Depuis le milieu des années 90, le milieu rap est devenu une mine d’or intarissable mais aussi un véritable soap opera à ciel ouvert : des morts mystérieuses, des théories du complot, des empires décadents, des hommes atteints par l’ubris citant Picasso et Steve Jobs comme comparses. Murder Inc symbolise parfaitement le début de toute cette merde. Irv Gotti, Ja Rule, Ashanti et compagnie ont côtoyé les hauteurs, culminant au sommet du totem mainstream avant de terminer dans les oubliettes du rap.
Avec MTV comme précepteur, j’ai été exposée super jeune et super intensément à Murder Inc. Leurs sons style « La Belle (Ashanti) et la Bête (Ja Rule) » raisonnaient totalement en moi au-delà même du format hip-hop smooth Disney que me proposait le label. Dans leurs clips, tout le monde avait l’air de s’amuser constamment : Ja Rule à la plage avec des filles qui courent, Ja Rule et Ashanti à la fête foraine, Ja Rule et Bobby Brown sous MD dans un hélico… Tous ces trucs étaient comme des petites images d’Epinal qui représentaient le bonheur. Cependant, le tableau s’est noirci au début de l’année 2003 : moment où j’ai mis la main sur le CD Single de « In Da Club », moment où je suis devenue pubère et réaliste. Une déconfiture que mon cerveau d’enfant peinait à comprendre.
Videos by VICE
J’ai profité de la récente sortie de l’autobiographie de Ja Rule intitulé Unruly pour revenir sur les meilleurs épisodes de l’épopée Murder Inc.
Inspiré par le folklore de la mafia italienne (comme le reste des rappeurs en fait), Murder Inc. emprunte son nom à une organisation mafieuse italo-juive du même nom, entreprise réputée pour sa sous-traitance de services d’assassinat. Une mutuelle pour loubards en gros. Sauf que le label n’a pas su distinguer la fiction de la réalité : entre son allégeance aux barons de la drogue dont résulte un combat contre les fédéraux, leurs luttes fratricides et autres multitude de beefs, une arrogance exacerbée ainsi qu’une consommation stable et quotidienne de MDMA, la chute de Murder Inc était rétrospectivement une chute annoncée, ni brutale, ni inexplicable.
On est en Juin 2000 et Irv Gotti finit de jouer Rule 3:36 – le second album de Ja Rule – à Lyor Cohen (le président de Def Jam de l’époque) et Kevin Liles.
« C’est nul à chier Irv… C’est même pas hip-hop, tu vas nous faire perdre notre argent avec ça. »
Certainement le meilleur D.A. de sa génération, Irv Gotti n’a pas l’habitude qu’on le contredise . Merde quoi, Irving a quand même fait signer DMX et Jay-Z en 1997 sur Def Jam au moment même où le label était en perte de vitesse. Il a aussi produit le premier album de Ja Rule « Venni Vetti Vecci » (1999) tout en chopant un disque de platine au passage.
Les 3 nouvelles recrues de Def Jam (Ja Rule, Jay-Z et DMX) repérées par Irv Gotti devaient aussi accessoirement faire un album en tant que supergroupe, ça n’a pas fonctionné car Jay-Z et DMX ne pouvaient pas s’encadrer.
Au milieu des années 90, Irving Lorenzo, natif de Hollis, Queens, le quartier de Run DMC, se fait appeler DJ Irv. Il roule sa bosse et produit des disques ici ou là. Mais pas que, Irv acquiert une position de consigliere, une éminence grise qui oriente et conseille ses amis rappeurs. On peut le voir dans le clip de « Flava In Ya Ear (remix) » de Biggie et Craig Mack ou « Ain’t No Nigga » de Jay-Z et Foxy Brown. C’est d’ailleurs ce titre qui a suscité l’attention de Lyor Cohen qui lui proposera une position de D.A. pour Def Jam. Lors d’un entretien Cohen lui demandera d’ailleurs :
« Où tu te vois dans 5 ans ?» ce à quoi Irv Gotti répondra « Occupe-toi de tes oignons » avant d’ajouter « Mon plan dans 5 ans, c’est de tout détruire et de prendre ta place »
Ca tombait à pic, Def Jam avait besoin de sang neuf, timping parfait pour Gotti. Le label jadis légendaire était à l’agonie : un roster d’artistes vieillissants et/ou relous sans réel charisme, avec LL Cool J pour seul survivant. Bref, Irv en nouvel architecte du « son Def Jam » rendra sa dignité au label et pour le récompenser on lui offra sa propre structure, Murder Inc, hebergé par la maison mère Def Jam. Pour Irv c’était synonyme de liberté et d’autonomie sauf qu’on lui demandait déjà gentiment d’avorter un projet sur lequel il avait durement travaillé, et dont il était surtout convaincu du succès :
« Toutes les rates de L.A. ADORENT Rule 3:36 » rétorqua Irv.
