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À la rencontre des femmes qui jouent aux jeux de rôle

Superpouvoirs, combats sans merci et fausses épées – dans la forêt avec ces filles parmi les nerds.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Photos publiées avec l'aimable autorisation de Charlotte Moss
Photos publiées avec l'aimable autorisation de Charlotte Moss

J'ai découvert les jeux de rôle grandeur nature (ou GN) à la fac. Les rares fois où je me levais avant 8 heures, il m'arrivait de croiser des mecs en robes médiévales qui attendaient un taxi pour « aller à la campagne ». Je ne savais pas vraiment ce qu'ils faisaient. Jusqu'à ce qu'une amie m'avoue participer à ce genre de jeu de temps en temps. Elle a passé la nuit à m'expliquer, timidement, en quoi cela consistait précisément.

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Ces jeux de rôle sont devenus très populaires au cours des années 2000. Des événements sont organisés régulièrement dans la totalité du monde occidental, allant des combats à la Mad Max aux batailles médiévales d'inspiration arthuriennes. Le GN est devenu l'un des passe-temps les plus populaires au Royaume-Uni. Un passe-temps que l'on associe – souvent à tort – à des nerds asociaux qui courent partout avec une cape mal faite sur le dos, mais qui s'impose progressivement comme un nouveau terrain d'égalité des sexes.

« J'ai vu des guerrières, dans des armures étincelantes, mener des attaques sur des ennemis. J'ai vu une femme anéantir une armée de bâtards avec une dague. J'ai vu des femmes tuer des dieux, abattre des héros, détruire le monde, sauver le monde », déclare Katie Logan, créatrice de la communauté en ligne Ladies Who LARP. Le GN est en effet bien plus varié que ce que l'on pense. Les créateurs imaginent des mondes – des « systèmes » – qui peuvent réunir quelques modestes participants comme plusieurs milliers, et de même, qui peuvent être minutieusement organisés comme faits complètement à l'arrache.

De même, certains dépendent d'un arbitre ou d'un maître du jeu qui va guider les joueurs à travers l'intrigue, tandis que d'autres sont plus portés sur le combat et l'agressivité pures. Dans tous les cas, cela donne cette image d'Épinal du GN, à savoir une guerre grandeur nature avec armes factices et règles strictes sur le nombre de « coups » qu'un joueur peut encaisser avant d'être définitivement battu. Aussi, certains combats sont « magiques » ; au cours de ces derniers, sorts et incantations remplacent les traditionnelles armes.

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Grâce à la structure méritocratique du GN, les hommes comme les femmes peuvent atteindre le sommet. Cela n'a rien à voir avec le sexe, mais avec le talent, l'expérience, le savoir et les capacités. Les joueurs peuvent choisir leur personnage et accumuler des compétences. Ils peuvent décider de jouer un figurant (petits rôles, étrangers, ou parfois, cadavres) comme de s'engager à fond dans un rôle de premier plan.

« J'ai vu des femmes qui jouaient des soldats, des chefs, des magiciennes, des prêtresses, des assassins, des méchants, des monstres – des personnages riches et complexes que l'on ne retrouve nulle part ailleurs », déclare Logan. « Les rôles féminins sont nombreux et variés, bien plus que dans les films ou les séries télé. »

Natalie, 27 ans, vit à Londres et travaille dans la finance. Elle est devenue la meilleure guerrière de son groupe de GN après que le personnage qu'elle a joué pendant des années – un chevalier – ait remporté un combat. « Je suis la championne. On me dit souvent que je suis la meilleure combattante du groupe, du coup je me retrouve toujours en ligne de front. Depuis que j'ai cette position, on m'écoute beaucoup plus. »

Selon elle, la répartition des sexes pendant les combats est de 70 % d'hommes pour 30 % de femmes. Elle ajoute que le GN a beaucoup évolué depuis ses débuts. « Il y a eu de gros changements. On retrouve de plus en plus d'égalité. Lorsque j'ai commencé il y a six ans, il y avait très peu de femmes. »

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« Les différences sont plutôt dans les préférences de chacun », déclare Samantha, 25 ans, originaire de Dunham. Depuis récemment, Samantha participe à des GN et a commencé à un niveau « d'équipe » – c'est-à-dire : figurante. Elle décrit l'expérience du GN comme une sorte de théâtre immersif ponctué d'impro et de beaucoup de faux cadavres. « C'est grisant de pouvoir faire peur aux autres », ajoute-t-elle. « En particulier aux mecs. Une fois, j'ai joué un cadavre qui a ressuscité. L'un des types a été à deux doigts de s'enfuir. »

Hannah, 27 ans, est architecte. Elle habite Londres et préfère, dit-elle, « combattre de loin » plutôt que d'attaquer ses opposants de face à coups d'arme factice. Dans le jeu, elle joue un tireur, l'un de ces personnages qui encercle le champ de bataille et en profite pour descendre quelques opposants de loin.

