Société

Une nuit avec le collectif Laisse Les Filles Tranquilles

laisse les filles tranquilles

Parce qu’on est toutes cette fille. Cette fille à qui on dit « tu pourrais au moins répondre pétasse ». Cette fille qui fixe le trottoir parce qu’elle ne veut pas croiser les regards salaces qui se baladent sur son corps, des regards à qui elle n’a pas donné la permission de s’attarder aussi longtemps et qui la déshabillent. Cette fille qui, quand elle choisit de mettre jupe, sait qu’elle s’apprête à une journée de combats. Cette fille qui, en s’asseyant dans le dernier métro, est soulagée d’y trouver un regard féminin, allié. Cette fille qui met sa musique plus fort pour ne pas entendre les compliments fleuris quand elle passe, pour légitimer son absence de réponse, repousser les tentatives d’approche. Cette fille qu’on a traité de pute parce qu’elle ne voulait pas coucher. Ou parce qu’elle couchait trop. Cette fille qui a trop lu « une femme qui dit non est une femme qui pense oui ». Cette fille qui se fait mettre des mains aux fesses et qui « devrait se détendre ». Cette fille qui, en l’espace de deux minutes, se fait appeler ma chérie puis espèce de pute. Cette fille à qui on veut offrir des verres « sans arrière-pensées, juste pour faire connaissance ». Cette fille qui devrait sourire en toute occasion, parce que franchement, elle serait plus bien plus belle comme ça. Cette fille qui veut qu’on la laisse tranquille.

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Parce qu’on est toutes cette fille, et que 98% des femmes belges ont déjà été victimes de harcèlement de rue une fois dans leur vie, j’ai rencontré les trois étudiantes membres du collectif Laisse Les Filles Tranquilles. Elles nous ont offert les images d’une nuit de « ride », comme elles disent. Tout en tenant à garder l’anonymat.

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« Avec l’âge, les incidents auxquels on a été confrontées sont devenus de plus en plus trash. »

Le collectif a vu le jour début 2018. Depuis lors, ces pochoirs et affiches fleurissent dans les rues de la capitale. Le design est simple, le message clair : Laisse les Filles Tranquilles. « L’idée germe dans nos esprits depuis qu’on a seize ans. C’est venu d’un ras-le-bol général en ce qui concerne les réflexions sexistes, les types qui nous suivent dans la rue. Avec l’âge, les incidents auxquels on a été confrontées, nous ou nos amies, sont devenus de plus en plus trash. Par exemple quand on sortait du Fuse. On ne pouvait plus ne rien faire, ne rien dire. Du coup, on s’est lancées dans le collage d’affiches et on en a fait des pochoirs. Nos études en art nous aident pas mal à la réalisation, d’ailleurs. » Bien de leur époque, les filles sont également présentes sur les réseaux sociaux. Grâce à leur Instagram, elles organisent des réunions et invitent les volontaires à venir placarder des affiches avec elles, pour redoubler d’efficacité. C’est également comme ça qu’elles ont rencontré la photographe. « Via Instagram, elle nous a proposé de nous accompagner et de prendre nos actions en photos. »

« On dénonce tous les hommes, sans distinction. »

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Bien qu’elles habitent toutes trois le centre ville, aucune commune bruxelloise n’est épargnée. « On essaye d’agir dans tous les quartiers, que ce soit le Sud ou le Nord, car on vise vraiment toute la population masculine. Notre message est court et compréhensible pour un ado de 13 ans comme pour un bourgeois de 72. C’est le but. » D’ailleurs, quand j’évoque le documentaire Femmes de Rues, réalisé dans le quartier Annessens par la flamande Sofie Peeters, elles mettent clairement des frontières. « On tient vraiment à se détacher de ça, car ça a été tourné dans un certain quartier, ça vise une certaine tranche de la population et un milieu social bien défini. En gros, les étrangers. C’est pervers et ça pousse dans le sens du racisme. Ce qui est à l’opposé de nos valeurs. Nous on dénonce tous les hommes, sans distinction. »