Liles et Cohen n’en ont pas grand chose à foutre et lui ordonnent de refaire tout l’album dans les plus brefs délais. Des ordres qu’il s’empresse de ne pas mettre à exécution. Def Jam finit par céder et lui accorde un pressage de 10 000 copies du premier single de l’album : « Between Me & You » en featuring avec Christina Milian. Dérisoire. Mais il en faut plus pour décourager Gotti qui s’empresse de faire appel à son réseau : directeurs de programmation de radio, journalistes, etc…
« J’ai totalement baissé mon froc pour que le titre passe en radio, j’étais genre ‘les mecs si vous aimez, n’hésitez pas à le jouer, s’il vous plaît, j’y tiens’ et mec… qu’est-ce qu’ils l’ont joué ! » – Irv Gotti.
Finalement Rule 3:36 s’est vendu à plus de 3 millions d’exemplaires laissant Cohen et Liles pantois.
Son succès, il le doit une recette qui aujourd’hui paraît évidente : un mélange entre R&B édulcoré, chanson d’amour et gangsta rap à fleur de peau. La gangsta pop. Un truc qui pourrait autant être joué sur les radios blanches mainstream qu’à un barbecue dans les projects de Brownsville entre deux coups de feu de Mack 10.
Dessin : Safia Bahmed-Schwartz
PAIN IS LOVE
Si un rappeur a su écrire sur le thug love comme personne c’est Ja Rule. Chaque hit de Ja Rule et Ashanti sonne comme une ôde aux Bonnie & Clyde, aux Ike et Tina, aux K-Ci et Mary J. Je les blâme d’ailleurs – surtout Ja Rule – d’avoir jouer un rôle déterminant dans les choix amoureux chaotiques que j’ai pris dans ma vie de jeune adulte.
1. « BETWEEN ME AND YOU »
Dans « Between Me and You », Ja Rule et Christina Milian nous parlent d’entretenir des relations adultérines confidentielles en toute légèreté. Sur le papier, ça a l’air plutôt marrant, on peut voir ça comme un track carpe diem mais entre les lignes on va droit dans le mur. Inutile de chercher des solutions, Ja Rule ne fournit aucune notice pour s’en sortir en cas de pépin.
« You wit him ? Here’s my room key ; holla at me
If they – knew we were doin what we were doin it’d probably ruin
Our creep away summer in Cancun »
Oui avec Ja, la confiance règne.
2. « THUG LOVIN’ »
Selon Ja Rule, la routine et l’ennui sont l’ultime poison d’une relation amoureuse qui se doit de rester toujours excitante, pleine de rebondissements quitte à se révéler dangereuse ou nocive. Dans « Thug Lovin », Ja Rule s’adresse à une sorte d’Emma Bovary qui vivrait une relation plate et sans surprises, il tente de la corrompre avec son aura de rappeur à la vie trépidante :
« From town to town and city to city
You and I make headlines like Lo and Diddy and Bob and Whitney »
J’aimerais prendre le temps de souligner deux choses : à quel moment l’une ou l’autre de ces relations est enviable ? Pourquoi Ja Rule mentionne ces deux couples sur le mode de « It Could Be Us But You Playin » ? JLO et Diddy ont frôlé la mort, pris pour cible dans une fusillade dans un club en 1999 et je ne compte même pas m’étendre sur le cas Whitney Houston/Bobby Brown parce que si l’addiction au crack et à l’alcool et la violence conjugale sont les ingrédients du thug lovin’, je préfère ne pas en être.
