À l'ombre de l'Amérique – voyage au bout de l'enfer carcéral
Photo de couverture : Omar Arana Romero au Stewart Detention Center. Photo d'Audra Melton

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reportage

À l'ombre de l'Amérique – voyage au bout de l'enfer carcéral

Bienvenue au centre de détention de Stewart, là où les droits des clandestins sont bafoués.

Pour vous rendre au Stewart Detention Center, en Géorgie, il vous faudra rouler pendant deux heures et demie depuis Atlanta dans la direction sud-ouest, le long des sinuosités de la Chattahoochee, une rivière qui suit le tracé de l'autoroute du coin. Située à 65 kilomètres de Lumpkin, la ville de Columbus est votre dernière chance pour trouver un hôtel, du wifi, et un réseau téléphonique fiable. Après ça, le paysage sera presque exclusivement composé de terre rouge et d'arbres. Vous saurez que vous êtes bien arrivé à Lumpkin lorsque vous vous trouverez face à des devantures fermées, une station essence blanchie par le soleil et un magasin d'armes.

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Le centre de détention se trouve à dix minutes du cœur de la ville, et est accessible via la CCA Road – une route qui porte le nom de l'entreprise qui exploite la prison privée, la Correction Corporation of America. Stewart est l'un des établissements pénitentiaires les plus reculés du pays. Ce centre est une source de revenus indispensable pour la région alentour. En 2012, il représentait près de 20 % des revenus du comté – des recettes générées par les 1 700 lits occupés par des hommes dans l'attente de savoir s'ils seront ou non expulsés du territoire américain.

Dans la majorité des cas, ils le seront.

Lumpkin, en Géorgie, où se trouve le Stewart Detention Center. Photo d'Audra Melton

Le centre de Stewart, aidé d'un tribunal attenant se concentrant exclusivement sur les questions migratoires, affiche le taux d'expulsion le plus élevé du pays – ce qui s'explique par la difficulté pour les détenus à trouver des avocats spécialisés. En effet, ces derniers ne vivent pas aux abords de Lumpkin. Peu acceptent de parcourir des dizaines de kilomètres pour rencontrer des clients qui, pour la plupart, ne peuvent pas s'offrir leurs services.

L'année dernière, moins de 2 % des détenus sont sortis victorieux de leur audience au tribunal.

En août 2015, Omar Arana Romero espérait faire partie de cette petite minorité. Assis sur un banc en bois de la salle d'audience de la juge Saundra Arrington, il jetait un coup d'œil discret aux dix hommes – tous clandestins – se trouvant à ses côtés. Arrington est l'un des quatre juges chargés d'étudier plus de 6 000 cas relatifs à l'immigration chaque année. Ce jour-là, Omar Arana Romero était inquiet. C'était la troisième fois qu'il se retrouvait assis sur ce banc depuis son arrivée au centre en juin, et il n'avait aucune idée de ce qui l'attendait. Omar ne parle pas un mot d'anglais et n'a pas d'avocat.

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Quelques instants après, un greffier lui a fait signe de s'asseoir sur la table située en face de Saundra Arrington. C'est à ce moment-là qu'on a remis à Omar des écouteurs lui permettant d'obtenir une traduction instantanée en espagnol.

La juge Arrington lui a alors demandé s'il avait été capable de trouver un avocat depuis sa dernière audition. « Non, je n'ai pas réussi », lui a-t-il répondu.

« Bien, je vous ai donné assez de temps me semble-t-il. Reprenons donc cette affaire d'expulsion. »

Omar Arana Romero au Stewart Detention Center. Photo d'Audra Melton

Mais repartons un peu en arrière – en juin 2015, précisément. Omar Arana Romero s'était présenté dans une usine située à 30 minutes de Bay City, au Texas – là où il résidait – pour commencer un contrat à durée déterminée. Le travail manuel n'était pas une nouveauté pour lui. Il avait passé les dernières années à subvenir aux besoins de ses trois enfants en alternant nombre de petits boulots – de poseur de moquette à ouvrier dans une pépinière en passant par les gisements de pétrole. Lorsque ses supérieurs lui ont demandé sa carte de Sécurité Sociale, il a présenté une fausse carte. Le problème, c'est que ses patrons ont tout découvert. Ils ont alors appelé la police, qui a elle-même contacté les services de l'immigration.

