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Sports

Comment le Kosovo s'est fait sa place dans le foot mondial

Indépendant depuis 2008, le Kosovo est membre de la FIFA depuis un an à peine. Un combat contre le lobby serbe notamment, mené depuis Montluçon par l'ancienne gloire du foot kosovar Fadil Vokkri.
Photo Reuters Lehtikuva Lehtikuva

« On parle de tout, mais pas de mon passé de joueur, ok ? Car ce n'est pas important. » A 56 ans, Fadil Vokrri, le sympathique président de la Fédération Kosovare de Football, n'a plus l'âge de jouer les matamores. Déjà, lors d'une rencontre à Pristina en juin 2013, l'ancien attaquant avait malicieusement éludé les questions sur son parcours forcément atypique. Car Vokrri, né à Podejuvo, une commune située en périphérie de la capitale kosovarde, est le seul joueur de son pays à avoir porté le maillot de la Yougoslavie entre 1984 et 1987. Avec un certain succès, puisqu'il compte 12 sélections pour 6 buts inscrits. Il a également évolué au FC Pristina, l'unique club kosovar ayant participé au championnat yougoslave, avant l'explosion du pays, en 1991. Et Vokrri, qui a terminé sa carrière en France – à Nîmes, Bourges puis Montluçon, où il s'est définitivement installé – a également porté le maillot du Partizan Belgrade, le grand club serbe (1986-1989), et du Fenerbahçe Istanbul (1990-1992). L'ancien attaquant, élu en février 2008 à la tête de la Fédération Kosovare de Football (FFK) est un des personnages les plus importants de la jeune république des Balkans, dont la sélection nationale dispute les qualifications pour la Coupe du Monde 2018.

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Votre vie a-t-elle changé depuis mai 2016 ?

Disons que j'ai beaucoup plus de travail. Pendant des années, mon job et celui des autres membres de la fédération consistait à faire en sorte que le Kosovo soit reconnu par l'UEFA, puis par la FIFA. On a fait beaucoup d'efforts, passé beaucoup de temps à lutter pour, et c'était parfois fatigant. On savait que cela allait arriver, mais on ne savait pas quand. C'était compliqué, surtout après l'indépendance. Pendant plusieurs années, notre sélection nationale n'a quasiment pas joué, si ce n'est contre quelques clubs entre 2008 et 2011, et contre l'Albanie en 2010. Ce n'est qu'en janvier 2014 que nous avons eu le droit d'affronter d'autres sélections grâce à une décision de la FIFA. Ces matches n'avaient pas le statut de rencontres officielles et il y avait des conditions : pas de drapeau, pas d'hymne… mais au moins, on pouvait jouer. En mars 2014, nous avons accueilli Haïti à Mitrovica (0-0). Puis il y a eu la Turquie (1-6), Oman (1-0), la Guinée Equatoriale (2-0) et l'Albanie (2-2) jusqu'à fin 2015. Et un match en Suisse contre le Sénégal (1-3). Avec, à chaque fois, beaucoup de monde dans les tribunes.

Vous étiez-vous présenté spontanément à la présidence de la fédération en 2008 ?

Non, on m'a proposé d'être candidat. Je savais qu'il y aurait du travail, car le Kosovo était un tout jeune pays. J'avais compris que ce serait long. Mais il y a quelque chose qui m'a étonné : avant l'indépendance, le Kosovo pouvait jouer des matches amicaux, contre des sélections affiliées ou non à la FIFA. Et c'est après 2008 que c'est devenu compliqué… Les premières années, la fédération avait très peu de moyens. On s'en sortait à l'aide de l'Etat. Nos locaux étaient situés dans un immeuble du centre-ville, et les bureaux n'étaient pas très grands. Ce travail pour que le Kosovo soit admis à l'UEFA puis à la FIFA a demandé de gros sacrifices. Nous avons ressenti une immense fierté en mai dernier ; dans les rues de Pristina, il y a eu des manifestations de joie. Cela faisait des années que les Kosovars attendaient ce moment. Le football est le sport le plus populaire du pays et les gens ne comprenaient pas pourquoi on empêchait la sélection et les clubs de jouer. C'était ressenti comme une injustice.

