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La cave qui servait les plats presque oubliés de la Gagaouzie

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Lorsque vous entrez dans la salle à manger du domaine viticole de Kara Gani dans la région viticole de Valul lui Traian, à l’extrême sud de la Moldavie, l’odeur de piment vous chatouille les narines alors que le ragoût du déjeuner mijote sur le feu.

En attendant que la table soit dressée et que les ingrédients provenant des jardins de l’exploitation viticole soient cuisinés, vous pouvez découvrir, dans une petite salle adjacente, les vestiges inattendus d’une époque presque oubliée. Un musée familial y commémore non seulement l’histoire mais aussi le patrimoine et la culture de la Gagaouzie.

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Prise en sandwich entre la Roumanie et l’Ukraine, la Moldavie est un pays qui reste encore largement méconnu de nombreux voyageurs – c’est le troisième moins visité en Europe. Ceux qui le connaissent ont généralement entendu parler de la Transnistrie – bande de terre non reconnue située à la frontière occidentale qui a déclaré son indépendance en 1990.

En Moldavie, il y a un autre pseudo-état composé de quatre enclaves non contiguës : la Gagaouzie. Région autonome avec son peuple, sa culture, sa langue et sa cuisine, elle est la patrie des Gagaouzes – qu’on peut traduire approximativement par « Peuple du ciel » – descendants de Turcs arrivés dans le coin bien avant l’Empire ottoman. La Gagaouzie s’est déclarée indépendante en 1991. Trois ans plus tard, la Moldavie lui accordait l’autonomie mais pas le statut de pays.

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Le vignoble Kara Gani accueille le seul (et donc le meilleur) établissement qui propose des plats authentiques et traditionnels de Gagaouzie. On y trouve des plats emblématiques de cette sous-culture moldave qui tente de se réimplanter progressivement dans la région.

Au cours des décennies de domination soviétique, la culture gagaouze a presque disparu. La langue, qui provient des terres historiques de la Bessarabie bordées par les fleuves Dniester et Prut, a même été classée comme « en danger » par l’UNESCO.

Aujourd’hui, les habitants de la région se réapproprient l’héritage gagaouze et ressuscitent la langue, en partie grâce aux familles qui ont conservé des rites culinaires autochtones. La cuisine gagaouze est l’un des rares éléments de la culture locale qui n’a pas été éradiqué par l’Empire russe au profit d’une « identité nationale » au moment de l’annexion de la région en 1812 après la chute de l’Empire ottoman.

Le dîner s’inspire de la vie nomade et pastorale des Gagaouzes de l’époque, lorsque des aliments comme le fromage et la viande étaient transformés ou conservés dans des peaux, des têtes ou des pieds d’animaux.

En gagaouze, « Kara » signifie noir, comme la mer à proximité ou la couleur sombre de certaines vignes, tandis que « Gani » est le nom des ancêtres de Gheorghe Cervan, propriétaire et viticulteur. Il a baptisé l’exploitation en l’honneur de son grand-père, dont la famille vit dans la région depuis 1136.

Aujourd’hui, Gheorghe consacre son temps à la préservation d’une culture méconnue en proposant des mets traditionnels et du vin aux touristes qu’il tente d’attirer. Après une visite de la cave, les clients sont invités à se promener dans le musée pendant la préparation de la dégustation et à porter une attention particulière aux textiles suspendus aux murs comme des tapisseries.

Un art hautement symbolique qui occupe une place privilégiée au cœur de la Gagaouzie : vêtements, tapis et moquettes illustrent souvent le rythme de la nature, tels que les saisons ou le cycle de vie du blé. Choisie par Lora Cervan, la matriarche de Kara Gani, la collection comprend des articles centenaires issus du mariage de ses ancêtres, notamment des tapis, des ustensiles de cuisine anciens et des sacs à vin.

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Le dîner s’inspire de la vie nomade et pastorale des Gagaouzes de l’époque, lorsque des aliments comme le fromage et la viande étaient transformés ou conservés dans des peaux, des têtes ou des pieds d’animaux. Le fromage de tête gagaouze – une viande en gelée remplie de la chair d’une tête de veau ou de cochon semblable à un aspic.

À Kara Gani, le plat principal est un ragoût d’agneau appelé kurban accompagné de boulgour et de placinta, une tarte fine souvent garnie de fromage à pâte molle.

Parmi les autres plats, souvent préparés à partir des troupeaux itinérants, il y a du fromage de brebis et un bouillon d’agneau garni d’huile de piment. Une fois que les Gagaouzes se sont installés dans la région – située sur le même parallèle (45e) que Bordeaux – les céréales et les légumes ont commencé à apparaître dans leur cuisine.

À Kara Gani, le plat principal est un ragoût d’agneau appelé kurban accompagné de boulgour et de placinta, une tarte fine souvent garnie de fromage à pâte molle, mais pouvant également se trouver avec des pommes ou d’autres fruits.

Le repas se termine par des raisins de table sucrés et juteux provenant directement du vignoble. Le vin est préparé conformément aux traditions locales, c’est-à-dire que les raisins de la région – la Moldavie abrite plus de 50 cépages différents plantées parmi ses 112 000 hectares de vignes – sont récoltés à la main et introduits manuellement dans le tonneau de vin.

« Vous venez ici en tant que touriste et vous en sortez un ami », raconte souvent Cervan à ses invités. Levant un verre, il dit « Saalik alla versin », une expression gagaouze qui signifie grosso modo « Santé ». Mais il s’agit avant tout pour lui de préserver le style de vie des Gagaouzes et la culture qu’ils ont failli oublier.


Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES US

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