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Kamelancien n’en a plus rien à foutre du rap de rue

Si vous ne considérez pas Kamelancien comme l’un des poids lourds du rap game à la française, c’est que votre vie a dû être bien fade entre 2004 et 2007. Trois années durant lesquelles le rappeur du Kremlin-Bicêtre a publié parmi les morceaux les plus percutants en terme de rap de rue : « Code 187 », « Rap 2 Ben Laden », « C’est La Hass », « À Quoi Bon Sert ? ». Malheureusement, ce n’est ni cette soudaine reconnaissance, ni ses fameuses punchlines (« Tu r’vois ta vie, ex-voleur de ture-voi t’as vu / J’connais pas ta vie, mais j’l’a r’connais sur ta vue ») qui suffiront à l’imposer durablement auprès d’un large public.Hormis Le Charme En Personne, ses deux autres albums ont été un échec. Commercial, du moins. Ce sera peut-être également le cas de son quatrième forfait, Le Cœur Ne Ment Pas, mais Kamelancien s’en fout. À 36 ans, le bonhomme a toujours des choses à dire, une passion pour la chanson française à revendiquer et des souvenirs enfouis à partager.

Noisey : En 2007, dans « Le Charme de la Tristesse », tu annonçais ta retraite artistique à travers une punchline : « Bientôt le rap c’est fini, bientôt je m’enfuis ». Qu’est-ce qui a changé depuis ?
Kamelancien :
En fait, je ne parlais pas du rap, mais du business qui lui est inhérent. À l’époque, j’avais de plus en plus de mal avec les codes du rap, j’avais besoin de me réorienter, de quitter l’industrie et de publier des disques uniquement par passion. Lorsque tu écoutes mon dernier album, tu comprends assez vite qu’il n’y a aucun tabou. C’est très rare, par exemple, d’entendre un rappeur parler des sentiments qu’il peut avoir pour une fille qui l’a quitté. Ce genre de confidence, ça ne me gène plus. Un peu comme si j’avais une démarche de chanteur plutôt que de rappeur.

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Dans plusieurs de tes chansons, tu revendiques justement le fait d’écouter beaucoup de variété. En quoi des artistes comme Renaud, Souchon ou Cabrel t’ont-ils influencé ?
Pour moi, si Le Cœur Ne Ment Pas n’est pas du tout dans une ambiance hip-hop, c’est parce que je l’ai écrit en écoutant énormément les anciens disques de Cabrel ou de Dutronc. La façon dont ces mecs arrivent à captiver l’auditeur tout au long d’un album avec des sujets très intimes me fascine. C’est incroyable comment une chanson de Cabrel peut te faire aimer l’amour. En l’écoutant, je me suis donc dis qu’il fallait que je m’ouvre davantage, que je dise dans mes morceaux ce que je ne dirais pas dans la vie courante. Ça m’a aussi incité à être plus modéré dans mes propos, un peu comme Dutronc qui parvient à dénoncer tout en restant correct.

Tu penses que ce n’est pas le cas dans le rap ?
Si, chez des artistes comme Oxmo, Kool Shen ou Akhenaton. Pour le reste, c’est souvent vulgaire. Une allusion à Sarkozy est souvent suivie d’une insulte, il faut bien l’avouer.

Tu n’as jamais été tenté par le fait de chanter ? Même à tes débuts ?
J’ai grandi dans un quartier au croisement des années 80 et 90. Autant dire que le rap était bien trop présent pour penser à autre chose. Je faisais du break et j’écoutais en boucle Public Enemy et Rakim. C’est ce qui me correspondait. Mais aujourd’hui, je l’avoue, j’aimerais apprendre à chanter. Ça me permettrait de varier encore plus mes morceaux.

Tu as mis du temps à percer auprès du public. Peux-tu revenir sur ce qu’il s’est passé pour toi entre 1993 et le début des années 2000 ?
À l’époque, je faisais partie de deux collectifs, Main 2 Maître et 109. On était très jeunes et on a fait l’erreur de se concentrer uniquement sur nos titres et nos productions, au lieu de chercher à faire les démarches nécessaires pour se faire connaître auprès d’un plus large public. Il faut dire aussi que l’on n’avait pas de connaissances à l’époque, aucun piston. Le fait de figurer sur plusieurs mixtapes nous convenait déjà parfaitement. On avait l’impression d’être déjà connus, un peu comme si un groupe actuel voyait son premier morceau en ligne sur un site comme Booska-P. Au final, je ne le regrette pas. Tous les rappeurs de l’époque sont passés par là. Regarde Booba, il d’abord trainé avec les Sages Poètes de la Rue, puis avec Time Bomb et 45 Scientific. C’est l’ancienne école, comme on dit.

