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Algérie

Qui était le général « Toufik », l’emblématique chef du renseignement algérien ?

Le président algérien a mis fin ce dimanche aux fonctions du chef du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), l’un des personnages les plus puissants du pays.
Alger, vue du balcon de St Raphaël. Image via Wikimedia Commons / Mohamed Amine BOUKHOULDA

Le président algérien Abdelaziz Bouteflika a mis fin aux fonctions de l'emblématique chef des renseignements algériens, le général Mohamed Mediene, dit « Toufik », qui était en place depuis 25 ans. Le départ du général Toufik, officialisé dans un communiqué ce dimanche, marque un tournant dans la campagne d'affaiblissement de ce service des renseignements, autrefois très puissant, menée par le président.

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« Le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) a passé son heure de gloire, » nous explique ce lundi Luis Martinez, directeur de recherche au Centre de recherches internationales (CERI), spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient, auteur de La guerre civile en Algérie (Karthala, 1998). « La présidence a progressivement retiré ses pouvoirs au DRS, pour les transférer à l'armée. On assiste en Algérie à un rééquilibrage en faveur de l'armée. »

Toufik dirigeait le DRS depuis novembre 1990, soit peu de temps avant le début d'une décennie de guerre civile, qui a opposé le gouvernement de ce pays du nord de l'Afrique à des groupes islamistes armés. À 76 ans, il était le dernier des « janviéristes » encore en place — ces généraux qui décidèrent, en janvier 1992, d'interrompre les premières élections pluralistes du pays, alors que les islamistes du Front islamique du salut (FIS) avaient obtenu une très large majorité au premier tour. Cette décision a été suivie par une décennie de violence, qui a fait plus de 200 000 morts dans les années 1990.

Originaire de la Petite Kabylie, le général, qui a combattu durant la guerre d'indépendance de cette ancienne colonie française (1954-1962), a suivi dans sa jeunesse une formation auprès du KGB — le service de renseignement de l'URSS. Lui qui était parfois surnommé « le Dieu de l'Algérie », et dont on n'a découvert le visage que ce dimanche dans une vidéo diffusée par la chaîne de télévision privée algérienne Echourrouk News, incarnait à lui tout seul l'imposant pouvoir du service de renseignement dans le pays.

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« Il cultivait le mystère, » raconte Luis Martinez. « Le DRS jouait des rumeurs qui laissaient entendre que ses hommes étaient partout, même s'il n'avait pas forcément les ressources nécessaires pour agir. Et le mystère autour du général Toufik participait de cette toute-puissance. »

Des images du général — TSA Algérie (@TSAlgerie)13 Septembre 2015

Le général Toufik a été remplacé par Athmane Tartag, dit Bachir, qui avait été son numéro 2 pendant longtemps au sein du DSR, ce qui a fait dire à certains médias algériens qu'il ne s'agit pas d'un limogeage orchestré par le président, mais d'une sortie bien organisée. Pour le chercheur Luis Martinez, « il faut faire attention à la vision caricaturale de l'Algérie, qui met en scène une vision très clanique et passionnelle du pouvoir. » S'il s'agit bien d'une éviction, « On assiste pour le moment à un débouché pacifique, dans lequel les protagonistes ont utilisé toutes les ressources possibles à leur disposition. Pour Toufik, être remplacé par son numéro deux n'a ainsi rien d'infamant, » poursuit Martinez.

« On est dans un geste symbolique, » résume-t-il. « Pour Bouteflika et ses proches, l'idée est de laisser quelque chose de positif du point de vue politique, alors que la situation économique du pays, avec un prix du pétrole qui s'est effondré, est catastrophique. » Le président, qui semble très affaibli sur le plan physique, est notamment soutenu dans cette tâche par le chef d'État-Major de l'armée, le général Ahmed Gaïd Salah.

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En février 2014, le général Toufik avait été la cible d'attaques venues de l'appareil du régime. Amar Saâdani, le secrétaire général du FLN (Front de libération nationale, le parti au pouvoir) et proche du président Bouteflika, avait ouvertement critiqué le général Toufik dans une interview au journal en ligne Tout sur l'Algérie, déclarant qu'il « aurait dû démissionner » après l'échec du DSR dans « certaines affaires importantes », notamment celle concernant l'assassinat des moines de Tibhirine. Les têtes de sept moines français avaient été retrouvées sur une route le 30 mai 1996. Le rôle exact des services algériens a souvent été questionné au cours de l'enquête menée des deux côtés de la Méditerranée.

À lire : La version officielle de l'assassinat des moines de Tibhirine remise en doute par une nouvelle enquête

« Lors de la campagne présidentielle de 2014, le DRS n'a pas soutenu de façon très active la campagne pour un quatrième mandat de Bouteflika, » rappelle le chercheur Luis Martinez. « Pour la première fois, on a assisté à une rupture sur le plan de la communication entre les deux parties, via des proches du président ou des anciens généraux à la retraite. »

L'éviction du général Toufik vient conclure une cascade de changements au sein du DSR, qui courent depuis deux ans. Fin 2013 - début 2014, le général Hassan — de son vrai nom Abdelkader Aït-Ouarab — ancien chef de l'antiterrorisme au sein du DSR, et proche du général Toufik, était écarté, en même temps que plusieurs autres responsables des services de renseignement. Fin juillet 2015, trois responsables de l'appareil sécuritaire du pays ont été limogés : les patrons de la sécurité intérieure, du contre-espionnage et de la garde républicaine.

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« En deux années, la présidence de la République a donc réussi l'incroyable prouesse de changer complètement la configuration du DRS », écrivait déjà le quotidien El Watan la semaine dernière, avant même le limogeage du général Toufik.

Pour le chercheur Luis Martinez, le DRS n'est aujourd'hui tout simplement plus adapté aux enjeux sécuritaires qui se posent aujourd'hui à l'Algérie, dans un contexte régional marqué notamment par l'instabilité au sud, dans la région du Sahel, traversé par des groupes armés islamistes ou autonomistes. « Les services de sécurité sont toujours plus à l'aise dans les situations de chaos. Le rôle du DRS était fondamental dans les années 1990 pour défendre le régime. Mais aujourd'hui, l'Algérie se sent déstabilisée à ses frontières, et l'acteur le plus à même de la défendre, c'est l'armée, » estime Martinez.

À lire : L'armée algérienne élimine 22 terroristes à une centaine de kilomètres d'Alger

Suivez Lucie Aubourg sur Twitter @LucieAbrg

Alger, vue du balcon de St Raphaël. Image via Wikimedia Commons / Mohamed Amine BOUKHOULDA