C'était la première fois qu'Omar avait des ennuis avec l'Immigration and Customs Enforcement (ICE) – le service de l'immigration et des douanes aux États-Unis – depuis son départ du Mexique en 1994. Il avait pourtant déjà été arrêté depuis sa traversée de la frontière – en 2003 et en 2004 pour conduite en état d'ivresse puis une autre fois en 2012 pour possession de cocaïne. L'ICE n'était jamais intervenu.

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Omar rejette ses fautes sur le traumatisme causé par la mort brutale de sa fille en 2004. Il était au travail lorsque son ex-femme a frappé leur petite fille de six ans – pour mauvaise conduite, a-t-elle prétendu. La jeune enfant est décédée quelques minutes plus tard d'une blessure à l'estomac. Son ex-femme a écopé d'une peine de 60 ans d'emprisonnement. Le plus jeune des enfants d'Omar a été confié aux services de protection de la jeunesse. Il est retourné vivre avec son père un mois plus tard. Depuis, Omar élève seul ses enfants.

Devant le juge Arrington, Omar a du mal à parler. Les mots ne veulent pas sortir. Il tente de convaincre la juge de lui laisser une chance, mais il a peur d'empirer son cas.

Il prend ses précautions et espère gagner sa sympathie. Il évoque ses enfants et la difficulté d'endosser le rôle de père et de mère.

Omar m'a confié que la juge lui aurait simplement dit d'emmener ses enfants au Mexique.

« Mais ils sont nés ici. Ils ont toujours vécu aux États-Unis », lui a-t-il signifié.

« Ils pourront revenir ici quand ils auront 18 ans », a-t-elle rétorqué.

Sur cette dernière affirmation, l'audience s'est terminée. Omar est retourné dans sa cellule avant d'éclater en sanglots.

Le Stewart Detention Center. Photo d'Audra Melton

Stewart fait partie des 40 établissements privés américains en charge des expulsions. Le lieu d'incarcération des clandestins est le fruit du hasard. Ceux qui sont arrêtés dans le sud-est du pays peuvent être envoyés à Stewart ou dans un centre de détention à Miami – là, leur avenir sera sans doute différent. En effet, ils auront trois fois plus de chances d'avoir accès à un avocat et dix fois plus de chances de rester aux États-Unis.

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Au contraire des affaires criminelles, où les accusés ont le droit à un avocat même s'ils n'en ont pas les moyens, les immigrés menacés d'expulsion ne disposent pas de telles garanties. Les familles les plus pauvres doivent débourser la somme de 7 000 dollars pour s'offrir les services d'un avocat. Leur seul espoir est de trouver un avocat qui accepterait de traiter leur affaire bénévolement – une tâche quasi impossible à Stewart.

Une étude conduite par l'American Immigration Council et publiée en septembre dernier a mis en avant le fait qu'entre 2007 et 2012, seuls 6 % des hommes détenus à Stewart avaient réussi à avoir recours à un avocat – ce qui correspond à moins de la moitié de la moyenne nationale.

Avoir un avocat a un énorme impact sur tous les aspects de votre dossier. L'immigration est un domaine législatif très complexe. Sans avocat, les immigrés n'ont pas accès aux informations concernant leur dossier et n'ont aucun moyen de savoir comment mettre en place une demande d'asile, par exemple. De nombreuses études montrent que les immigrés clandestins aidés par des avocats ont 14 fois plus de chances de recevoir un verdict positif et, de fait, de rester aux États-Unis.

