C’est par le biais de la photographie que Kawtar Ouh (23 ans) s’est lancée dans une quête d’identité. Dans sa nouvelle série Heritage, Jadeed & Maghreb (héritage, modernité et Maghreb), la photographe belgo-marocaine a travaillé en collaboration avec le créateur de contenu franco-algérien-égyptien Fahd El, lui aussi en phase de questionnement identitaire. Ensemble, iels ont voulu faire revivre les habitudes de leurs parents et grands-parents pour exprimer de manière moderne l’héritage qui fait aujourd’hui partie de leur personnalité et les poussent à s’interroger.
Plutôt habituée à travailler avec la mode marocaine pour femmes, Kawtar s’est cette fois penchée sur la mode masculine et l’Algérie. « C’était intéressant de discuter de ce qui nous lie et différencie, comme des mots de vocabulaire ou des recettes de cuisine », explique Kawtar. Pour cette série, Fahd El et Kawtar ont assemblé des pièces traditionnelles et des vêtements modernes chinés dans des friperies à Paris.
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C’est suite à un voyage au Maroc durant lequel son oncle photographe lui prête un appareil que Kawtar prend goût à la photo. « Quand j’ai fait développer les photos sur un CD, j’ai ressenti une joie comme je n’en avais encore jamais ressentie », dit-elle – joie qui a poussé ses parents à lui offrir son premier appareil à l’âge de 11 ans.
À l’école, avec l’aide de sa mère, Kawtar organise des sessions photos avec ses copines et devient vite la photographe officieuse de sa classe, durant les voyages scolaires notamment. À l’époque, elle se dit qu’elle ne prendra pas de portraits, mais uniquement des photos d’architecture et de nature. « Au final, je ne m’y suis pas vraiment tenue et j’ai fait de tout », dit-elle.
Mais ses parents ne comprennent pas qu’elle veuille vivre de l’art, et la poussent à faire de « vraies » études, tout en l’encourageant à continuer de faire de la photo sur son temps libre. Elle opte alors pour l’orthopédagogie. « Mes parents n’avaient rien quand iels sont venu·es ici. Je leur devais bien ça », explique-t-elle. Pourtant elle se rend vite à l’évidence : « J’étais trop créative pour le social. » Elle abandonne donc cette voie pour se dédier à la photographie en septembre 2020 à la LUCA School of Arts, sur le campus Narafi à Bruxelles.
Étant l’une des seules personnes racisées et portant le foulard dans une école d’art composée essentiellement d’élèves et professeur·es blanc·hes, son expérience n’y est pas des plus positives. « Il y avait deux autres élèves avec le foulard, dont une amie, et les deux sont parties au bout de deux semaines parce qu’elles ne s’y sentaient pas à l’aise, comme sous pression », me confie-t-elle.
Alors que Kawtar, déjà impactée par la situation en à peine un mois, prend ses distances avec la photo, Malikka Bouaissa, curatrice de la plateforme d’art contemporain Arteshoq, la contacte pour travailler sur une expo groupée autour des questions d’identité. « C’était le bon moment, parce que j’avais tout à fait perdu la mienne », plaisante Kawtar. Fin octobre 2020, elle participe donc à cette expo intitulée Ana Nesh à la Red Fish Factory à Anvers – « ana » et « nesh » signifient « moi », respectivement en darija et en rif (dialectes marocains).
Entretemps, Kawtar s’est fait des potes à l’école et persévère pour terminer son année, mais le sentiment de devoir constamment prouver qu’elle a sa place, ajouté à des remarques déplacées sur son foulard l’ont poussée, elle aussi, à décrocher petit à petit de certains cours.
À Anvers, elle présente sa série Izouwran (« racines » en rif), dans laquelle elle explore son identité et sa relation avec sa grand-mère, décédée quand elle avait 12 ans. La série compte des autoportraits réalisés avec l’appareil Polaroid de sa grand-mère, et on y voit également ses caftans. « J’ai retrouvé une vingtaine de caftans dans une armoire de ma mère, se souvient-elle. Travailler autour de ces caftans a fait revivre mon amour pour le Maroc et plus particulièrement le Rif [région montagneuse du nord du Maroc, NDLR]. »
En retrouvant ces vêtements et bijoux, Kawtar retrace les souvenirs de sa famille aux côtés de sa mère. Et bien que ces photos respirent le Maroc, elles ont toutes été prises en Belgique.
Si elle ne l’a pas connue longtemps, et ne la voyait que rarement car elle habitait en Allemagne, Kawtar ressent un lien particulier avec sa grand-mère : « C’était une femme forte et attentionnée qui me faisait beaucoup rire. »
Durant notre discussion, elle porte l’une de ses bagues, qui apparaît d’ailleurs sur plusieurs photos. Elle se souvient également de la douceur de ses mains, et du goût sucré des figues qu’elle lui donnait. « Elle me donnait beaucoup d’attention avec de petites choses, remet-elle. Elle n’avait pas besoin de nous dire qu’elle nous aimait pour qu’on le sache. »
Ces recherches et cette série ont permis à Kawtar de reprendre confiance en elle suite à son expérience scolaire, et de reconnecter sa créativité à sa culture, un lien qu’elle avait perdu. En plus de lui avoir permis de se pencher sur qui elle est et qui sont ses ancêtres, elle explique que ces photos suscitent aussi beaucoup de réactions auprès de jeunes issu·es de l’immigration maghrébine et qui se réjouissent d’enfin pouvoir s’identifier à des images.
Izouwran compte pas mal d’auto-portraits, d’abord parce que Kawtar a développé ce projet seule, mais aussi parce qu’elle n’avait plus la confiance en elle qui lui aurait permis de s’entourer. Ceci dit, cette solitude lui a aussi permis de mieux se connaître elle-même, et d’incarner sa grand-mère sur ses photos. Elle conclut : « Sur ces photos, je suis ma grand-mère. »
Kawtar est sur Instagram.
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