N.B : Sur l’échelle de Richter de la défonce, Bobby Brown atteint facilement 9 dans le clip de « Thug Lovin » et ce n’est pas beau à voir.
3. « DOWN ASS B*TCH » / « DOWN 4 U »
« Down Ass B*tch » est un hymne qui a autorisé tous les voyous du coin à revoir leurs standards à la hausse : « Every thug needs a lady ». Une « down ass bitch » c’est une fille qui n’a pas peur de prendre part à des activités répréhensibles avec toi, qui est prête à te couvrir, à tuer pour toi. « Down 4 U » est sensiblement la même chanson en featuring avec toutes les filles de Murder Inc.
L’ECSTASY COMME STYLE DE VIE
Murder Inc ne se limite pas au trio Ja Rule, Ashanti et Irv Gotti, c’est aussi un roster d’artistes comme Cadillac Tah, ShaMoney XL, Vita ou encore Charli Baltimore. Cette dernière n’est autre que la dernière maîtresse assumée de Biggie. Malgré un talent indéniable, une fan-base, de bons featurings, l’album solo de Charli Baltimore ne verra jamais le jour : « Je ne suis pas comme ces mecs qui disent qu’ils n’ont pas pu sortir d’album alors qu’ils ont juste été fainéants. Le budget de la promo de mon album a été volé par les frères Gotti. J’ai signé sur Murder Inc. parce que j’étais impressionnée par leur manière de gérer leur business. Les Gotti ont niqué toute mon avance dans l’ecstasy et les casinos pourris à Las Vegas. Irv dépense 8000 dollars par semaine dans les ecstas, j’arrive pas à comprendre… »
Murder Inc a glorifié l’ecstasy bien avant que les rappeurs de la décennie 2010 parlent de Molly. L’ecstasy est un lifestyle pour Irv Gotti : « Tous les classiques qu’on a fait, on les a fait défoncés à l’ecstasy ».
Karrine Steffans, video-vixen et accessoirement grosse balance raconte : « Personne ne faisait la fête comme Murder Inc. Il n’était pas question de ménage à trois, tu pouvais trouver 20 filles dans une chambre avec Ja sous ecsta, voilà la vie qu’on menait en Californie ».
Toute cette MD a rendu Irv un peu cinglé et l’a sorti du réel : il a notamment débarqué à une interview pour L Magazine complètement défoncé en déclarant : « Jennifer Lopez ne pourra jamais faire un album comme Whitney Houston ou Mariah Carey car elle n’a pas de voix, elle a besoin de mecs comme moi pour la secourir et travailler ou camouflerr sa voix, sinon elle ne s’en sortirait pas. »
Dessin : Safia Bahmed-Schwartz
LES FÉDÉRAUX EN PLANQUE
Le destin de Murder Inc bascule en cet après-midi caniculaire de juillet 2001 à Harlem. La police de New York arrête un homme noir de taille moyenne le regard perçant, sûr de lui. Jusque là c’est la routine, rien de nouveau sous le soleil cuisant de la 125ème. Les flics fouillent le type et trouvent un glock, plus de 11 000 dollars en liquide dans sa poche droite et un faux permis de conduire.
Face à la perplexité des policiers, McGriff détient quant à lui toutes les réponses : « Le cash ? Vous m’avez chopé un mauvais jour parce que d’habitude j’ai plus que ça dans mes poches » et le gun alors ? « On vit dans un quartier dangereux, je veux pouvoir prévenir le danger », au sujet du faux permis : « C’est pas moi » assène McGriff. Les policiers lui demandent de s’identifier, ce à quoi il répond, impudent : « Je suis Ricky Coleman et je travaille pour Def Jam Records ».
Les flics pas dupes, le poursuivent pour détention illégale d’armes à feu. Ils lui collent au train, épient, tapis dans l’ombre, le moindre de ses faits et gestes. McGriff ne change pas ses habitudes, s’identifie auprès de l’accueil de Def Jam comme « M. Supreme » et rejoint directement les bureaux de MurderIinc. L’investigation conduit alors les fédéraux sur le palier du label rap le plus prolifique du moment.