Une porte-parole d'une agence du département de la Justice en charge des tribunaux liés à l'immigration m'a affirmé par mail que les pouvoirs publics reconnaissaient l'importance d'une représentation légale et, par conséquent, qu'ils « avaient mis en place certaines initiatives pour encourager cette représentation ». À Stewart, les détenus peuvent suivre un programme dirigé par des associations catholiques qui leur expliquent les modalités des différentes procédures et les lois complexes qui régissent les demandes d'asile en Amérique.

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On transmet également aux détenus une « liste d'avocats travaillant gracieusement » – sur les quatre avocats mentionnés, trois semblent ne plus vouloir bosser pro bono à Stewart.

Sans défense juridique, les détenus ne peuvent plus compter que sur l'aide de leur famille et de leurs amis pour trouver un moyen de rester aux États-Unis.

Un panneau précisant les coordonnées d'un avocat spécialisé dans l'immigration, à proximité du Stewart Detention Center. Photo de Kevin D. Liles

Kimberly Griffith était la seule personne en mesure d'aider Carlos Marroquin Lopez – aujourd'hui son époux – lorsqu'il était à Stewart en 2013. Carlos s'est rendu pour la première fois aux États-Unis en 1998 – laissant derrière lui les rues dangereuses du Guatemala dans l'espoir de trouver un emploi et un salaire décents. Carlos et Kimberly se sont rencontrés alors qu'ils travaillaient tous les deux dans une épicerie située en Caroline du Nord. Elle était manager de nuit. Lui nettoyait les sols. Carlos a été arrêté alors qu'il conduisait sans permis – il n'avait pas pu le passer car il n'avait pas de papiers. Il a été transféré au centre de détention de Stewart une semaine plus tard. Il n'avait pas de casier judiciaire mais avait déjà été expulsé.

Kimberly, citoyenne américaine, s'est rapidement retrouvée prise au piège d'un système dont elle ignorait tout. « Je communiquais avec d'autres gens via Facebook et je lisais des articles pour savoir ce qu'il m'était possible de faire, m'a-t-elle raconté. J'ai appelé dix avocats différents. Personne ne voulait prendre l'affaire en charge. Certains m'ont même dit que le centre de Stewart était trop loin pour eux. »

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Kimberly a rendu visite à Carlos huit fois au cours de ses trois mois de détention. Elle devait conduire pendant plus de cinq heures pour se rendre jusqu'au Stewart Detention Center, puis restait une heure avec Carlos et reprenait la route pour cinq nouvelles heures de bagnole. Parfois, elle passait la nuit dans un « hospice » à destination des membres des familles des détenus, mis en place par l'association El Refugio. En effet, il n'y a pas d'hôtel à Lumpkin.

Kimberly et Calos ont abandonné l'idée de trouver un avocat pour défendre l'affaire. Carlos a finalement été expulsé au Guatemala en juin 2013. Kimberly l'a rejoint un mois plus tard.

« Si nous avions été riches, nous aurions pu nous battre, m'a-t-elle dit. Le système n'est pas pensé pour les gens ordinaires. »

Sadam Hussein Ali au Stewart Detention Center. Photo d'Audra Melton

La situation est encore plus difficile pour ceux qui n'ont aucun soutien aux États-Unis.

Sadam Hussein Ali, 21 ans, est originaire de Somalie. Là-bas, le groupe terroriste Al-Shabaab a menacé d'enlever sa sœur pour rembourser les prétendues dettes de sa famille. Sadam a été battu par des membres de cette milice avant d'être emprisonné pendant 15 jours. Par chance, il a pu s'enfuir, rejoindre sa sœur et prendre la direction d'un camp de réfugiés au Kenya.

Par la suite, il a dû se résoudre à abandonner sa sœur – enfin en sécurité – et a pris un vol vers le Brésil. Il a voyagé pendant trois mois sur le continent sud-américain puis s'est retrouvé à la frontière américano-mexicaine. Sur place, il a demandé l'asile politique puis a été envoyé dans un centre de détention au Texas pendant dix jours et transféré à Stewart – le temps que la procédure soit réglée, lui a-t-on dit.

