Jaune, rouge, vert, les couleurs du Kurdistan ont envahi le stade Franso Hariri à Erbil, capitale de la région autonome du nord de l’Irak. À 15 heures ce samedi, les tribunes sont pleines. Les partisans de Massoud Barzani, le président du gouvernement régional du Kurdistan (KRG), grimpent par-dessus les barrières pour envahir le terrain. « Piji Serok [Vive le président] », acclame la foule en délire, deux jours avant le référendum pour l’indépendance du Kurdistan, initié le 7 juin dernier et qui se tient ce lundi.
« Trop de familles kurdes ont souffert, nous irons jusqu’au bout », lance Barzani à ceux qui doutaient encore de la tenue de ce référendum. Lors de son discours, celui qui est aussi le chef du Parti Démocratique Kurde (PDK) rappelle le rôle des peshmergas (les forces armées kurdes d’Irak) dans la guerre contre l’organisation État islamique, et évoque également le massacre orchestré par Saddam Hussein en 1988 à Halabja, qui a conduit à la mort de 5 000 Kurdes dans des attaques chimiques au gaz. « Nous ne voulons plus être à la botte de Bagdad », résume Barzani.
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Mais ce rêve d’indépendance met à cran le gouvernement irakien, qui juge l’initiative de Barzani contraire à la Constitution. Les États-Unis ont appelé de leurs côtés à l’annulation de ce vote « provocateur » et « déstabilisant » pour Bagdad, alors que des régions irakiennes – comme Sinjar et Kirkouk – sont toujours divisées entre le pouvoir central et la région autonome. La Turquie et l’Iran ne voulaient pas non plus de ce vote susceptible d’encourager les velléités séparatistes des minorités kurdes installées dans leurs pays. Au point que la Turquie a déployé des troupes le long de sa frontière avec le Kurdistan.
« Si nous devons attendre que d’autres pays nous offrent l’indépendance comme un cadeau de Noël, nous ne l’obtiendrons jamais », a fustigé ce dimanche, Barzani lors d’une conférence de presse tenue au palais présidentiel.
Malgré les risques d’un isolement soudain, les partisans du référendum paradent depuis des semaines. Des affiches appelant à voter « Oui » sont placardées dans tout Erbil et à tous les check points. Les rassemblements se suivent et se ressemblent, dans les parcs et les stades. Une démonstration de force aussi convaincante pour les partisans, qu’irritante pour ses opposants. En effet, si l’indépendance séduit la quasi-totalité du peuple kurde, tous ne sont pas favorables à ce référendum. Le parti Gorran, la deuxième formation politique de la région, s’y oppose ouvertement et invite à voter non.
« Je soutiens l’indépendance mais je crois que le Kurdistan n’est pas prêt. Pour cela il faudrait que nous ayons un gouvernement uni et une armée réunifiée du nord au sud », déclare Rabun Maroof, porte-parole de la campagne du « Non » au référendum et membre du parlement au sein de Gorran.
Une région divisée
La région est découpée en trois principaux gouvernorats. Si le PDK de Barzani a la main sur Erbil et Dohuk au nord, l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) contrôle la province de Souleymanieh au sud. Les relations ont toujours été tendues entre le PDK et l’UPK. Vingt ans plus tôt, entre 1994 et 1997, une guerre civile avait éclaté entre les deux partis.
Bien que l’UPK administre toujours le sud-est du Kurdistan, seul le PDK domine réellement cette région. Un pouvoir jugé totalitaire et non démocratique pour une partie des Kurdes. Quand on évoque la popularité de Massoud Barzani lors de ses meetings et de la campagne pour le référendum, Kamal Chomani, journaliste kurde, ne mâche pas ses mots : « Il est populaire dans son parti. Mais on ne doit pas oublier comment il est devenu si puissant. Il contrôle les médias, le monde des affaires, les forces de sécurité. C’est un régime totalitaire. Ils contrôlent même les mosquées et les universités. ». On parle du « clan Barzani ». Un des fils du président, Masrour Barzani est aux commandes des services de sécurité. De plus, Son neveu, Netchirvan a été nommé Premier ministre une première fois de 2006 à 2009 et l’est à nouveau depuis 2012.
Alors que tous les regards sont fixés sur ce combat pour l’indépendance, le Kurdistan traverse une crise économique sans précédent. « Le gouvernement autonome fait face à une baisse des revenus qui se traduit par un report des investissements, un retard dans les paiements, notamment les salaires des fonctionnaires, le recours à l’emprunt domestique auprès de compagnies privées et étrangères, des banques ainsi que de l’emprunt extérieur, » souligne un récent rapport de la Banque mondiale. Après la chute du cours du baril de pétrole en 2014, causé par la guerre en Syrie et en Irak, le Kurdistan est entré en pleine récession économique.
Une situation qui résulte de la combinaison de trois évènements selon Dimitri Deschamps, chercheur à l’Institut du Proche Orient à Erbil : « Le Gouvernement central irakien réduit drastiquement le transfert de son budget au Gouvernement régional kurde. Le prix du baril de brut plonge de 50% la même année et la prise de Mossoul par l’EI. En plus d’effrayer les investisseurs étrangers, cela engendre de nombreux frais pour les autorités kurdes. »
Aujourd’hui environ 12% de la population vivrait en dessous du seuil de pauvreté, et 20% seraient sans emploi selon le Kurdish Policy Fondation. Une crise à laquelle n’auraient pas su répondre les partis selon le journaliste Kamal Chomani. « Je vis dans un village de 40 000 habitants. Le gouvernement n’a pas créé un seul emploi depuis 2013. »
La Turquie, l’Iran, l’Irak – tous exhortaient Barzani d’annuler le référendum. Le conseil de sécurité nationale turque a même laissé entendre qu’il pouvait aller jusqu’au blocus terrestre et aérien, ce qui pourrait être rapidement problématique sachant que le Kurdistan produit en moyenne 600 000 barils par jour, dont 550 000 sont exportés via un oléoduc qui traverse le sud-est de la Turquie.
Des menaces qui visiblement ne sont pas prises au sérieux par le président. Massoud Barzani a déclaré ce vendredi que les Kurdes étaient prêts à payer n’importe quel prix pour leur liberté. Dans 24 heures, on connaîtra le résultat du scrutin, dont l’issue laisse peu de place au doute tant la majorité des Kurdes semble souhaiter cette indépendance.
Toutes les photos sont de l’auteur.
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