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Culture

Vie et mort d’un infiltré dans les cartels

Comment Barry Seal a trompé les narcotrafiquants les plus violents au monde, avant d’en crever.

Cet article est présenté par Barry Seal : American Traffic.


La vie de Barry Seal est une véritable odyssée – une odyssée tragique, certes, qui l'a vu fricoter avec les cartels les plus violents du XXe siècle, avant de retourner sa veste sous la pression des autorités américaines. Barry Seal a connu certains des personnages les plus marquants de l'époque, et je ne parle pas uniquement des barons du trafic de drogue. Non, Adler Berriman Seal aura également côtoyé quelques personnalités politiques célèbres. Ce sont d'ailleurs ces connexions, ainsi que ses exploits (parfois fantasmés), qui auront bâti le « mythe Seal » – un mec convaincu d'être plus intelligent qu'il ne l'était vraiment, selon l'un de ses biographes. Selon certains, Seal aurait même piloté des avions pour le compte de la CIA tout en continuant ses deals – une théorie ni confirmée, ni infirmée.

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Quoi qu'il en soit, Barry Seal a toujours été passionné par les avions – cette chance unique de s'arracher à sa condition d'être humain, de quitter pour quelques heures une réalité banale. À l'âge de 16 ans, il passa avec succès son brevet de pilotage et rejoignit la Civil Air Patrol américaine. Sans que l'on sache vraiment comment – c'est ici que les théories de son possible engagement auprès de la CIA débutent – Seal aurait fourni des armes à Fidel Castro avant 1958, avant de changer de camp dans le contexte de Guerre froide et d'œuvrer à la chute du régime communiste naissant. Par la suite, après être passé par le Guatemala, il s'impliqua au sein la Garde nationale de Louisiane, gagnant un peu plus d'expérience dans le domaine militaire.

Au milieu des années 1960, les spécialistes s'accordent à dire que Seal bossait pour le compte de la TWA, la compagnie aérienne d'Howard Hughes, et était un pilote de ligne respecté – ce qui ne lui suffit jamais. Le 1 er juillet 1972, Barry Seal fut arrêté après avoir tenté d'importer clandestinement des explosifs militaires au Mexique, explosifs qui étaient destinés à des militants cubains anti-Castro. Les autorités américaines confisquèrent les sept tonnes de C-4. Ce qui aurait dû être un procès tranquille tourna au fiasco devant une cour fédérale de la Nouvelle-Orléans. En 1974, Seal était libre.

Alors âgé d'une trentaine d'années, il lui fut tout de même impossible de récupérer son poste au sein de la TWA. Seal avait besoin d'argent. C'est pour cela, selon les dires de sa femme Deborah, qu'il aurait rejoint le monde du trafic de drogue. De 1976 à 1979, le pilote aurait importé du cannabis et de la cocaïne sur le territoire étasunien à partir de différents pays latino-américains. Les paysages de la Louisiane étaient émaillés de pistes d'atterrissage isolées, ce qui facilitait considérablement sa tâche. Amassant des centaines de milliers de dollars en quelques années, le petit mec originaire de Baton Rouge s'en sortait parfaitement, jusqu'à être arrêté au Honduras en 1979 avec 40 kg de cocaïne.

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Seal fut envoyé dans une prison hondurienne, avant d'être libéré sans qu'on ne sache vraiment pourquoi neuf mois plus tard – alimentant encore une fois sa légende. Rapidement de retour aux États-Unis, il profita alors des connexions établies en prison pour travailler pour le compte de la famille Ochoa, originaire de Medellín, rencontrée par l'intermédiaire de William Roger Reaves, un trafiquant de drogue lui aussi emprisonné au Honduras.

Le cartel de Medellín contrôlait à l'époque les trois quarts de la production de cocaïne à destination des États-Unis, et Seal ne mit pas longtemps à s'imposer comme l'un des convoyeurs les plus doués. Les livraisons nocturnes en Louisiane devinrent monnaie courante. Ce que Seal ne savait pas, c'est que la DEA et la CIA avaient largement infiltré les cartels, et avaient choisi de protéger certains barons – notamment Sonia Atala, selon certains spécialistes. Tous s'accordaient à vouloir faire tomber les gouvernements de gauche de l'époque. Dans un contexte de guerre, Seal n'était donc qu'un petit pion pris dans une partie d'échecs dont il ne soupçonnait pas les tenants et aboutissants.

