Quand un groupuscule d’extrême droite se lance dans une action coup de poing, la riposte se fait rarement attendre. Et ce sont souvent les mêmes qui mouillent le maillot : les militants antifascistes. Ce weekend, suite à la tentative de blocage de la frontière menée par Génération Identitaire, des antifas ont à nouveau répondu en accompagnant des migrants de l’Italie vers la France.
Le militantisme antifa est souvent mal compris, notamment à cause d’une certaine culture du secret (militants masqués, utilisation de pseudos, pas de prise de parole dans les médias). Une stratégie qui ne relève pas de la posture romantique ou de la fascination pour la clandestinité, mais qui répond à un objectif plus pragmatique : ne pas être identifiés par l’ennemi, autrement dit les militant fascisants. Si on ose espérer qu’une bonne partie des Français soit contre le fascisme, ils ne sont pourtant qu’une poignée à s’engager activement au sein de groupes antifas. Mais comment et pourquoi choisissent-ils de s’engager dans cette lutte risquée ?
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« Fin 2016, je suis tombé sur des gars de l’Action Française qui tractaient tranquillement des trucs transphobes et anti-migrants devant la Sorbonne », rembobine Mattia*, la petite vingtaine, un des créateurs du SIAMO, le groupe anti-fasciste du Quartier Latin à Paris. « Ils étaient dix, nous deux. On s’est un peu chahutés, du coup je me suis dit qu’il fallait créer un groupe antifa dans ce quartier – où il y a une présence faf importante – pour leur opposer quelque chose. »
Si Mattia a toujours eu une « détestation » des mouvements d’extrême droite – et s’embrouillait régulièrement avec ses oncles italiens qui n’ont pas gardé un mauvais souvenir de Mussolini – il n’était pas forcément attiré par le militantisme antifasciste. « Disons que les groupes antifas sont relativement fermés. Et on n’a pas tellement envie d’aller causer avec dix mecs et meufs en noir sur un côté… », explique le jeune homme, qui œuvre désormais pour déconstruire l’image biaisée des antifas, afin de ne plus résumer leurs actions aux seules parties de castagne.
« Peu à peu, la politique a pris le dessus sur le stade » — A. militant de l’AFA et ex-abonné de la tribune d’Auteuil, au Parc des Princes.
Pour A., la vingtaine et membre de l’AFA (Action Antifasciste Paris-Banlieue), groupe antifasciste important de la capitale, la rencontre avec les fachos s’est faite dans les tribunes du Parc des Princes. Abonné de la tribune Auteuil – qualifiée de « cosmopolite et fière » – entre 2008 et 2010, A. a vécu les violentes tensions avec la tribune Boulogne, qui penchait carrément vers le nationalisme. « Presque tous les week-ends il y avait un truc », se souvient A. « En déplacement, on se faisait attaquer parce qu’on était Auteuil, noir ou arabe. »
Après le plan Leproux et la dissolution des tribunes, A. a commencé à se détacher un peu du PSG, mais pas des amis croisés en tribunes. « Voyant qu’on ne pourrait revivre ce qu’on a vécu avec le PSG, la politique a peu à peu pris le dessus sur le stade, jusqu’à définitivement prendre sa place », explique A. Alors, à force de fréquenter ceux qui étaient le plus engagés politiquement, le lien s’est fait avec l’AFA, créée en 2007 et dont une partie des membres viennent du virage Auteuil. « Quand tu entres à l’AFA, tu ne t’en rends même pas compte ! Tu traînes avec eux, puis un jour, tu assistes à une réunion et… tu restes. Il n’y a pas de cérémonie ou de cartes de membres, » glisse A. dans un sourire.
Paris n’est pas la seule ville de France où la lutte antifasciste s’organise. À Lyon, un des centres névralgiques des mouvements néo-fascistes français, d’autres militants s’activent au sein la GALE (Groupe Antifasciste Lyon et Environs), créé en 2013. « Sur Lyon, il y a un climat très particulier : le fascisme est très installé, notamment dans le Vieux Lyon », explique Isaac*, un militant de la GALE, rentré dans l’antifascisme suite à l’assassinat de Clément Méric, un membre de l’AFA tué par des militants néo-nazis.