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Fadil Vokrri en discussion avec Gianni Infantino. Photo Reuters d'Henry Romero

La Serbie a toujours été le principal opposant à la reconnaissance du Kosovo par les instances internationales. Elle a d'ailleurs déposé une réclamation devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS), qui a été rejetée le 24 janvier dernier…

Les Serbes ont en effet essayé de s'opposer à notre admission à l'UEFA et à la FIFA. Aujourd'hui, c'est du passé. Le Kosovo est reconnu par une majorité de pays de l'Union Européenne et par de nombreux autres pays, il est membre d'institutions comme la Banque Mondiale ou le Fonds Monétaire international. Et une majorité de Serbes a fini par admettre notre indépendance. Je crois qu'il était temps que nos footballeurs puissent jouer normalement.

Pourtant, certaines fédérations ont voté contre votre adhésion à l'UEFA en mai dernier, lors du Congrès de Budapest. Des fédérations qui voyaient avant tout l'intérêt de leur sélection, puisque plusieurs d'entre elles sont composées en partie de joueurs d'origine kosovare…

Nous savions que ce serait le cas, mais nous étions confiants. Il y a en effet en Europe des sélections où évoluent des joueurs originaires du Kosovo (Allemagne, Albanie, Suisse, Suède, Finlande, Norvège, Belgique…). Et comme nous sommes un pays récemment affilié, ils peuvent, même s'ils ont déjà joué pour une de ces équipes, faire une demande pour porter le maillot du Kosovo. (Ujkani, Rrahmani, Aliti, Rashica, Shala, Meha, Brahimi ont joué pour l'Albanie, Nurkovic pour la Bosnie-Herzégovine, Valon Berisha pour la Norvège, Bunjaku pour la Suisse, Rexhepi pour la Finlande…) Chacun défend ses intérêts. Il y a un attrait évident pour le Kosovo pour des garçons qui y sont nés avant de partir très jeunes, ou qui sont nés à l'étranger. Plusieurs ont décidé de nous rejoindre.

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Des pays comme la Slovénie, qui a participé à deux Coupes du Monde (2002, 2010) et à l'Euro 2000 ou le Monténégro, moins peuplés que le Kosovo, obtiennent de bons résultats sur la scène internationale. Votre pays peut-il s'imaginer un destin similaire ?

C'est notre objectif. Mais laissez-nous le temps. On a déjà pas mal avancé ces dernières années. La sélection nationale est engagée dans les qualifications pour la Coupe du Monde 2018. Pour notre premier match, le Kosovo a fait match nul en Finlande (1-1) ! Ensuite, ça a été plus délicat contre la Croatie (0-6), l'Ukraine (0-3) et la Turquie (0-2). Mais nous n'avons jamais été ridicules. N'oubliez pas que nous disputons nos rencontres à domicile sur le terrain de Shkodër, en Albanie, car nos stades à Pristina et Mitrovica sont en rénovation. Et ce sera encore le cas contre l'Islande, le 24 mars. Nous voulons aussi mettre l'accent sur les jeunes. Nos Espoirs vont disputer les qualifications pour l'Euro de la catégorie. Le Kosovo est une équipe comme les autres. Les seules restrictions, c'est que nous ne pouvons pas affronter la Serbie et la Bosnie-Herzégovine, puisqu'il y a dans ce pays une République Serbe de Bosnie.

Cette double reconnaissance a-t-elle changé le train de vie du football kosovar ?

Grâce aux dotations, notre football vit mieux, en effet. La fédération a de nouveaux locaux, nous avons pu embaucher des salariés dans les secteurs sportif, administratif, etc, la plupart à plein temps. Moi, je suis président bénévole. Cette reconnaissance par l'UEFA et la FIFA signifie que nous touchons des aides, bien sûr, mais également que le niveau de vie des clubs s'est amélioré. Avant cela, quand un joueur kosovar était recruté par une formation étrangère, celle-ci n'avait pas d'indemnité de transfert. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas.

Mais les salaires des joueurs restent assez modestes…

C'est vrai. Mais ils sont versés tous les mois. Les plus élevés tournent autour de 700 € par mois. Au Kosovo, le salaire moyen est de 300-400 € par mois. On fait en sorte d'améliorer les moyens des clubs. Le gouvernement a ainsi décidé qu'il y aurait des avantages fiscaux pour les entreprises qui voudraient faire du sponsoring. Le championnat est ainsi sponsorisé par Kosovo Telecom. Les choses se mettent en place. Cela va prendre du temps. Nos clubs vont disputer la saison prochaine les coupes d'Europe. Cela aurait déjà dû être le cas en 2016-2017, mais l'UEFA avait refusé que Feronikeli et le FC Pristina les disputent pour des raisons financières et structurelles. On est juste au début de l'aventure. C'est difficile, mais passionnant…