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Aujourd'hui, cela fait plus d'un an qu'il est enfermé au Stewart Detention Center.

Sous la présidence de Barack Obama, le nombre de demandeurs d'asile en détention a presque triplé entre 2010 et 2014. Au cours de l'année 2014, 77 % des immigrés demandeurs d'asile – parmi lesquels on dénombre beaucoup de femmes et d'enfants – ont été placés en détention dans l'attente de leur jugement, au lieu d'être libérés sur parole ou via une caution, comme à l'accoutumée. Cela correspond à plus de 44 000 personnes en détention.

À Stewart, les chances d'être libéré sur parole sont très minces. En 2015, des données analysées par le Southern Poverty Law Center ont montré qu'aucun détenu de Stewart n'avait été libéré sur parole, chiffre à comparer aux 6 % des libérations sur parole pour ces mêmes détenus à travers le pays. En ce qui concerne les libérations sous caution, elles sont deux fois moins nombreuses que dans l'ensemble des États-Unis. Dans lesdits cas, la caution dépasse bien souvent les 5 500 dollars.

Depuis son arrivée à Stewart, Sadam a contacté plus de dix avocats pour bénéficier d'une aide gratuite. Ils sont nombreux à ne pas avoir répondu à son appel. Les autres ont fermement refusé sa requête ou lui ont demandé 5 000 dollars. Il a dépensé l'intégralité de ses économies, soit 10 000 dollars, pour se rendre aux États-Unis. Lorsqu'il est arrivé à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, il ne lui restait que 460 dollars. Aujourd'hui, il travaille dans les cuisines de l'établissement pénitentiaire et gagne à peine assez d'argent pour appeler des cabinets d'avocats ainsi que sa famille.

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Un détenu également originaire de Somalie l'a aidé pour ses demandes d'asile. Celui-ci est arrivé à Stewart trois mois avant Sadam et s'exprime beaucoup mieux en anglais.

La demande de Sadam Hussein Ali a été rejetée en mars. Comme nombre de ses amis, il a décidé de ne pas contester la décision du juge. Il savait que c'était sans espoir. « Je pense que ça irait beaucoup mieux si j'avais un avocat. Je crois que je suis dans l'endroit le plus intraitable des États-Unis. »

Désormais, il attend d'être expulsé vers la Somalie.

« Si je meurs là-bas, tant pis », m'a-t-il dit laconiquement.

Un panneau publicitaire vantant les mérites d'avocats spécialisés dans l'immigration, installé à l'entrée du Stewart Detention Center. Photo de Kevin D. Liles

À l'extérieur du 4-Way BBQ, l'un des deux restaurants de Lumpkin, un panneau publicitaire donnait le numéro d'avocats spécialisés dans les cas liés à l'immigration clandestine. Ce panneau a été retiré en novembre dernier, car plus personne ne répondait. À côté de l'entrée du centre, un autre panneau – toujours sur place, celui-là – promeut un avocat maîtrisant l'espagnol. Le numéro de téléphone indiqué est aujourd'hui résilié. Un autre panneau, situé tout près, est à moitié enseveli sous l'herbe. Il indique le numéro d'Elaine Morley, avocate à Houston. Lorsqu'on lui demande si elle s'occupe toujours d'affaires à Stewart, elle soupire.

« Cet endroit est absolument horrible », me dit-elle avant de se lancer dans une litanie de lamentations : l'éloignement, le manque d'hôtels, le taux élevé de refus, la difficulté pour entrer en contact avec les clients. Ses congénères avocats disent la même chose. C'est pourquoi elle a arrêté de s'occuper des clandestins de ce centre après une affaire seulement. « Je ne retournerai jamais là-bas », déclare-t-elle avant de raccrocher.