Comme les plus avertis s’en doutent déjà, Kenneth « Supreme » McGriff n’était pas tout à fait un employé de chez Def Jam et ne travaillait pas non plus exactement pour Murder Inc (c’était peut-être plutôt le contraire). Supreme était en fait un des barons de la drogue les plus influents de New York, ayant bâti son empire à coup de Pyrex, de bicarbonate de soude et résidus de cocaïne dans les années 80 à Southside Jamaica (le sud du Queens), exactement là où Irv Gotti avait grandi. Alors qu’Irv et son frère étaient juste des mioches du Queens, New York vivait au rythme du commerce et de la consommation de crack et Supreme est peut-être le modèle de réussite en termes de commerce souterrain. Les liens que tissent McGriff avec Irv Gotti sont ceux d’une amitié authentique certes, mais avec tout ce qu’elle implique de compliqué.
Les yeux de Kenneth « Supreme » McGriff.
J’ai conscience qu’on bascule dans le scénario d’un polar afro-américain de seconde zone mais je poursuis : le paroxysme est atteint le 3 Janvier 2003 lorsque les fédéraux perquisitionnent aux bureaux de Murder Inc dans l’espoir de trouver des documents liant McGriff et Irv Gotti. Une scène immortalisée dans le clip « Murder Reigns » avec un guest star feu Patrick Swayze dans le rôle de l’agent fédéral relou qui mène une guerre acharnée contre le rap.
« Ils scrutent les rappeurs comme ils le faisaient pour la mafia. »
Comment les fédéraux ont-ils finis par soupçonner l’existence d’un rapport entre Kenneth McGriff et Murder Inc ?
Remontons le temps. A son retour de prison McGriff décide de se reconvertir à moitié : il veut tourner un film basé sur « Crime Partners », un roman réaliste écrit par Donald Goines qui nous plonge au cœur du hustling des années 70. Il doit mener à bien son projet à l’aide de la société indépendante Picture Perfect Film Production. Sans surprise, Supreme se tourne vers Gotti pour lui demander de l’aide, sans tarder ce dernier lui trouve non seulement un réalisateur jeune et plein de ressources mais il lui file aussi ses artistes : Ja Rule, Charli Baltimore, Cadillac Tah pour incarner des petits rôles dans son film. Quant aux rôles principaux, on fait appel à Snoop, Ice-T and Tyrin Turner, tout ça pour un Straight-to-DVD que ni toi, ni moi, ne regarderons.
Pour les fédéraux et la police de New York, Irv et Supreme sont clairement des partenaires dans le crime. Les autorités gèlent les comptes de Picture Perfect Films et arrêtent McGriff et le producteur du film Jon Ragin pour fraude à la carte de crédit. En épluchant leurs comptes, on trouve des choses étonnantes comme des virements de Murder Inc à hauteur de 500 000 dollars. Def Jam et Murder inc plaident leur cause : « Cet argent servait à produire la bande-son de Crime Partners, ni plus, ni moins. Malgré son passé notoire, Monsieur McGriff est un homme qui essaye désormais de vivre honnêtement » – Simels, avocat de Supreme McGriff
Pour que le FBI arrive à remonter jusqu’à cette conclusion, beaucoup soupçonnent que le premier indice fut lancé par 50 Cent, un jeune rappeur du Queens sur le come-up et accessoirement protégé de Jam Master Jay. L’archétype du rappeur qui a faim et qui est prêt à tout pour arriver à ses fins. Signé chez Colombia par Chris Lighty, 50 Cent sort enfin son premier album Power Of The Dollar, un disque où tout le monde en prend pour son grade, surtout Ja Rule. Jusque là tout va bien, sauf que sur cet album figure également le crucial « Ghetto Qu’ran », un titre qui coûtera cher à beaucoup de monde. En voulant se faire chroniqueur de la rue, 50 Cent est allé à l’encontre de l’éthique du ghetto qui veut qu’on ne détaille pas les exploits des drugs lords influents toujours en vie et en liberté. Et parmi eux, Supreme McGriff. Le jeune Curtis apporte un florilège de détails sur les pros de l’économie souterraine du Queens :
« See, niggas feared Prince and respected Preme
For all you slow motherfuckers, I’mma break it down iller
See, Preme was the business man and Prince was the killer »
Du petit lait pour la « Hip-Hop Police », une section spéciale de la police de New York moitié réelle moitié légende urbaine chargée de surveiller les faits et gestes des rappeurs les plus influents. Comme l’histoire l’a montré, 50 Cent a payé pour ses largesses en se faisant tirer à 9 reprises dans le poireau. Une chance pour lui. C’est le début de son mythe et de son histoire alors qu’en réalité il s’agissait surtout de faire taire une balance.