En 1983, avec près d'une centaine de va-et-vient à son actif, Barry Seal était à la tête d'une fortune de plus de 50 millions de dollars. C'est à ce moment-là que les autorités réagirent et décidèrent de le faire tomber, pour éviter que le petit transporteur de drogue ne devienne l'un des hommes les plus puissants du milieu.

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L'opération « Screamer », menée par la DEA, aboutit à l'arrestation de 80 personnes. Barry Seal fut accusé de contrebande et de blanchiment d'argent, et fut sous la menace d'une peine de 50 années de prison – peine qu'il ne fit jamais, car il sut réagir promptement malgré la confiscation de son argent et ses avions. Il arriva à convaincre les enquêteurs que ses connaissances des cartels étaient telles qu'il serait une pièce maîtresse dans la lutte contre ces derniers. Pour résumer, il proposa de devenir une taupe. Après moult réflexions, la DEA refusa.

Sans perdre de temps, Seal prit le chemin de Washington et demanda à rencontrer sans attendre le Vice-président de l'époque, George H. W. Bush. La « guerre contre la drogue » prenait forme, et Seal répéta qu'il était prêt à faire son devoir de citoyen. Là, il affirma qu'il était en mesure de participer au transfert de trois tonnes de cocaïne directement en lien avec la famille Ochoa. La DEA finit par accepter sa proposition, et un mois plus tard il était aux commandes de l'avion.

C'est là que, pour la première fois, Seal aurait rencontré Pablo Escobar – le baron le plus craint de la planète. Ils auraient discuté toute la nuit en compagnie de la famille Ochoa, évoquant les interventions de l'armée colombienne, alors en guerre ouverte contre les cartels. Seal les aurait largement laissé parler, notamment lorsqu'ils expliquèrent qu'il était devenu impératif de bosser avec le gouvernement sandiniste nicaraguayen, qui avait accepté de servir de base arrière au trafic. L'union des « gauchistes » et des cartels était une occasion inespérée, et Seal ne manqua pas de faire remonter l'information au plus haut sommet de l'État. Du moins, c'est ce que certains ont retenu. D'autres, les plus critiques à l'encontre de Seal et de ses agissements, défendent une version tout à fait différente. Selon eux, Seal aurait surtout permis au gouvernement américain d'avoir une raison pour intervenir dans les affaires du Nicaragua. Selon ces mêmes critiques, les affirmations de Seal quant à une possible base arrière au sein du pays de Daniel Ortega ne sont que des affabulations.

Malgré ce coup de main, toutes les charges contre Barry Seal n'avaient pas été abandonnées. La condamnation fut sans appel : 10 ans de taule. Encore une fois, la situation n'allait pas durer. La DEA libéra Seal deux jours plus tard. Peu après, le pilote prit les commandes d'un avion à destination du Nicaragua, avion contenant de nombreuses caméras dissimulées, ainsi que tout un équipement d'espionnage. Seal permit alors au gouvernement américain de récupérer des photos de Pablo Escobar en train de charger de la cocaïne en compagnie des forces sandinistes, ce qui le conduisit à accuser le régime de « corrompre la jeunesse américaine ». De son côté, le gouvernement sandiniste a toujours nié son implication, criant au complot. Quoi qu'il en soit, l'implication de Seal dans cette affaire devint connue de tous – et notamment des gens les plus dangereux de la planète.

La DEA accepta de réduire la peine de Barry Seal à six mois de prison. Le problème, c'est que le pilote fut de nouveau arrêté en décembre 1984 à bord d'un avion chargé de cannabis. Il paya sa caution, fut remis en liberté… et se remit à transporter de la drogue immédiatement. Au cours de l'année 1985, les choses sont peu claires. Certains affirment que Seal aurait transporté 15 tonnes de cocaïne pour le compte de la DEA, et aurait conduit à l'arrestation de 17 grands criminels.

En fin de compte, Barry Seal fut de retour devant les juges en décembre 1985 pour être condamné à six mois de probation, une durée durant laquelle il dût travailler pour l'Armée du Salut et fut soumis à un contrôle judiciaire strict. Sans surprise, le cartel de Medellín mit sa tête à prix : un million de dollars. Après avoir refusé, selon les dires des avocats du gouvernement américain, une protection policière, Barry Seal fut abattu le 19 février 1986 devant son lieu de résidence temporaire par des hommes directement engagés par la famille Ochoa.