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Leigh Ann Webster est une avocate spécialisée, basée à Atlanta. Elle a déjà travaillé sur deux cas à Stewart et a juré ne plus jamais remettre les pieds au centre. « En tant qu'avocate à mon compte, je ne peux pas assumer financièrement toutes les charges », me dit-elle.

Elizabeth Matherne, une avocate également basée à Atlanta, a représenté des détenus de Stewart pendant cinq ans avant de décider de ne plus accepter de nouveaux clients. Elle a pourtant essayé de recruter de nouveaux avocats pour mener ces affaires. « On doit s'absenter pendant une journée et on n'est même pas joignable », précise-t-elle. Elle devait souvent se lever à quatre heures du matin pour se présenter à l'audience de huit heures. L'établissement lui-même date d'une autre époque. « Il n'y a pas Internet, pas de fax, rien. Vous devez tout vérifier la vieille pour être sûre de ne rien oublier. »

De nombreux avocats se sont plaints des règles imposées par la CCA, rebaptisée CoreCivic il y a peu. Les établissements dirigés par des entreprises privées telles que CoreCivic sont beaucoup moins surveillés que les prisons publiques. À l'inverse des autres centres de détention, les avocats ne peuvent pas organiser d'entretien téléphonique avec leurs clients. La seule solution pour les détenus est d'économiser assez d'argent pour s'acheter une carte téléphonique. L'établissement était censé installer un système de visioconférence en 2014 – selon les termes du contrat qui le lie aux pouvoirs publics – mais celui-ci a seulement été implanté en août dernier.

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Lorsqu'ils se rendent au centre pour rencontrer leurs clients en personne, les avocats peuvent parfois attendre des heures – certains se voient refuser l'entrée, sans explication. Ceux qui retrouvent leurs clients peuvent uniquement communiquer par téléphone. L'hiver dernier, ces téléphones étaient en panne. Les avocats n'avaient pas d'autre choix que de crier à travers une vitre en plexiglas pour s'adresser à leurs clients.

En réponse à une lettre écrite par une avocate qui se plaignait des conditions d'accès au centre de Stewart, l'ICE a affirmé que sa demande « avait été prise en compte ». De son côté, CoreCivic n'a pas daigné répondre à cette lettre. Dans un mail, le porte-parole Jonathan Burns affirme que « les avocats peuvent rendre visite aux détenus à n'importe quel moment durant les heures de visite, sans rendez-vous, en présentant leur carte d'identité ». Il a par ailleurs tenu à contredire les propos de nombreux avocats en déclarant que les téléphones avaient toujours été en état de marche.

Un panneau routier précisant la localisation du Stewart Detention Center. Photo de Kevin D. Liles

En août dernier, le département de la Sécurité intérieure a affirmé vouloir « réexaminer » sa position au sujet des contrats signés avec les centres de détention privés. Néanmoins, le mois dernier, le même département a déclaré qu'il ne comptait pas mettre un terme à ces contrats – pour des « raisons fiscales » et au vu de « l'augmentation du nombre de détenus », selon ses propres termes. En réalité, l'ICE compte augmenter le nombre de centres pénitentiaires privés sous la présidence de Donald Trump.

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Certains juges affirment que l'isolement géographique du centre porte préjudice à leur travail. Un groupe d'anciens juges de l'immigration a adressé un courrier au secrétaire à la Sécurité intérieure Jeh Johnson pour lui demander de remettre en cause le recours systématique à la détention lors du traitement des clandestins. Jeh Johnson n'a jamais répondu.

« Comment voulez-vous faire du bon travail lorsque les détenus ne sont même pas représentés par un avocat ? », demande de manière rhétorique Paul Wickham Schmidt, ancien juge de l'immigration. Selon lui, l'implantation de ces centres dans des zones rurales « semble avoir été plus ou moins imaginée pour décourager les immigrés et les forcer à se résigner quant à leur présence aux États-Unis ».