« La violence est un outil politique » – Boris, militant du SIAMO
« Un an après la mort de Clément, des camarades lyonnais se sont fait poignarder dans le Vieux Lyon, ce qui a déclenché de nombreuses manifestations. J’y ai rencontré pas mal de gens, dont certains sont devenus membres de la GALE », retrace Isaac, qui s’inquiète de l’augmentation de la présence du fascisme dans la capitale des Gaules. « On a quand même eu le premier squat fasciste de France qui a ouvert en centre-ville l’été dernier avec le Bastion social », s’alarme Isaac avant de lister les bars, salle de boxe, salon de tatouages et magasin de vêtements tenus par les militants fascistes lyonnais.
Mais tout ceci n’est pas nouveau. Michel*, la petite quarantaine, militait déjà dans les années 1990 quand les groupes antifas s’appelaient SCALP ou Réflexes. « Quand j’étais au lycée, il y avait pas mal de bandes de tout genre, notamment des skins-fafs qui nous attendaient à la sortie des concerts de rock alternatif pour foutre la merde », explique Michel. « Puis, j’ai commencé à lire des trucs, à faire des manifs, à rencontrer des gens. A force de te voir, les gens t’intègrent petit à petit, tu vas aux réunions et tu ne repars plus. »
Malgré ses presque 20 ans de militantisme, Michel n’a toujours pas raccroché. Mais adapté ses modes d’actions. Aujourd’hui, il est membre de La Horde, un collectif de militants qui tient un site sur la lutte antifasciste publiant cartographies de l’extrême droite et autres investigations fouillées sur les néo-fascistes français (que les journalistes utilisent régulièrement). « Pour combattre un ennemi, il faut à la fois s’opposer à lui dans la rue, mais aussi le connaître », décrypte Michel. « On veut savoir qui on a en face de nous. D’ailleurs, il n’y a rien qui les gêne plus que lorsqu’on pointe du doigt ce qu’ils sont vraiment. Puis quand on arrive à un certain âge, on ne peut plus avoir le même engagement », explique celui qui a cessé de faire de coup de poing et se concentre sur ses activités, plus intellectuelles, pour La Horde.
« La violence n’est pas une fin en soi » – M. militant de l’AFA
Ce travail de décryptage de pair avec l’activisme de rue parfois violent – sans que les antifas ne placent une méthode au-dessus de l’autre. « La violence est un outil politique que je n’hésite pas à utiliser. Je ne vais pas laisser le monopole de la violence à des mecs [les fascistes] qui l’utilisent constamment », indique Boris*, un des créateurs du SIAMO. « Je veux que la peur change de camp. Donc je fais du sport, de la boxe, pour ne pas me faire niquer par des mecs qui s’entraînent. » Si Boris admet avoir ressenti un certain plaisir à avoir « mis des énormes coups de casques dans la tête » de militants fascistes qui avaient ouvert le crâne de deux de ses amis, il assure ne jamais se battre en dehors du contexte politique.
Les risques – finir blessé, en garde à vue ou en cabane – font partie intégrante de la vie des militants antifas. « Si tu pratiques uniquement un militantisme très légal, où tu ne prends pas vraiment de risques, tu vois les limites », explique M., militant de l’AFA depuis quelques années après avoir milité du côté de la Loraine. « Nous, on a choisi une forme de militantisme : l’action de rue, mais la violence n’est pas une fin en soi. Mais on ne fait pas de hiérarchie entre les bonnes et les mauvaises façons de militer. On ne dit pas que [se battre] est supérieur à un collage ou une conférence. »
Le militantisme antifa peut prendre des formes diverses explique Rabat* de la GALE. « On est présent dans les universités, on organise un festival, des tables de presse dans les concerts mais aussi repas et des soirées de soutien, notamment aux migrants de l’amphi Z [un squat lyonnais], » détaille la jeune militante venue à l’antifascisme après avoir milité dans des associations de soutien aux migrants.
Cette multiplicité des moyens de militer résonne avec une pluralité de luttes qui semblent se fondre dans l’antifascisme – expliquant sans doute une partie de son attrait pour des profils venant de tous horizons, des tribunes en passant par les salles de concert. « Je n’y connaissais rien aux antifas », admet Sacha, la troisième fondatrice du SIAMO. « Si bien que pendant une manif à contre la COP 21, j’avais croisé un groupe de types avec des t-shirts « Nazi Hunter », et je m’étais dit que c’était vraiment des blaireaux de croire qu’il y avait encore des nazis en France », se rappelle l’étudiante. « Mais en construisant ma culture politique, je me suis aperçue que mon anti-capitalisme, mon anti-racisme… avaient en réalité une racine commune : l’antifascisme. »