« Quand vous vous battez, vous y allez. Vous ne pensez pas au sexe, ou à qui-fait-quoi – vous êtes concentrés, dans le jeu », déclare-t-elle. « Techniquement, il n'y a aucune limite à ce que vous pouvez faire dans le jeu, parce que vous récoltez des compétences au fur et à mesure et que vous continuez d'évoluer. »

Il y a cependant de rares moments au cours desquels ce bon vieux sexisme refait surface ; néanmoins, il s'agit de cas isolés, et les organisateurs et les joueurs ne perdent jamais de temps pour y remédier. « J'ai vu des types – des nouveaux, souvent – combattre mes adversaires au lieu des leurs, parce qu'ils ne réalisaient pas que je pouvais tout à fait m'en sortir seule », plaisante Natalie. « Près de 30 % des positions sont occupées par des femmes, mais, vous savez, la plupart des hommes sont toujours là pour couvrir vos arrières si quelque chose arrive. »

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« Le préjugé selon lequel "les femmes ne savent pas se battre" est bien connu », déclare Katie. « Mais il y a des cas de sexisme plus graves, comme ceux auxquels les femmes font face au quotidien, dans la vraie vie – par exemple, quand au travail elles présentent des idées qui sont rejetées puis acceptées deux minutes après lorsqu'elles sont présentées par un homme… Il faut encore travailler là-dessus, mais ça s'améliore au niveau du GN – même si ça ne va pas assez vite à mon goût. »

Elle se souvient d'une jeune femme qui une fois, a dû quitter le jeu à cause de commentaires sexistes émis par des combattants mâles. Elle jouait une duelliste et en avait marre des mecs qui la croyaient incapables de se battre. Certains refusaient simplement de l'affronter en duel. D'autres encore l'accusaient de tricherie lorsqu'elle gagnait.

Les organisateurs du jeu en profitent parfois pour contester les stéréotypes à travers leurs diverses intrigues et leurs scénarios. « Récemment, lors d'une session, un groupe s'est retrouvé sans son dirigeant », se souvient Natalie. « Les organisateurs avaient trouvé quelqu'un pour le remplacer : une femme, extrêmement douée. Elle est entrée, et l'un des types du groupe a commencé à la draguer, jusqu'à ce qu'elle lui révèle son identité. Il s'attendait à voir un homme. Il venait de manquer de respect à son dirigeant sans même le savoir. »

Tous ceux que j'ai interrogés ont insisté sur le fait que la communauté était très ouverte. Si un homme souhaite par exemple se déguiser en femme, pas de problème. Si une femme veut jouer un rôle masculin, pas de problème non plus. « Certaines personnes sont transgenres, ou fluides ; d'autres veulent simplement se glisser dans des rôles traditionnellement masculins ou féminins » ajoute Katie. « Le GN est l'une des meilleures communautés pour ce qui est de permettre aux gens de se glisser dans un rôle appartenant traditionnellement au sexe opposé. »

Certains thèmes du jeu sont toujours susceptibles de mettre les débutants mal à l'aise. On peut tomber sur des actes de torture, de viol et pas mal d'autres trucs tout aussi gratinés. Tous ces sujets continuent d'être intensément débattus sur les forums. De vrais efforts sont réalisés pour s'assurer que tout le monde se sente à son aise, dans les limites de la narration. C'est pourquoi les scénaristes demandent souvent aux joueurs de « préciser leurs limites » avant de commencer le jeu pour de bon.

Le GN est un hobby libérateur, ouvert, quoique régulièrement tourné en ridicule. Lorsque ma coloc m'a par exemple avoué qu'il lui arrivait de courir dans les bois avec une épée à la main, je me souviens très précisément avoir ri. Ce que je regrette un peu à présent. Car de fait, elle s'amuse mille fois plus que moi pendant que je passe mes dimanches au lit à regarder d'énièmes rediffusions de Beverly Hills.