Des avocats ont d'ailleurs déposé une plainte cet été auprès de l'Executive Office for Immigration Review en avançant que les juges de Stewart ne respectaient pas les procédures officielles vis-à-vis des détenus. Ces derniers ont affirmé qu'on les avait incités à ne pas faire appel et qu'on les avait empêchés d'en savoir plus sur les procédures d'asile.

Cette plainte est toujours en cours d'étude.

L'entrée du centre. Photo de Kevin D. Liles

Omar est enfermé à Stewart depuis presque un an.

Les agents du ICE l'ont d'abord envoyé à Port Isabel, au Texas, à moins de cinq heures de route de son domicile. Sa petite amie depuis sept ans, Cilvia Reyes, s'est immédiatement mise au travail pour lui trouver un avocat – ce qu'elle a fait, contre quelques milliers de dollars.

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Son avocat pouvait facilement rencontrer Omar et ainsi travailler avec lui sur sa demande de visa – qui consistait en grande partie à réunir des lettres de recommandation provenant de ses amis et de sa famille, ainsi que quelques documents juridiques. Malheureusement, tous leurs efforts ont été réduits à néant lorsqu'une semaine après son arrivée à Port Isabel, on lui a demandé de faire ses bagages. Omar a alors été transféré à plus de 1 600 kilomètres de là.

L'ancien avocat d'Omar ne peut plus le représenter à Stewart. Le centre est trop éloigné. Cilvia Reyes a alors tenté de trouver un autre avocat dans les environs. Son seul espoir résidait à plus de 240 kilomètres, dans la ville d'Atlanta. Malheureusement, la réponse a été négative.

L'expulsion d'Omar, qui compte un casier judiciaire, sera jugée en priorité. On l'autorisera peut-être à rester aux États-Unis en vertu d'un visa U – pensé pour les victimes de crimes et de traumatismes.

Omar a espéré pendant un temps être libéré tout au long de sa demande de visa pour pouvoir s'occuper de ses enfants, aujourd'hui âgés de 17, 16 et 14 ans. Néanmoins, sa condamnation pour possession de cocaïne l'empêche de prétendre à une libération sur caution.

Tandis qu'Omar est enfermé, ses enfants errent de maison en maison – chez leur tante ou chez des amis.

« Depuis mon arrestation, je n'arrive plus à dormir », a-t-il écrit dans une lettre figurant dans son dossier de demande de visa. « Tout ça parce qu'ils m'ont séparé de mes enfants. »

« Vous devez comprendre que je ne peux pas tout faire toute seule », écrivait Jennifer, son aînée, dans une lettre. « Je n'ai plus que mon père aujourd'hui. »

Omar n'a pas vu ses enfants depuis plus d'un an. « Je prie tous les jours pour que l'on m'envoie dans un centre situé à proximité de mes enfants », a-t-il écrit en juin dernier. « Je suis tellement triste. »

Le porte-parole de ICE, Bryan Cox, a affirmé ne pas pouvoir commenter le cas d'Omar. À l'entendre, « le système de détention de l'ICE vise à faciliter les visites des avocats et des proches. L'ICE place les détenus en fonction des lits disponibles. »

Pendant ce temps, Omar tente de déchiffrer les bouquins de droit stockés dans la bibliothèque de son centre de détention, même s'ils sont majoritairement en anglais.

La dernière audition d'Omar remonte au 15 novembre dernier. Elle n'a duré que quelques minutes. Alors qu'il ne savait toujours pas si sa demande de visa avait été acceptée, la juge lui a signifié qu'il allait être expulsé. Un ami du centre de détention lui a alors donné le numéro d'un avocat à Atlanta – qui exige la somme de 150 dollars pour une première rencontre. Cilvia Reyes essaie d'économiser de l'argent. Elle s'est résignée à vendre sa voiture.

« Je veux sortir d'ici », m'a rappelé Omar lors d'un coup de téléphone. « Je suis inquiet pour mes enfants. Ils m'attendent. »

Christie Thompson est sur Twitter.