Que sont devenus les mecs de tes deux collectifs, Main 2 Maître et 109 ?
Ce sont toujours mes frères. On vit encore tous dans la même ville et l’on continue de se voir, même si la vie fait que c’est parfois plus compliqué qu’auparavant. Certains sont mariés, d’autres ont des enfants ou ont fondé leur société. Certains, comme Chef Moha, ont même continué le rap en enregistrant pour leur propre compte dans des studios à droite ou à gauche. Il y aussi le petit Neness, que j’ai fait poser sur un un titre sur Le Frisson De La Vérité.

Ton pseudo vient vraiment du fait que tu portais toujours des vêtements déchirés et démodés ado ?
Ouais, depuis que j’ai 16 ans on m’appelle comme ça. Au lycée, les filles me demandaient pourquoi on me surnommait « l’ancien » et c’était gênant. Je n’aimais pas trop… D’autant que j’étais persuadé que ça resterait toute ma vie. Et je ne me suis pas trompé : aujourd’hui encore, les gens du quartier m’appellent plus souvent « l’ancien » que Kamel. C’est plutôt beau au final.

Dans Le Cœur Ne Ment Pas, tu es assez dur avec le rap de rue. Un genre que tu pratiquais pourtant par le passé…
J’ai décidé de m’éloigner de ce genre de rap il y a plusieurs années. Tout simplement parce qu’il y en a trop aujourd’hui et que ça commence à me saouler. Il fallait que je revienne à du rap conscient, que je prenne la tangente. Ce que les rappeurs actuels ne comprennent pas, c’est qu’ils font tous la même chose, un peu comme s’ils se sentaient obligés d’être dans l’egotrip en permanence. Prends un album comme La Fierté Des Nôtres de Rohff : il y avait de l’egotrip et des morceaux violents, certes, mais il y avait aussi beaucoup de morceaux conscients. Je ne suis pas contre les clashs, les morceaux hardcore ou les battles, mais sur un album solo tu dois savoir varier les approches. Un peu comme Orelsan qui apporte un peu de dérision et de sang neuf.

En termes de rap hardcore, tu as notamment participé à des titres comme « Code 187 », « À quoi bon sert ? » ou « C’est la Hass ». Tu as conscience que la majorité du public ne connaît que ça de toi ?
C’est normal. C’est comme si un boxeur gagnait ses trois premiers combats par K.O. Ça va forcément le propulser sur le devant de la scène et marquer le reste de sa carrière. « Code 187 » est un morceau tellement puissant que ça m’a servit de tremplin. Mais c’est pareil pour Sefyu et Alibi Montana, également présents sur le titre.

Sur « À Quoi Bon Sert ? », il y a ce fameux « c’est Mister Tchiki, Mister Tchiki blaaah, va voir ta mère qu’elle te prenne dans ses bras »
C’est vrai que c’est devenu mythique, on m’en parle encore aujourd’hui. Pour être honnête, l’idée est née en studio. Avec un pote, on n’arrêtait pas de se balancer le mot « tchiki », sans trop savoir pourquoi, lorsqu’il me suggère de le placer dans un morceau. De façon un peu nonchalante, j’ai réussi à le poser dans « À Quoi Bon Sert ? », qui était censé être un titre marrant à la base. Ce sont les auditeurs qui en ont un fait un hymne de rap de rue par la suite, mais Rohff et moi l’avions enregistré de façon très décontractée, un peu comme une blague.

Tu as l’impression d’avoir connu le climax de ta carrière entre 2004 et 2007 ?
Bien sûr ! Rohff était en pleine bourre et j’avais la chance d’être toujours à ses côtés, de faire ses backs et d’être le seul rappeur à enregistrer en duo avec lui. La tournée de La Fierté Des Nôtres a d’ailleurs été exceptionnelle. Pareil pour celle de mon premier album, Le Charme En Personne, où j’ai été surpris de voir que le public connaissait mes paroles par cœur.

Tu es nostalgique de cette période ?
En quelque sorte, oui. Je sais que je ne reconnaîtrai plus tout ça. Les temps ont changé et de nouveaux héros du rap sont arrivés. Ce retour à l’anonymat, entre guillemets, je l’ai d’ailleurs très mal vécu. Il m’a fallu du temps pour me réadapter, changer et accepter qu’une partie de mon public était partie. Tu sais, quand tu apprends que ton troisième album personnel, Coupé Du Monde, ne reçoit pas un bon accueil critique et qu’en plus tu te rends compte que personne de ton quartier ne l’écoute, ça fait très mal.

À l’époque, tu avais pourtant tout pour percer. Il a même été évoqué l’idée d’un groupe avec Rohff, T’1kiet…
On avait commencé l’album, on avait même 7 ou 8 morceaux de finalisés, mais suite à plusieurs désaccords, Rohff a décidé de mettre un terme au projet. Il avait toutes les cartes en main, mais on commençait à ne plus avoir les mêmes idées. Je pense qu’il a dû peser le pour et le contre et se rendre compte que c’était peut-être ce qu’il avait de mieux à faire pour la suite qu’il voulait donner à sa carrière. De mon côté, je ne le regrette pas. Ça m’a permis de me détacher un peu de son image, de ne plus être « Kamelancien, le protégé de Rohff ».

