Plus de 35 000 étudiants étaient en grève cette semaine. Ils demandent la rémunération de tous les stages, ainsi que le statut de travailleur, pour s’assurer d’être protégés par la Loi sur les normes du travail. En plus de l’absence de rémunération, les étudiants stagiaires dénoncent un problème plus large : les stages non rémunérés sont en majorité ceux qui se déroulent dans les milieux traditionnellement féminins.
Une étude de l’Université de Victoria datant de 2014 montrait qu’en Ontario, 73 % des postes de stagiaires payés sous le salaire minimum ou non rémunérés étaient occupés par des femmes. Une proportion qui montait à 77 % pour les stages non rémunérés aux États-Unis.
Videos by VICE
On en parle avec un groupe d’une dizaine de stagiaires et étudiants en grève, lors de leur visite dans deux écoles de Montréal, où travaillent des stagiaires qui étudient en enseignement. Des centaines d’étudiants en grève ont mené cette action, consistant à « visiter des milieux de stages, toute la semaine pour aller informer le personnel qui embauche des stagiaires et expliquer les raisons de leur grève.
Ils installent une banderole devant l’école Le Plateau, où ils font leur première visite de la journée. Au bureau d’accueil, la secrétaire les accueille avec une moue ennuyée. « On nous en a déjà parlé, hein. On nous en a déjà beaucoup parlé », répète-t-elle en les accompagnant vers la salle des professeurs.
« C’est aussi une grève des femmes », explique Céline, étudiante en psychologie à un élève qui prend sa pause, « parce que, si on regarde : enseignement, soins infirmiers, arts et culture, travail social… les stages en milieux traditionnellement féminins sont rarement rémunérés. Enfin “rarement”… “jamais”, plutôt! Alors que tout ce qui est génie, science, médecine : tous ces stages sont rémunérés… tous des milieux traditionnellement et majoritairement masculins. »
Les étudiantes expliquent aux professeurs pourquoi les stagiaires sont en grèves. Si certains profs les écoutent en souriant, d’autres sont moins réceptifs : « Ben, moi, j’ai pas été payée pendant mon stage, et je suis pas morte de ça », leur lance une enseignante.
« Mais la réalité n’est pas la même qu’il y a vingt ans! » réplique Léo, étudiant en enseignement secondaire à l’UQAM.
Si la question de la rémunération fait débat, les étudiants sont écoutés avec attention lorsqu’ils expliquent pourquoi la grève des stages est une grève des femmes.
Les étudiantes dénoncent une forme de culpabilisation lors de leurs stages, liée aussi à la féminité. Diane, qui étudie en enseignement du français langue seconde raconte : « Dès que j’ai débuté le programme de stage, on m’a dit que j’allais devoir beaucoup travailler, mais que c’est pas grave, parce que je suis là aussi parce que j’aime les enfants, et parce que c’est ma vocation. C’est censé être de l’enrichissement personnel, on doit materner. »
À ses côtés, Julia secoue la tête : « Parce qu’on s’occupe d’enfants, on n’aurait pas besoin de salaire! » dit l’étudiante en sciences de l’éducation. « C’est vraiment incroyable, parce que, moi, l’amour des enfants, ça ne paie pas mon loyer. »
« On part dans le milieu du travail, avec notre premier stage en étant moins considérées que les hommes, ajoute Sara, stagiaire en enseignement du français. « Ensuite, on arrive dans des milieux où on sera aussi moins payées toute notre vie que les hommes. »
Les professeurs écoutent avec attention, ils n’ont pas le temps d’échanger, car ils doivent repartir vers leurs classes, mais la plupart remercient chaleureusement les étudiantes pour leur intervention avant de quitter la salle.
« C’est très important de montrer que c’est aussi une grève de femmes, ajoute Sara, une fois sortie dans la rue. Beaucoup de gens ne font pas le lien, ou ils comprennent pas, ils pensent qu’on est des justice warriors, mais, dès qu’on prend le temps d’expliquer, ils réalisent tous que “aaaah oui, c’est vrai, c’est encore les femmes qui paient”. »
Pour plus d’articles comme celui-ci, inscrivez-vous à notre infolettre.
Les stagiaires et étudiants poursuivront la grève et les tournées des milieux de stage ce vendredi 22 mars.
Marie Boule est sur Twitter.