Si jamais vous avez décidé de passer votre mois d’août à Pyongyang et que vous kiffez les bières bien charpentées et dotés d’un sens inconditionnel du sacrifice pour le Juche, vous êtes plutôt verni(e). La Corée du Nord, plutôt réputée pour ses rampes de lancement que sa gastronomie, fait une entorse à sa politique isolationniste extrêmement agressive en inaugurant en grande pompe sa première « fête de la bière ».
Le festival est aussi une manière d’atténuer l’image belliqueuse du pays – renvoyée par son leader Kim Jong-Un, qui vient à nouveau de menacer les États-Unis de représailles si les Ulchi Freedom Guardian, exercices militaires conjoints avec la Corée du Sud, ne sont pas annulés. Il permettrait de poursuivre aussi la politique du byungjin (le « développement parallèle ») voulue par Kim, accessoirement fan de Dennis Rodman.
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Star de cette « fête de la bière », la Taedonggang (baptisé en hommage à la rivière du même nom qui traverse Pyongyang) sort d’une brasserie d’État reconstituée à partir des équipements de la Ushers of Trowbridge Brewery de Wiltshire. La vieille brasserie britannique a été acquise par la République populaire démocratique en 2000 sous les ordres de Kim Jong-il et acheminée, en pièces détachées, jusqu’en Corée – les sièges des toilettes sont d’ailleurs d’origine.
La bière locale sera donc l’attraction principale servie pendant les 20 jours que dure l’événement. Les festivaliers pourront la consommer à la fois sur un bateau/restaurant qui flotte élégamment sur la rivière et sur la terre ferme. Ils pourront se gaver de poulet frit, de bretzels, de pistaches et d’edamame à en croire le reportage de la CCTV, la chaîne télé chinoise.
Les Nord-Coréens ont l’air de plutôt bien réagir à la propagande nationaliste qui leur est servie à la louche. Selon le Telegraph, un des festivaliers interrogés décrit la bière comme « vraiment rafraîchissante » et ajoute : « Elle est aussi un peu sucrée. Je crois qu’il n’y a pas une seule bière au monde qui a meilleur goût que la Taedonggang. »
Apparemment, ce n’est pas que du bourrage de crâne. La Taedonggang connaît un véritable succès – elle est une des raisons pour lesquelles la Corée du Sud a mis fin à son interdiction de brasserie artisanale. Un représentant de Vintage Korea, la société sud-coréenne qui distribuait jusqu’en 2007 une quantité limitée de Taedonggang, a confié au New York Times que la bière du Juche « utilisait des ingrédients de meilleure qualité, sans penser au coût de production ». Malheureusement, la Taedonggang est aujourd’hui presque exclusivement vendue en Corée du Nord – un minuscule pourcentage en Chine.
Il n’y a pas eu jusqu’ici énormément d’informations concernant les personnes qui auront accès au festival. Sachant que l’État est « en carafe » de 694 000 tonnes de bouffe après la récolte annuelle et que les citoyens doivent se préparer à une famine, gentiment rebaptisée en « marche pénible », on se dit qu’il n’y aura pas beaucoup de citoyens nord-coréens lambda invités à s’enfiler des pintes gratos.
Mais bon, ça, Kim Jong-un s’en fout. Parce que quoi de plus efficace qu’un petit festoche pour dynamiser l’économie de la nation tout en continuant discrétos d’étendre son emprise militaire ?