Le plus grand ennemi de Murder Inc reste 50 Cent, pas seulement pour avoir permis aux fédéraux de mettre le nez dans leurs affaires mais plus pour avoir remis en cause plus d’une fois la crédibilité de Ja Rule. A deux reprises, ce climat de violence a explosé : une fois lors d’une conversation entre les deux rappeurs qui a dégénéré en poing dans la gueule et une seconde fois quand Ja Rule et Murder Inc ont fait irruption à la Hit Factory, en pleine session d’enregistrement de 50 Cent, dans l’unique but de le défoncer. Tout ça en corrélation avec une multitude de diss songs où Eminem, Dr. Dre et le G-Unit n’ont pas manqué de participer : « Irv Gotti You ain’t a killer, you a pussy / That ecstasy got you all emotional and mushy / Bitches wearing rags in photos / Ja’s word being quoted / In The Source, stealing Pac’s shit like he just wrote it. » (Eminem dans « Hail Mary »)
Ja Rule, un peu désemparé, a riposté et s’est lassé. Il est même allé jusqu’à faire appel à Louis Farrakhan, la chef spirituel de la Nation Of Islam. La réconciliation télévisée n’aura jamais lieu puisque 50 Cent ne participera pas même si « deux jeunes frères noirs qui réussissent doivent collaborer ensemble ». Et pourquoi pas une tournée pendant qu’on y est ? Bref, l’idée saugrenue de la main tendue a définitivement confirmé le statut de mec fragile de Ja Rule.
C’est un homme nouveau que vous voyez ici.
LA CHUTE
L’asphyxie Murder Inc. s’explique aussi par le fait que le public rap est un public versatile : il vous encense et vous fait la cour un jour et le lendemain vous baise négligemment sans vous payer le taxi pour rentrer. D’autres erreurs grossières ont été commises. La première fut d’arrêter et de se lancer dans un combat de « lyricistes » perdu d’avance contre Shady Records. La seconde erreur fut celle du crime de lèse-majesté : ne jamais se comparer à 2Pac… ce que Ja Rule n’a pas manqué de faire ostensiblement.
L’épisode de l’enquête fédérale a refroidi l’atmosphère chez Def Jam, qui décide quelque mois plus tard de se séparer de Murder Inc. La ruée vers l’or tourne au cauchemar, les amis s’effacent et se font rares. Jay-Z – qui a baptisé Irv Gotti – refuse de lui acheter des beats : « On ne peut plus être vus ensemble, j’ai reçu des instructions très claires ».
Russell Simmons et Lyor Cohen connaissaient pourtant Supreme McGriff bien avant Irv : « Dans les années 80, Supreme organisait des fêtes et nous, on s’occupait de booker les artistes » déclare Russell Simmons avant d’ajouter, non sans la sagesse qu’on lui connait : « J’ai toujours senti que Irv aimait la rue. Tu aimes la rue, tu y retournes, tu crées des choses pour elle. Tu donnes tellement au ghetto que là-bas ils ne peuvent que t’aimer. J’ai de l’amour pour tous les mecs de mon quartier qui ont grandi avec moi. Mais où étaient-ils tous avant que je devienne quelqu’un ? Etaient-ils véritablement mes amis ? ».
C’est bien l’ambivalence inhérente au rap d’aujourd’hui que souligne Simmons : nul n’est sans savoir désormais que les crimes de sang et les gloires de dealers doivent rester fictionnels. Irv Gotti qui s’est obstiné à rendre des comptes et à affirmer son allégeance à l’un des dealer les plus puissants de New York nous pousse à nous demander si la street cred n’est pas en réalité l’ennemi du succès à long terme ? A question évidente, réponse évidente ; la chute de Murder Inc. met en exergue la fin d’une exigence désormais datée et obsolète.
Christelle n’écrit plus d’article à moins de 5000 signes. She’z on sum Diderot shit. Elle est sur Twitter – @crystallmess