C’est vrai que les portes se sont fermées suite à ce désaccord ?
Ouais, énormément. Tout simplement parce que la majorité des gens, journalistes et producteurs, sont des suiveurs. Ils se mettent à quatre pattes devant certains artistes et ferment la porte aux autres. J’ai toujours trouvé ça débile, mais je sais que ce n’est pas la faute de Rohff. Ce n’est pas lui qui a cherché à me mettre des barrières.

Au niveau des embrouilles, il y a aussi ce clash avec La Fouine. Avec le recul, tu te rends compte que tout ça fait un peu calculé ?
Bien sûr, mais je ne m’en rendais pas compte à l’époque. D’ailleurs, je pense que ça lui a plus profité qu’à moi. Il a été très malin, très stratégique. Le fait de me proposer un duo sur son album, et donc d’enterrer la hache de guerre, a servi son image et lui a peut-être permis de toucher un autre public. De mon côté, en revanche, mes ventes n’ont pas été boostées.

Hormis la collaboration avec Rohff, quelle autre rencontre t’as le plus marqué ?
Celle avec IAM, indéniablement. Lorsque j’ai rencontré Akhenaton et Shurik’n, je leur ai tout de suite parlé de mon idée. C’était à l’époque de Le Charme En Personne et je voulais absolument qu’ils soient présents sur un des titres. Par chance, le projet leur a plu. Ils m’ont même proposé de venir directement chez eux, à Marseille, au studio La Cosca. J’ai tellement appris à leurs côtés. Connaissant leur expérience, je pensais naïvement qu’ils prendraient mon projet à la légère, mais ça n’a pas été le cas. Ils ont pris leur temps pour réfléchir à chaque détail et ont été très pointilleux.

Depuis plus de vingt ans, il doit également y avoir des mauvaises rencontres, non ?
Bien sûr, mais je ne préfère pas balancer. Au final, les mauvaises rencontres ont peut-être contribué à forger la personne que je suis aujourd’hui.

Ta carrière est aussi marquée par quelques évènements non-musicaux. Peux-tu revenir sur les problèmes rencontrés avec la LDJ ?
Disons que j’ai fait l’erreur de participer à des manifestations pro-palestinienne il y a deux ans. Voire de publier un tweet pour soutenir la Palestine. De là, un mec, nommé Ulcan, a réussi à pirater mes comptes et a commencé à me pourrir la vie sur le net. C’est même allé plus loin puisque le gars a également appeler les flics avec mon numéro en prétextant qu’il y avait un cadavre chez moi. Bien évidemment, les flics n’avaient aucune preuve et ont fini par me relâcher. Mais c’est quand même fort d’être aussi faible, d’attiser la haine alors que ceux contre qui vous vous opposez prônent la paix.

Je crois savoir que la police a même proposé de te protéger à un moment….
Ouais, la police de Kremlin-Bicêtre, que je connais bien, a été très respectueuse. Ils m’ont proposé de venir en bas de chez moi et ils m’appelaient de temps en temps pour savoir si j’allais bien. Je pense qu’ils voulaient également se venger d’un mec qui s’était bien foutu de leur gueule.

C’est par provocation que tu apportes ton soutien à Dieudonné dans « Floyd Meathweather » ?
Bien sûr ! J’adore les spectacles de Dieudonné, ils me font beaucoup rire, même si je ne partage pas toutes ses idées. On a beau dire qu’il va trop loin, ça reste de l’humour. Et je trouvais ça marrant d’y faire référence sachant que les mecs de la LDJ risquent d’écouter mes nouveaux morceaux. Je veux les toucher là où ça les emmerde, là où ça leur fait mal. Peu importe s’il y a parfois des erreurs de jugement.

Comment ça ? Tu penses que tes textes comportent certaines erreurs ?
Bien sûr, certains morceaux sont même contradictoires. Regarde « On A Tous Connu Ça » et « S.P.A ». Dans le premier, je parle de la tristesse que l’on peut ressentir lorsqu’une femme nous abandonne. Ça touche tout le monde. Dans le second, en revanche, je m’adresse à toutes les filles faciles. Ça peut paraître étrange, mais j’essaye d’aborder des sujets sous différents angles. Certains parlent à tout le monde, d’autres peuvent davantage choquer.

Dans de très nombreux morceaux, tu défends également ton quartier. En quoi est-il si important pour toi ?
C’est comme pour un Breton, c’est une fierté et ça ne s’explique pas. Je vis toujours à 500 mètres de là où j’ai grandi, j’y ai ouvert une salle de sport avec mes frères et je ne me vois pas partir. Toute ma famille est là, mes potes également, je connais bien le maire, et je suis à la fois à cinq minutes de Paris de l’Aéroport d’Orly. C’est parfait !


Le Coeur ne ment pas est disponible depuis le 25 septembre.