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gilets jaunes

« Oui, la violence en manifestation est politique »

Contrairement à l'image de la violence gratuite en manif véhiculée par de nombreux médias et politiques, la casse et les affrontements avec les flics sont en réalité de véritables actes politiques. Explications.
Une voiture brûle le 8 décembre à Paris
Photos Hadrien Brice pour VICE France

Les « casseurs ». Ces temps-ci, les médias n'ont plus que ce mot à la bouche. A la télévision ou sur Internet sont diffusées en boucle des images de participants au mouvement des « gilets jaunes » jetant des pavés sur des CRS au beau milieu des Champs-Elysées avec, autour d’eux, un brouillard de lacrymogènes, des voitures en feu et des vitrines fracassées. Sur les chaînes d’informations en continu, les éditorialistes se succèdent aux côtés des politiques afin de dénoncer, en cœur, les violences survenues ces derniers jours. Des violences qui seraient réalisées par des individus infiltrés au sein des « gilets jaunes » et loin d’être préoccupés par leurs revendications…

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Mais tous ces affrontements et toute cette casse qui surviennent lors de mouvements de contestation sont-ils vraiment dénués d’une visée plus globale ? « Bien sûr que non, la violence en manifestation est évidemment politique », s’exclame Cédric, jeune homme approchant la trentaine et adepte de longue date des manifs mouvementées, quand on lui pose la question. « Casser en manifestation, s’en prendre aux forces de l’ordre, c’est sincère, renchérit Julien, « gilet jaune » parisien ayant pris part aux affrontements ces deux derniers samedis. La semaine dernière, je l’ai beaucoup ressenti et aujourd’hui aussi. Ce geste, c’est une manière de se révolter. »

« On peut les désapprouver, mais les actes de violence en manifestation sont bien des actes politiques », précise de son côté Manuel Cervera-Marzal, sociologue à l’Université Aix-Marseille et notamment auteur du livre Les nouveaux désobéissants : citoyens ou hors-la-loi ? en 2016. « Cela ne sert a rien de nier cela comme le fait actuellement le gouvernement d’Edouard Philippe en disant que les casseurs sont des «professionnels du chaos» ou des «semeurs de désordre». L’acte politique ne provient pas uniquement des institutions, des parlements ou des partis… »

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Paris 8 décembre 2018.

A ses yeux, toute cette casse dont tout le monde parle sans discontinuer depuis plusieurs jours serait plutôt une réponse ou une réaction à quelque chose de plus profond. « Il faut comprendre que la violence ne vient pas d’abord des contestataires, assure-t-il. Elle est en premier lieu issue du monde dans lequel nous vivons et qui entraîne un mouvement de contestation dont certaines des actions sont violentes. Cette violence structurelle, un concept que les sociologues étudient depuis 30 ans, progresse au fur et à mesure qu’on détricote l’Etat-providence, qu’on effectue des coupes dans dans le secteur de la santé, que le pouvoir d’achat baisse, que les inégalités augmentent. Elle est la première des violences et elle fait chaque année des milliers de morts qui sont totalement invisibles… »

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Un raisonnement partagé par les manifestants présents dans les rangs des « gilets jaunes » comme le confirmait Julien samedi : « Les personnes qui s’affrontent la police ou qui cassent, elles se sont rendu compte que la vraie violence, c’est la violence sociale. Ce sont les gens qui dorment devant chez toi, le sort qu’on réserve aux migrants, aux pauvres. Le samedi 1er décembre, c’était intéressant de voir que si au départ de la journée tu t’attaquais « seulement » à ce que représentait l’Etat, ça a évolué au fil des heures. A la fin de la manifestation, ça cassait tout ce qui était assimilé à un truc de bourgeois. Je pense que les manifestants s’en foutent de briser une vitre ou de cramer une voiture, ils veulent juste se faire entendre. »

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Paris,8 décembre 2018.

De façon générale, Manuel Cervera-Marzal estime que nous sommes, sur l’échelle des dernières décennies, dans une « phase d’intensification de la violence en manifestation ». Si les violences contre les forces de l’ordre ou la casse ont toujours existé lors des manifs, elles se situaient plutôt en fin de cortège. Mais, au cœur mouvement contre la Loi Travail en 2016, apparait le cortège de tête. « C’est le même mode de fonctionnement, destructions de vitrines, de banques et affrontements avec la police, mais ça se passe en tête de manifestation plutôt qu’en queue et cela concerne des centaines voire des milliers de personnes », explique le sociologue. « Depuis, il y a eu une démocratisation de l’action radicale. C’est d’ailleurs ce que l’on voit avec les « gilets jaunes » qui se radicalisent de manière express. Lors des procès qui ont suivi le samedi 1er décembre, on a réalisé que la majorité des personnes jugées n’étaient pas des militants aguerris. »

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Cédric, qui manifeste depuis ses 15 ans, poursuit : « Ce ne sont plus uniquement des gens ultra-politisés qui cassent. Cela se généralise clairement à cause de ce sentiment de « j’en peux plus ». Sans oublier que cette violence politique a toujours existé et pas seulement dans les manifestations traditionnelles… En témoignent les émeutes qui peuvent parfois éclater dans les quartiers populaires. « Des quartiers qui sont les premiers visés par le chômage, la précarité et le harcèlement policier et qui ont aussi répondu en brûlant des bâtiments publics ou des voitures », indique Manuel Cervera-Marzal.

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Deux manifestants dansent devant des policiers en civil.

Mais ces réponses de type insurrectionnel apportent-elles des solutions ? À ce propos, Manuel Cervera-Marzal évoque notamment un livre sorti en 2012 aux presses universitaires de l'université Columbia : Why Civil Resistance Works - The Strategic Logic Of Nonviolent Conflict d'Erica Chenoweth et Maria J. Stephan. « Il s’agit d’une étude de 312 soulèvements populaires entre 1900 et 2006, explique-t-il. Les deux chercheuses ont montré que les mouvements dits non-violents avaient deux fois plus de chance d’attendre leur objectif que les violents avec 42% de succès contre 20 pour les mouvements violents. » Avant de nuancer : « Il faut malgré tout noter que le livre fait sujet à débat car on trouve souvent les deux à la fois dans les mobilisations et c'est notamment le cas chez les Gilets jaunes ».

Julien quant à lui affirme que « faire monter la tension, même si ce n’est pas une stratégie voulue, a permis de faire trembler le gouvernement. C’est la violence qui a transformé le mouvement et les gens qui s’y sont identifiés. » Une violence d’ailleurs souvent soutenue par des manifestants qui n’y prennent pourtant pas part comme Alexandra. Aide-soignante et gilet jaune croisée samedi sur la place de la République à Paris avec un masque à gaz sur la bouche et des lunettes de protection, elle se définit comme «pacifiste », mais estime que « sans la violence on arrivera à rien car Macron s’en fout ! Moi je fais les 3x8, je travaille les jours féries et les week-ends, c’est mon premier jour de repos depuis longtemps et pourtant je suis là pour l’avenir de mes deux gamines. Je ne participe pas à la casse, mais je comprends ceux qui le font. Et si on continue à ne pas se faire entendre, peut être qu’un jour, mois aussi, je lancerais une pierre… »

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