécu les abus sexuels pour lutter contre le viol ? Cela n’a aucun sens »

Concernant le carré noir #BlackoutTuesday qui s’est répandu à la vitesse d’un virus virtuellement transmissible, elle déplore un malentendu regrettable : « Beaucoup d’influenceurs blancs n’ont pas compris la signification de ce symbole. Il ne s’agissait pas seulement de poster un carré noir avec un hashtag, mais de mettre en suspens notre nombrilisme et nos habituels contenus futiles afin de montrer qu’on utilisait notre pouvoir à des fins militantes et engagées. J’avais pour ma part des contenus sponsorisés de prévus, mais j’ai expliqué aux services marketing qu’il était délicat d’enchaîner un post abordant le racisme avec la review d’un rouge à lèvres. » Un devoir de réserve et de cohérence qui n’a pas semblé effleurer la majorité des influenceurs, estimant avoir rempli leur quota de bien-pensance et n’hésitant pas à vanter les mérites d’épilateurs électriques et de masques hydratants sans transition, alors que la jeunesse du monde entier continuait de défiler dans les rues au nom de George, Adama et les autres.

Tout n’est pourtant pas bon à jeter dans le monde de l’influence : le néant intersidéral qui s’est exprimé chez les stars du secteur après la seconde vague de Black Lives Matter aura eu le mérite de faire émerger en opposition une poignée de jeunes talents. Des femmes qui ont su sortir du lot grâce à leurs approches intelligentes, et pleinement en phase avec l’actualité. Parmi elles, la sensation Lena Mahfouf aka @lenasituations, jeune femme pleine d’autodérision qui utilise sa popularité virtuelle considérable à des fins pédagogiques et au service d’associations pour lesquelles elle contribue à lever des fonds. Mais aussi celle de @jackieaina, influenceuse Californienne aux 1,6 million d’abonnés qui n’hésite pas à interpeller les poids lourds de l’industrie cosmétique, exigeant des comptes concrets sur leurs prétendues stratégies inclusives.

Dans un autre registre, l’ex-candidate de Secret Story Melanie Da Cruz a sensibilisé ses 2,5 millions de followers au fléau des violences policières, et a répondu présente à la manifestation historique du 2 Juin dernier organisée par le comité La Vérité pour Adama.

Autant d’initiatives qui permettent de dresser un bilan encourageant en dépit de quelques ratés selon Gaelle Prudencio, pionnière parmi les blogueuses noires body positive. « Certains semblent surfer sur le mouvement, mais j’ai néanmoins la sensation que quelque chose de positif s’est passé. Cela a eu pour effet de faire sortir les influenceurs blancs de leur mutisme. Le carré noir peut sembler anodin, mais il témoigne d’une certaine prise de conscience. L’enjeu pour les influenceurs se situe ailleurs, et se jouera dans les mois à venir : lorsqu’ils participeront à des campagnes, demanderont-ils qui sont les autres influenceurs présents, et exigeront ils des marques qu’elles produisent des contenus inclusifs ? Quand ils accepteront un voyage de presse, s’assureront-ils qu’une certaine diversité soit respectée parmi les participants, ou s’agira t-il encore d’événements entre blancs ? On ne se réveille pas un matin en se proclamant antiraciste. C’est un point de départ, et un travail de longue haleine nous attend »

Moins enthousiaste, Fatou N’Diaye voit quant à elle la possibilité d’un grand ménage salutaire au sein de ce microcosme controversé : « J’aimerais bannir le mot d’influenceur de notre vocabulaire courant, car c’est une appellation qui se mérite, aujourd’hui plus que jamais. Pour moi, être influenceur c’est être prescripteur de tendances, lanceur d’alertes, c’est prendre la parole en prenant le risque de déplaire, s’imposer comme leader d’opinion. Black Lives Matter nous prouve qu’être influenceur ne peut plus se résumer à impacter seulement les comportements d’achats, auquel cas nous ne sommes que des prospectus vivants. »

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