Elles visent tous les hommes, mais surtout ne défendent pas que les filles. À côté de l’affiche star « laisse les filles tranquilles », vous pourrez également lire des « laisse les pédés tranquilles » ou « laisse les grosses tranquilles ». « On a souvent entendu des ami(e)s LGBTQ qui réagissaient aux affiches, sans savoir que c’était notre initiative, et qui regrettaient qu’il n’y en ait pas pour eux aussi, sachant le calvaire qu’ils vivent au quotidien concernant le harcèlement et les agressions en rue. Depuis, on a élargi notre message. La tranquillité dans l’espace public, elle doit être accordée à tout le monde. »

« L’équipe du C12 se rend bien compte que les filles et les personnes LGBTQ se font constamment harcelées dans ou autour des clubs, ce qui fait que le climat qui règne n’est agréable pour personne. »

En parlant d’évolution du message, il faudra bien évidemment parler d’évolution de moyens. Lors des open-airs Brüxsel Jardin, les filles ont été une étape plus loin : coller des stickers sur les t-shirts de chaque mec qui passait l’entrée. Quand on sait la foule que rameute ce genre d’événements, la question du financement ne peut que se poser. « Oui, jusqu’ici, c’est nous qui finançons de A à Z. C’est pas évident, vu nos ambitions. On voudrait lancer des t-shirts qu’on distribuerait dans les bars au personnel féminin, qui est spécialement confronté au harcèlement (les filles travaillent toutes les trois dans un bar, ndlr). Et si on veut continuer à s’étendre, on va devoir trouver des solutions. C’est pourquoi on va lancer un crowdfunding. Autrement, c’est impossible. »

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Mais les filles sont sur la bonne voie, et sont même assez malignes en ce qui concerne leurs collaborations. « Le C12 nous a contacté. En tant qu’organisateurs de soirées, ils se rendent bien compte que les filles et les personnes LGBTQ se font constamment harcelées dans ou autour du club, ce qui fait que le climat qui règne n’est agréable pour personne. On va faire un peu d’installation dans la chill room en intégrant nos affiches dans le nouveau mobilier, avec un jeu de découpes et de lumières. Le message viendra vraiment illuminer l’espace. »

« La ville de Bruxelles ne peut pas ignorer qu’il y a un gros soucis dans ses rues. Du coup, nos affiches restent. »

Pour certains sceptiques c’est bien beau, mais est-ce qu’un pochoir peut réellement changer les mentalités ? « Ça ne va pas forcément changer les choses, mais c’est un sensibilisation comme une autre, impactante et ultra-lisible. Tout le monde à Bruxelles a déjà croisé ces affiches. Ça suscite la curiosité et ça pousse à la réflexion. Il faut bien commencer par quelque chose. » Bien sûr, l’affichage sauvage peut mener à des problèmes juridiques ou des détournements peu flatteurs. Mais à Bruxelles, peu d’affiches sont arrachées et la ville est plutôt tolérante à l’égard du message. « Il y a quinze jours, on a posé des formats A0 au Mont des Arts et elles n’ont pas bougé. La ville se rend bien compte qu’il y a un gros soucis dans nos rues. Du coup, nos affiches restent. C’est sûr que ce n’est pas toujours bien accueilli, il y a des détournements. On a pu voir des “Baise les filles tranquilles”, mais bon, c’est le jeu. Pour le moment, on en colle beaucoup par dessus les affiches électorales. »

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Conséquence de cette propagande expansive, même les politiques s’intéressent au projet. « On a été contactées par la Ministre de l’égalité des chances, on l’a rencontrée, elle voulait vraiment nous aider. Mais on préfère rester indépendantes. On sait bien que le monde politique et institutionnel est encore fort sous la coupe du patriarcat et de la droite, donc on se tient à l’écart. »

Quand je leur demande justement ce qu’elles aimeraient voir changer avec ces élections du 14 octobre, elles me répondent en coeur. « Un meilleur accueil des victimes, une police plus compréhensive. Et idéalement, beaucoup plus de femmes au pouvoir. »
Ça tombe sous le sens.

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Retrouvez Laisse Les Filles Tranquilles sur leur Instagram, ainsi que la photographe Elena.

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